"Je crois à l'effet domino, au fait que la mobilisation des petits entraîne les grands et pas l'inverse" (Thomas Meyer, DG de Socaps)
Entretien de septembre: Thomas nous parle de la vie d'une coopérative internationale; du triptyque People, Profit, Planet; de la montée en puissance d'actions RSE; du rôle des ETI dans la société etc.
Bonsoir,
Quel plaisir de vous retrouver et de vous proposer l’Entretien du mois de septembre avec Thomas Meyer, DG de Socaps, une coopérative spécialisée dans l’assistance industrielle basée à Rouen.
Thomas, c’est une personne franche, ouverte, passionnée. A la tête de l’entreprise familiale depuis 2008, il a construit une ETI très présente à l’international, résolument tournée sur l’innovation, notamment en diversifiant son offre, en allant chercher des nouveaux marchés, liés à la transition écologique. Mais, en plus de construire une coopérative internationale en forte croissance, Thomas a déployé une démarche RSE construite en particulier autour d’un fonds de dotation et l’adoption en juin de la qualité de société à mission.
Cet entretien est passionnant pour plonger dans les monde des coopératives, qui ont des logiques de gouvernance bien spécifiques, encore plus quand elles sont aussi internationales. On découvre l’équilibre que Socaps cherche à trouver entre people, profit et planet. Thomas nous raconte la quête de sens provoquée par la crise du Covid et la solution trouvée dans la société à mission. Il nous donne son très intéressant rapport d’étonnement sur le comité de mission. Il nous explique pourquoi les ETI sont d’excellentes candidates pour être des entreprises engagées et il conclut avec de bons conseils pour tous les entrepreneurs qui se demandent par où commencer.
Vous l’aurez compris : cet entretien est très, très riche ! Suite à vos retours dans l’enquête de lecture, je vous propose deux pauses possibles dans la lecture de l’entretien. Ainsi, vous n’avez pas à tout lire d’un bloc. Mais vraiment, lisez tout et partagez l’entretien ! Thomas est passionnant et beaucoup de ses interrogations et remarques feront forcément écho aux vôtres, ou à celles de vos clients.
On commence par une plongée dans la vie d’une coopérative, son fonctionnement, l’engagement des sociétaires et de ceux, hors d’Europe, qui ne peuvent pas l’être, ainsi que sa propulsion non préparée à la tête de l’entreprise.
Quand j’ai découvert Socaps, j’ai été surpris d’apprendre que c’était une coopérative industrielle. Ce n’est pas un modèle fréquent. Est-ce que tu peux me raconter l’histoire de l’entreprise pour mieux comprendre ?
Il y a deux grands types de coopératives : les coopératives de salariés et les coopératives d’indépendants. On est une coopérative d’entrepreneurs indépendants. On n’est pas une Scop, on est une coopérative.
L’histoire de Socaps commence au début des années 80. Mon père, à l’époque, était agent commercial pour un groupement d’artisans. C’étaient des artisans locaux, essentiellement situés entre Le Havre et Rouen, sur le bas de la vallée de la Seine. Ils allaient voir des entreprises qui avaient besoin de travaux et les artisans venaient les réaliser. L’activité s’est progressivement développée en se tournant exclusivement vers l’industrie, notamment pour répondre à un besoin particulier sur le bas de la vallée de la Seine.
Chemin faisant, ils se sont rendu compte, à la fin des années 90, que le modèle posait un certain nombre de difficultés. C’était par exemple compliqué pour les clients d’ouvrir des comptes fournisseurs pour tout un tas d’artisans. Le modèle permettait difficilement de monter des projets à plusieurs parce qu’il fallait se refacturer les uns et les autres des prestations dans tous les sens, donc ce n’était pas très efficace. Et ça ne permettait pas de bâtir une marque commune et une capacité de projection en communication et à l’export. Or, dès la fin des années 90, s’est posée la question : comment accompagner nos clients fabricants de machines pour installer ces machines aux quatre coins du monde ?
Notre modèle reste peu commun aujourd’hui, mais à l’époque, c’était carrément bolcheviko-révolutionnaire.
De là, est née l’idée de la coopérative Socaps, Société coopérative artisanale de prestation de services, avec un cercle d’artisans fondateurs. Mon père a imaginé le modèle Socaps avec l’appui de la fédération FFCGA, la Fédération française des coopératives et groupements d’artisans, dont on est toujours membre et dont je suis vice-président actuellement, et leurs juristes parce que c’était un nouveau modèle. C’est peu commun aujourd’hui, mais à l’époque, c’était carrément bolcheviko-révolutionnaire.
Ils ont construit ce modèle pour pouvoir répondre à la fois à l’envie des artisans de se regrouper, d’avoir une structure commune qui porte un certain nombre de risques et un certain nombre de fonctions support, ainsi qu’au besoin de répondre aux attentes clients qui avaient besoin « d’avoir une tête sur qui taper » quand les chantiers se passent mal, d’avoir un modèle simple en termes de gestion de leur flux de sous-traitance et d’avoir un modèle suffisamment solide financièrement pour être capable de tenir de l’avant-projet.
En 1999, on enregistre la société Socaps SA, qui est toujours notre tête de pont sur le marché européen. On est une société coopérative artisanale, c’est-à-dire qu’on regroupe des entrepreneurs, des artisans qui sont inscrits au répertoire des métiers ou l’équivalent dans les autres pays de l’Union européenne et qui co-détiennent le capital social de Socaps. Ils deviennent ce qu’on appelle sociétaires.
Quels sont leurs droits ?
Ils ont un pouvoir de droit de vote en AG. Un des sept principes coopératifs est un homme égal une voix, donc le gros avantage, c’est qu’il n’y a pas d’intérêt d’investir plus que ça dans le capital. On a une démocratie flat du point de vue de la gouvernance. On est totalement « inOPAble ». Quelqu’un viendrait nous chatouiller pour racheter le capital, il ne pèsera qu’une voix quand même.
Ça permet aussi de lier un destin commun quand, chacun avec sa casquette entrepreneuriale artisanale, est essentiellement centré sur ses intérêts individuels. Dans le même temps, nos clients n’ont qu’un seul interlocuteur fournisseur qui est plus structuré, capable d’absorber des projets plus grands et de les dispatcher sur ses membres. Enfin, c’est une force de projection à l’international beaucoup plus forte puisque ça nous permet aujourd’hui d’être leader mondial de l’assistance technique pour les industries agroalimentaires et d’opérer dans une centaine de pays chaque année autant dans des pays faciles que plus compliqués, comme l’Irak, le Pakistan ou le Soudan.
Est-ce que ce modèle de coopérative est facile à déployer en Europe ?
Deux grandes choses nous permettent ou pas de nous développer selon un modèle coopératif : le droit local et la culture locale. En Europe, les textes européens prévoient, depuis 2008, des statuts de coopératives européennes et ont inclus, dans la loi qui cadre le régime juridique des coopératives artisanales, la possibilité d’avoir, en catégorie 1, donc en catégorie votante de plein droit, n’importe quel ressortissant de l’Union dès lors qu’il est lui-même artisan ou équivalent dans le pays dont il ressort. En France, c’est le Répertoire de métiers. Il y a à peu près l’équivalent partout.
Pour l’implantation, on a fonctionné avec deux bureaux de représentation un à Bologne en Italie et un à Amsterdam qui nous servent à couvrir commercialement l’Europe du Sud et l’Europe du Nord. On n’a pas besoin d’avoir une structure locale au sens juridique puisqu’on fonctionne essentiellement par projets. On a un chantier qui s’ouvre. On vient réaliser nos opérations de maintenance, installer une ligne industrielle, déplacer un équipement industriel. À la fin, on ferme le projet et on quitte l’usine. On est par nature assez mobile géographiquement.
Le point d’attention qu’on doit avoir concerne la gouvernance. Il s’agit de savoir comment faire participer la démocratie dans la gouvernance de l’entreprise, quand des gens ne parlent pas la même langue, ont des horizons culturels très différents, et ne peuvent pas se voir physiquement facilement, à moindre coût euro et carbone. On doit donc s’appuyer sur les outils digitaux. C’est particulièrement important quand on ouvre un nouveau pays. Il faut les accueillir correctement, être clair et expliquer le système de gouvernance de la coopérative.
Jusqu’à présent, comment avez-vous réussi à tenir cette cohésion au sein de tous les sociétaires ?
En général, les projets se font en équipe ; c’est rarement un artisan seul. On a même essayé de le formaliser d’ailleurs par des programmes ambassadeurs. Mais en vérité, c’est souvent le plus capé de l’équipe, appelons-le Jean-Michel, qui explique et prend le lead sur ce qui se passe. Du coup, comme on travaille par projets avec des équipes de 5, 10, 20 personnes, tout se diffuse par tâche d’huile. Le risque, c’est que Jean-Michel ne soit pas bien ce jour-là. On ne le maîtrise pas. C’est le jeu. L’avantage, c’est que ce n’est pas un message descendant avec un truc bien bordé, bien propre, bien officiel. C’est plus spontané sur comment il ressent cette entreprise.
Notre point d’attention porte sur l’onboarding. On essaye de pousser au maximum les nouveaux sociétaires à nous confier du temps pour qu’on puisse leur expliquer comment notre système fonctionne : le volet administratif, le volet IT puisqu’on est très structuré par la plateforme qui gère toute la documentation, les infos projets avant après, le système de reporting, et tout le pan vie de la coop.
Et sur l’implication dans le projet après ?
Ce n’est pas parce qu’on est une coop que ce ne sont pas des humains pareils que les autres. C’est aussi compliqué que dans n’importe quelle entreprise. En AG, on se bagarre tout autant que n’importe quelle entreprise pour passer les messages, pour capter l’attention, pour expliquer les projets, pour faire en sorte qu’on ressente une forme d’adhésion au projet.
Faire participer les gens, c’est un challenge. La gouvernance, c’est compliqué. Il faut réfléchir tout le temps. Il faut évoluer avec son temps. Il y a une nouvelle génération qui arrive, la génération Z dont 90 % expliquent à qui veut l’entendre que certes, elle a envie d’avoir un job sympa et bien payé comme tout le monde, mais elle a aussi envie de participer à un projet dans lequel elle croit, qui offre un cadre qui permet de trouver un sens transcendant, plus fort que « j’échange du temps de vie contre des sous ».
Pour moi, le système coopératif, c'est la réponse à l'ubérisation.
Le modèle coopératif est conçu pour répondre à cet enjeu-là dès lors qu’il est bien drivé. Tous les trois mois au moins, le modèle coopératif fait que je me dois d'aller expliquer à des représentants des travailleurs, des gens qui sont sur le terrain, vers où on va, ce qu’on fait, si les objectifs sont tenus, si le cadre stratégique est suivi etc. C’est un contre-pouvoir fort. Pour moi, le système coopératif, c'est la réponse à l'ubérisation.
Hors d’Europe, le statut des indépendants est différent.
C'est un gros challenge pour nous. Souvent, il manque un modèle coopératif local, ou du moins pas au sens où on l'entend en Europe. Il peut y avoir des coopératives de consommateurs ou de producteurs agricoles, mais peu de coopératives d’entrepreneurs.
En gros, ils ont accès à la même information, ils ont le même modèle, ils ont les mêmes obligations et droits contractuels, à deux exceptions près : ils ne peuvent pas être élus au conseil d'administration et ils ne peuvent pas voter. Les Sud-Américains peuvent voter parce qu’eux, historiquement, ont été rattachés à la structure coopérative en catégorie 3, donc les catégories non européennes, non sociétaires, etc. Mais on est capé à 25 % du total de nos sociétaires sur cette catégorie-là. C'est la seule exception, les autres effectivement n'ont pas de droit de vote. Entre ne pas se développer ou devoir être créatif pour faire avec, c'est ce qu'on a trouvé de moins pire pour le moment.
Cela nous permet aussi une plus grande flexibilité. Pour ouvrir dans de nouveaux pays, on n’a pas besoin d’avoir une structure locale à chaque fois. On vient identifier la structure pertinente et on la raccroche au mouvement. De fait, quand on a une baisse d'activités, on a des charges qui sont plus faibles que nos concurrents ; ce qui nous engage à redistribuer massivement notre chiffre d'affaires quand ça va bien, à savoir 90 % en moyenne tous les ans.
J’essaie en ce moment de voir si on ne pourrait pas fonctionner autrement hors d’Europe, mais ça pose beaucoup de questions. Si on le fait à un endroit, il faut généraliser. Et les Européens sont contents d'avoir une position qui leur permet de contrôler leur destin, parce qu’évidemment on a des activités en Inde, en Chine qui sont importantes. Sur le principe d’un homme égal une voix, cela pourrait changement la donne : le monde n'est pas européen, il est majoritairement asiatique.
Et comment s’organise l’entreprise, entre la coopérative et les sociétaires ?
La marque appartient à la coopérative, le capital de l'entreprise Socaps appartient à ses sociétaires. À côté de ça, et notamment pour appuyer le développement à l’export il y a Socaps GROUP, qui est une entreprise familiale. C’est l'activité d'agent commercial de mon père dans les années 80 qui a perduré. En dehors d'Europe, Socaps GROUP a la main, parce qu'on n'a pas de structure coopérative locale. Donc, Socaps GROUP a des filiales : Socaps ASIA, Socaps US, Socaps MEXICO ou Socaps etc., qui sont des têtes de pont commerciales, qui elles vont pouvoir sous-traiter à des indépendants locaux un certain nombre de marchés et renvoyer vers la coopérative tout le business de l'Europe, ou faire intervenir la coopérative en local s'il y a besoin d'avoir une expertise particulière qui viendrait d’Europe. Cette structure-là, elle est familiale effectivement, c'est l'ancienne société de mon père.
De ton côté, tu es vraiment arrivé dans l’entreprise en 2006. Quel est ton parcours depuis ?
Je suis arrivé en 2006 en pensant que j’aurais dix ans pour que les sociétaires apprennent à bien me connaître et que tous les clients puissent me voir. C’était le plan. Mais, mon père est décédé le 1er janvier 2008. J’avais 26 ans. A l'époque, on faisait 8 millions d'euros de chiffre d'affaires, donc on était petit. Il devait y avoir quatre permanents dans les back-offices : deux vendeurs, deux administratifs, et c'était un peu panique à bord parce qu’à l'époque, on était concentré sur un axe limité autour de la Seine. On s’est réuni en conseil d’administration. On s’est à peu près mis d’accord sur un plan. Je suis devenu directeur du développement, parce qu’on n’avait pas de DG. J'ai commencé par aller voir les gros clients, voir ce qu’eux pensaient. Ils m’ont témoigné de leur confiance.
Confirmer notre ambition internationale était la seule approche stratégique pour sortir par le haut de la roue diabolique de baisse des coûts dans laquelle nos clients essayaient de nous faire rentrer.
La première chose que j'ai faite, c'est de confirmer le bureau à Atlanta aux Etats-Unis tout juste ouvert. Le pari étant que si on arrivait à se développer là-bas, on pourrait le faire n'importe où. C'est comme la chanson d’Alicia Keys : “If you can make it here, you can make it anywhere”. Confirmer notre ambition internationale était la seule approche stratégique pour sortir par le haut de la roue diabolique de baisse des coûts dans laquelle nos clients essayaient de nous faire rentrer. On voulait offrir une expérience client B to B différente, à savoir être capable d'assurer un service stable et de qualité du Canada à l'Australie et de l'Argentine à la Russie, ce qui justifierait un surcoût pour le client.
On n’a confirmé les fonctions de DG que récemment, d’autant qu’à 25 ans, ce n’était pas sérieux de me donner ce titre.
Vous pouvez prendre votre première pause et continuer plus tard… Dans la deuxième partie, on parle des projets de croissance de l’entreprise et on rentre dans les sujets de la RSE, de la création du fonds de dotation, de l’adoption de la qualité de la société à mission…
Et quels sont aujourd’hui les axes de croissance ?
On a un plan de croissance sur trois axes : le premier, l'international, aller chercher des marchés, ouvrir des territoires et identifier des artisans locaux avec des compétences compatibles et complémentaires avec les nôtres pour faire grandir le réseau et offrir toujours une meilleure expérience en termes de géographie à nos clients. Deuxième axe, c’est une diversification de nos filières. Historiquement, on faisait 100 % de notre activité dans l'agroalimentaire, aujourd'hui c’est à peu près 60 %. On a rajouté 20 % de notre activité dans l’industrie de la santé et des cosmétiques, 20 % dans la logistique automatisée et l'assemblage automatisé. L'objectif est d'être moins sensible aux aléas conjoncturels de telle ou telle industrie, partant du principe que c'est rare que tout aille mal en même temps.
Donc, diversification géographique, diversification sectorielle et élargissement de la gamme de services, donc, avec deux axes : un axe qui est plus de services complémentaires sur des installations clés en main, être capable d'intégrer des compétences plus larges, monter des passerelles, faire du piping, etc. On peut monter des projets où il y a 200 à 300 personnes sur un chantier avec des compétences extérieures quand on en a besoin, et installer en même temps plusieurs usines pour un même client, pour augmenter rapidement sa force de frappe. L'autre axe est de prémiumiser notre offre avec une offre qu'on appelle « Consulting 360 », consistant à intégrer d’autres dimensions comme le conseil en stratégie, en gestion de projet, en recrutement, en innovation et services connectés, digitalisation, pour être capable d'anticiper les mouvements de l'industrie 4.0 et accompagner nos clients dans cette dynamique.
Socaps est très international. Comment expliques-tu ce fort déploiement ?
Il s’agit d’équilibrer le rapport de force avec nos clients : plus on est puissant et grand, plus on peut parler d'égal à égal avec nos clients qui, en général, sont des grands de l'industrie agroalimentaire ou pharmaceutique ou logistique. Le deuxième élément, c'est que ça développe des opportunités d'emploi et d'activité pour nos sociétaires européens. C’est parce qu'on est aux États-Unis et qu'on récupère des affaires à Seattle qu'on va avoir un projet à Lisbonne. Ça, c'est important de le comprendre : c'est avant tout une diversification de renforcement pour nous.
Notre projet de développement international est important parce que ça protège notre activité en Europe et ça équilibre le rapport de force avec nos clients. Donc, il faut qu'on puisse leur dire « Attention, si tu me fais du mal à Périgueux, moi j'arrête de te servir en Colombie ».
Si on passe au sujet RSE, j’ai l’impression que tout s’est accéléré récemment avec la création de Socaps Fund, l’adhésion au Global Compact de l’ONU, la labellisation à Positive Workplace et l’adoption de la qualité de société à mission.
C'est-à-dire surtout qu’on ne communiquait pas dessus avant. Mais c’est vrai qu'on a beaucoup accéléré depuis 4-5 ans et même, en fait, depuis 18 mois. Souvent, le monde coopératif regarde ces sujets un peu en estimant que ça ne nous concerne pas compte tenu de notre gouvernance intrinsèque et de notre modèle. Je ne partage pas cette vision-là. Ce n'est pas parce qu'on est une coopérative qu'on est démocratiques, pas du tout. Il y a plein de coopératives qui ne sont pas démocratiques. Et nous ne sommes pas des parangons de vertu non plus. On fait des conneries, ce n'est pas parfait. La preuve : en dehors d'Europe, on ne sait pas adresser le sujet correctement, comme on le devrait ou comme on le voudrait.
Donc, ce n'est pas parce qu'on est une coopérative qu'on est par nature vertueux. Dans une coopérative, on met en place des outils de contrepouvoir et de structures de gouvernance qui font que l'on évite les erreurs majeures. À taille équivalente, c'est beaucoup plus lourd de piloter une coopérative que n'importe quelle autre entreprise. On a l'obligation de se mettre d'accord. Ça, c'est compliqué.
Mais ce n’est pas parce qu’on est plutôt bon en gouvernance qu’on ne doit pas travailler les autres sujets. Et c’est vrai qu’on les avait moins travaillés. Il y a 5 ans, je me souviens d’un fait très marquant. On a ouvert un bureau au Cap, en Afrique du Sud. On envoie un V.I.E. là-bas, au début. Puis, je reçois un message comme quoi le « day zero » arrive et qu’il faut se préparer à l'évacuation. Je n’avais aucune idée de ce que c’était. En fait, c'est le décompte du niveau de la nappe phréatique en Afrique du Sud. Il nous restait 20 jours avant que les robinets soient coupés. On a organisé des points de distribution d'eau dans les townships qui entourent la ville. On a organisé l’évacuation des ressortissants étrangers, mais l’enjeu était important pour nous : c’est depuis Le Cap qu’on organise toutes nos activités en Afrique subsaharienne.
Si on n'est pas capables à notre petit niveau d'avoir des actions qui protègent notre planète, comment veut-on que les plus grands le fassent ? Je crois beaucoup à l'effet domino, au fait que la mobilisation des petits entraîne les grands et pas l'inverse.
Avec cet épisode, on a touché du doigt le fait que sans écosystème, ça ne sert à rien de faire du business. Notre métier de base à l'époque, c’était de mettre des techniciens dans des avions, cramer du kérosène pour aller fabriquer des emballages au bout du monde. Au niveau karma, dans la file d'attente pour l'enfer, on est plutôt sur le devant de la file avec d'autres professions.
Et si on n'est pas capables, nous, en tant que coopérative, à notre petit niveau, d'avoir des actions, un message, une position qui protègent notre planète, comment veut-on que les plus grands le fassent ? Moi, je crois beaucoup à l'effet domino, au fait que la mobilisation des petits entraîne les grands et pas l'inverse. C'est plus difficile de bouger quand on est gros, grand et vieux en tant qu'entreprise plutôt que quand on est plus flexible, plus jeune, plus petit. Parce qu'évidemment, ça nécessite moins de capitaux pour faire un mouvement.
D’où l’idée de créer Socaps Fund ?
On s’est rapidement tourné sur la création d’un fonds de dotation. Cela permet de clarifier, d'avoir une structure dédiée dans le groupe, dont l'unique activité est de collecter des fonds à l'intérieur du groupe. Donc, chaque entité dans le monde qui s'appelle Socaps doit donner 10 % de ses profits annuels au fonds de dotation. C’est la règle qu’on a fixée et j’y tiens. Nous avons décidé de nous engager sur trois leviers : la solidarité à l'égard des communautés dans lesquelles on opère, la protection de la biodiversité et la réduction de l'empreinte carbone, et tout ce qui concourt à l'économie circulaire, à la recyclabilité, au recyclage, etc.
Chaque entité dans le monde qui s'appelle Socaps doit donner 10 % de ses profits annuels au fonds de dotation. C’est la règle qu’on a fixée et j’y tiens.
Et comment associez-vous les collaborateurs ?
On associe des collaborateurs en les nommant au conseil d'administration, afin que les projets soient décidés par les équipes et éviter que le fonds soit la marotte du patron. On met en place un système de remontée des projets où chacun – sociétaire, contractor (les indépendants hors Europe qui n’ont pas le statut de sociétaires) – peut identifier des associations locales qui le touche.
On va plutôt aider des petites associations en général ou des associations qui débutent. Vu les moyens qu'on y met et le fait qu'on veut avoir de l'impact, ça ne sert à rien de rajouter un peu de saupoudrage sur une grosse structure, sauf si c'est pour le symbole. Et on essaye de faire des conventions de 3 à 5 ans en général pour pouvoir suivre dans le temps la situation.
L’avantage avec ce type de structure, c’est que c’est très bien bordé dans le droit français. Compte tenu du contexte dans lequel je suis arrivé là, je suis très vigilant sur la notion de transmission, sur la notion de durabilité des systèmes de fonctionnement. Les hommes passent, les organisations restent, donc j'essaie toujours de me demander si tel ou tel choix survivrait si je n’étais plus là.
Une fois le projet validé, le collaborateur qui l’a proposé le porte et fait des points de situation réguliers. C'est un élément de son quotidien qui est porteur de sens et qui lui permet de s'oxygéner le cerveau. C'est absolument indispensable de ne pas faire que bosser dans le même truc toute la journée.
Et quand est-ce qu’est arrivée l’idée de la société à mission ?
Ensuite, pendant le Covid au deuxième trimestre 2020, on a perdu 50% de notre chiffre d’affaires. Je me dis qu’une tempête s’annonce. Dès janvier, on est à peu près au courant, parce que notre bureau de Singapour nous prévient que ça va être très compliqué. Donc, on s'était un peu préparés en vérifiant le niveau de trésorerie de tout le monde, nos routes d'évacuation etc. Il fallait mettre en place des organisations permettant d'assurer le soutien logistique et psychologique de sociétaires coincés. On a eu par exemple des gens coincés aux Fidji pendant plus de trois mois sans pouvoir les évacuer. On passe la tempête, c'est compliqué, mais, on repart assez vite en croissance.
Donc, on se dit que nos drivers sont bons, que les équipes ont formidablement réagi. On a pu lever du PGE (prêt garanti par l’Etat) facilement et on a fait des prêts sur l’honneur à taux zéro à certains sociétaires pour qui c’était plus compliqué auprès des banques. Bilan : zéro incident de paiement. Ils nous ont tous remboursés.
Mais, on a bossé comme des acharnés et on vivait un peu le syndrome du week-end : tu bosses comme un âne toute la semaine et le week-end, tu es malade, parce que tu n'en peux plus. C'était un peu ça qu'on vivait. On s’est interrogé sur la manière de redonner du sens. On avait besoin de deux choses en plus : un peu plus d'agilité parce qu'on avait eu tendance à s'organiser en silos géographiques. Donc, comment mettre la transversalité ? Comment créer du partage, du lien ? Parce qu'un des éléments les plus intéressants chez nous, c'est l'interculturalité. Donc, comment fait-on pour le mettre en avant ? Et puis du sens.
Partant de ces deux constats, la loi Pacte permet un truc génial qui est la qualité de société à mission. On est entré par le sujet de la raison d'être. On ne cherchait pas forcément à ce que cela touche tout le monde, mais au moins quelques-uns. On a commencé à construire des ateliers sur la thématique sous le nom « Reconnect with customers and members ». De la raison d’être, on est passé à des objectifs, puis à la formalisation dans les statuts. Désormais, on a un comité de mission commun pour Socaps Group et Socaps SA.
Je ne crois pas que les entreprises donnent du sens. Les entreprises ont la responsabilité morale de poser un cadre dans lequel ceux qui le souhaitent peuvent trouver du sens.
Mais ça ne donne pas de sens à proprement parler. Je ne crois pas que les entreprises donnent du sens. Les entreprises ont la responsabilité morale de poser un cadre dans lequel ceux qui le souhaitent peuvent trouver du sens. Je n'oblige personne à adhérer à notre projet. On donne un cadre qui permet à ceux qui le souhaitent de trouver du sens, de trouver un supplément d'âme dans leur quotidien.
Alors que beaucoup d’entreprises cherchent à embarquer au maximum, tu sembles prendre le contre-pied.
Le truc d'embarquer tout le monde, il y a un petit côté tarte à la crème, c'est « l'humain au cœur de l'entreprise ». Tout ça, c'est très bien. Et donc, concrètement, on est une organisation d'à peu près 820 techniciens, d'une quarantaine de personnes dans les bureaux, d'une cinquantaine de nationalités différentes. On est très étalés géographiquement.
Moi, je ne suis pas donneur de leçons. Expliquer aux autres comment il faut penser, moi, Français, depuis mon petit bureau en Normandie ou en région parisienne, c'est très facile. Je n'ai pas la vie de nos gars en Afrique du Sud, où la sécurité n’existe pas. Donc, le chemin que nous avons choisi, c'est de compter sur 15-20 % de gens hyper engagés. On s'appuie sur eux pour construire un cadre. On s'assure que le cadre est accueillant pour tous ceux qui le souhaitent. Et on fait avancer le train. Ceux qui veulent embarquer seront toujours les bienvenus. Il y aura des arrêts en gare pour embarquer l'année prochaine ou l'année suivante.
Je ne cherche pas à attirer des mercenaires. Il faut aller chercher l'âme, le cerveau et le cœur des individus et pas le portefeuille.
Et poser un cadre pour notre projet nous aide aussi en termes de communication et de marketing, de recrutement aussi. Je peux offrir un projet, un cadre, un projet de vie, et de job, qui aille au-delà du don de temps contre de l’argent. Je ne cherche pas à attirer des mercenaires. Il faut aller chercher l'âme, le cerveau et le cœur des individus et pas le portefeuille. Ça, ce n'est pas toujours simple et ça prend du temps, surtout quand on est dispersés géographiquement.
Vous pouvez prendre votre deuxième pause. On a déjà couvert pas mal de terrain. Dans cette dernière, Thomas parle de l’approche « people, profit, planet », de la composition de son comité de mission, de la raison pour laquelle les ETI sont bien placées pour être engagées et enfin il termine en donnant quelques conseils aux entrepreneurs pour mettre le pied à l’étrier.
Tu parles souvent de l’approche des 3 P. Qu’est-ce que c’est ?
C'est pour people, profit, planet. L'ordre a son importance. Pourquoi ? C'est l'ordre des priorités qu'on se fixe. Le people en premier permet d’officialiser le fait que nous ne transigeons pas sur l'humain et qu'on privilégiera la sécurité au travail notamment, au profit. Il s’agit de garantir un environnement de travail sûr, équitable, inclusif. Sûr au sens de la sûreté et de la sécurité, de l'hygiène au travail. Équitable au sens de l'accès égal à l'employabilité et donc au savoir. Et l'inclusion, notamment avec un sujet hyper important chez nous, qui est le sujet de la parité dans l'industrie et dans les métiers techniques de l'industrie. Sur la place des femmes et du handicap, nous ne sommes pas bons.
Faire de l’axe people le premier avant l’axe profit a été très important pendant le Covid, parce que c'est ce qui nous a permis de prendre au bon moment les bonnes décisions par exemple pour faire les prêts sur l’honneur à nos sociétaires.
Ensuite, le profit en deuxième, parce qu'on est une entreprise et pas une asso. J'ai une obligation de croissance rentable. Sinon, je détruis 870 emplois et je mets 870 familles dans le désarroi. Avant de pouvoir agir vertueusement, j'ai besoin de me laisser des marges de manœuvre financière pour pouvoir le faire. Et donc, assurer ma propre survie en tant qu'organisation humaine et la subsistance de mes équipes.
Cela dit, on ne fait pas du profit n'importe comment. Et donc, notre deuxième objectif en tant que société à mission est de devenir un référent des technologies responsables, des greentechs, de shifter une partie de notre effort marketing, formation, recrutement, commercial, etc., sur des technologies plus vertueuses et plus responsables. On en a identifié trois : la production d'énergies bas carbone, en particulier la biomasse, puisque les équipements nécessaires pour faire du biogaz, en fait, sont très proches de ceux de l'industrie agroalimentaire. Qu'on touille du fromage ou du lisier, globalement, c'est à peu près les mêmes équipements. Il y a également l'hydrogène qu'on regarde avec intérêt comme marché bas carbone.
Deuxièmement, la gestion de l'eau et notamment des technologies de la gestion durable de l'eau, pour le recyclage de l'eau. Il faut aussi regarder le sujet de la démographie et le sujet de l'eau. Donc, si on ne regarde pas les trois sujets en même temps, on a peu de chances de s'en sortir.
Et enfin, les technologies de l'économie circulaire, à savoir tout ce qui concourt à collecter, trier, recycler les matières collectées avec notamment les problématiques de la consignation. Comment est-ce qu'on réinstalle ces machines-là un peu partout dans les supermarchés, dans les hôtels, etc., pour que les gens puissent retourner les emballages ? Donc, on collecte de plus en plus et on trie un maximum de choses. Et on se positionne sur le recyclage, puisque l'avenir de l'industrie — en tout cas, de l'industrie agroalimentaire — ne passera que par des emballages recyclés.
Je suis consommateur de vrac, mais il faut que l’on soit capable d’assurer une forme de sécurité alimentaire et sanitaire aux 10 milliards de personne que la Terre comptera bientôt. De la même façon qu'on ne tolère pas que les gens décèdent du Covid, on ne tolèrerait pas de revenir au temps où la dysenterie emportait des centaines de milliers de gens chaque année, faute de conditionnement alimentaire de bonne qualité. Donc l’emballage oui, en revanche, on peut le faire correctement sans aller chercher du pétrole vierge, mais plutôt en utilisant les quantités faramineuses de plastique qui sont déjà en circulation pour les recycler. Ce faisant, on crée de l'emploi, on crée de la croissance et on maintient le cadre tout en agissant plus vertueusement.
Et le dernier axe, c’est planet ?
Oui, à quoi ça sert de faire des profits, surtout en système coopératif ? Ça sert à les redistribuer sur ses sociétaires et/ou à agir vertueusement. On a deux sujets à adresser : le carbone et la biodiversité. Que faire ? Déjà mettre en œuvre une politique de réduction de notre empreinte carbone et de sanctuarisation de nos puits de carbone forte et déterminée, alignée sur les engagements des Accords de Paris. Donc, avoir un plan de décarbonation progressif de nos activités en les remplaçant par des technologies de remote assistance, de réalité augmentée, qui permettent de transférer des savoir-faire sans avoir besoin de prendre l'avion. Ce n'est pas simple ! 45 % de notre empreinte carbone vient des séjours en hôtel. Et on ne va pas changer demain matin la façon dont les clims des chambres d'hôtel fonctionnent, qui sont d’ailleurs plutôt utiles en Afrique pour ne pas choper le palu…
Pour les puits de carbone : on travaille avec Reforest'Action et on veut continuer à travailler autour de la compensation. Je sais qu’il y a beaucoup de débats sur le sujet. Pour commencer, je préfère faire ça que rien. Ensuite, il faut le faire avec des gens sérieux parce qu'effectivement, je ne suis pas forestier.
Le troisième axe concerne la protection de la biodiversité marine et sur Terre. Là-dessus, c'est Socaps Fund qui prend la main, parce que nous, on fait du service. On peut faire des choses, mais ça relève du symbolique. Socaps Fund en relais peut venir en appui d'assos comme le World Clean Up Day, ou SeaCleaners qu'on soutient depuis plusieurs années pour construire le projet MANTA par exemple. On vient en appui d'un tissu associatif existant qui sait, mieux que nous, et de façon plus ciblée que nous, traiter ces sujets-là.
Socaps est passé société à mission il y a peu et a constitué son comité. Quel est ton rapport d’étonnement suite à la première réunion ?
On a pas mal tâtonné là-dessus et c'est sans doute un des sujets que j'ai le moins bien compris. Je comprenais bien l'intérêt et la vocation du comité de mission, mais la façon de le constituer n’était pas très clair, jusqu’à ce qu’Émery Jacquillat [président de la communauté des entreprises à mission] me fasse une réflexion sibylline, mais d'une grande clairvoyance.
En gros, j'étais persuadé qu'il fallait que j'aille chercher les meilleurs experts du monde sur les sujets RSE pour faire un comité de mission. Je tournais en rond, à essayer de trouver des super experts, mais il m'a dit : « Va chercher dans tes parties prenantes existantes, dans tes fournisseurs, dans tes sociétaires, des gens qui sont un peu intéressés par le sujet, qui te connaissent déjà, que tu connais, des gens en qui tu as déjà confiance, et que tu vas pouvoir asseoir en étant à peu près certain qu'ils soient bienveillants les uns avec les autres. Et qui vont pouvoir rester dans le temps, associés au destin de ce comité de mission. »
On s’est donné deux objectifs : un comité de mission paritaire et mixte 50% interne 50% externe. Donc, on a deux salariés, deux sociétaires, deux fournisseurs et deux représentants d’associations qu'on soutient à travers nos actions. Pour les fournisseurs : on en a choisi deux. L'un est le groupe qui s'occupe du nettoyage et de l'entretien de nos bureaux. À la fois parce que c'est une société qui s'appelle le groupe Candor, qui est une société normande dirigée par Jean-Philippe Daull. C’est quelqu'un qui a des valeurs formidables, qui lui-même mène des opérations autour de la RSE, de la gouvernance et de l'engagement des équipes dans son entreprise que j'admire absolument. Et enfin, je me suis dit : ça ne sert à rien de prendre les super méga-consultants d'IT là-dessus parce qu’eux, de toute façon, ils sont bien traités chez nous de par leur statut. Allons chercher la société qui fait le nettoyage chez nous. Cela va l'inciter à demander à ses équipes s'ils sont bien traités chez nous. Et là, on aura un indicateur un peu plus pertinent de la façon dont on se comporte. C'est en regardant la façon dont on se comporte avec « les plus faibles », qu'on vient tester la profondeur de l'âme.
Et puis l'autre fournisseur, c'est Laurent Muratet, le fondateur du Terravita Project, qui est un consultant spécialisé en agroalimentaire. Il est brillant et en avance sur des sujets, notamment tournés autour des nouvelles tendances de l'agroalimentaire et sur les attentes des consommateurs. Et pour nous, c'est important de comprendre ce qui va se passer sur les filières agroalimentaires, parce que ce sont nos clients, et les consommateurs sont les clients de nos clients. Donc, en ayant une projection là-dessus, on a de meilleures chances d'anticiper les mouvements.
Et puis enfin, le collège des associations : deux associations, l'une qui s'appelle Citémômes pilotée par Mathilde Milot, qui est une association normande formidable qu'on soutient dans le cadre du programme de mécénat de compétences autour du tricot. Et l'autre association s'appelle Citizens fondée par Pierre Paillereau. C'est une plateforme internet qui met en lien des associations locales qui ont besoin de mécénat de compétences et des entreprises qui l'offrent.
Es-tu au présent au comité de mission ?
Non, je suis invité. Mais en plus de ces huit personnes qui sont des membres votants, on a Pauline Raoult, notre Sustainability and Purpose Officer, qui assure le secrétariat du comité. Elle prépare les rapports de mission, les comptes-rendus et PV du comité, et j’assiste pour apporter les infos et ensuite porter les dossiers en interne.
Tu as récemment rejoint le club ETI de Normandie. Pourquoi estimes-tu que les ETI sont les mieux placées pour comprendre la nécessité d'agir maintenant ?
On est en train de devenir une ETI. Aujourd’hui, on est plutôt une PME de croissance. Je pense que les ETI ont deux éléments spécifiques. Un : en général, le capital est familial. Deux : il y a quasiment toujours un sujet de transmission, la question de savoir comment passer à la génération d'après. Il y a cet état d'esprit patrimonial au sens de la transmission du patrimoine. J'ai hérité d'un outil de travail, que puis-je faire pour m’assurer de le transmettre en bon état à la génération d'après ?
Je pense que dans les ETI, on a la taille qui permet à la fois d'avoir des moyens d'agir et qui n'est pas suffisamment grand pour être déconnecté de la société civile.
Compte tenu de la structure du capital et de l'histoire des ETI en général — en tout cas, quand ce sont des ETI familiales —, il y a une logique de long terme. Et la logique de long terme, dans le monde dans lequel on vit, ne peut pas ne pas être liée qu’au bien-être des collaborateurs et des humains, elle est aussi liée à l'enjeu environnemental. On voit tous le mur qui arrive.
Je pense que dans les ETI, on a la taille qui permet à la fois d'avoir des moyens d'agir et qui n'est pas suffisamment grand pour être déconnecté de la société civile. On a l'enjeu de durabilité lié à l'enjeu du capital, et on a aussi la notion de territoire. Quand on est ancré sur un territoire, on est au contact de la population, de l'environnement, de ce qui se passe dans la rivière qui est au bout de la rue, de ce qui se passe sur la forêt qui est au bout du chemin. Et ça, ça change la donne. Ce n'est plus des monstres froids drivés par le process.
Et, en plus, on peut agir de manière assez importante. On a fait un sondage dans le club ETI. 65-70 % des dirigeants qui ont répondu font de la RSE un sujet majeur et consacre un budget moyen de 55 000 euros par entreprise et par an. Il y a 150 ETI en Normandie : deux tiers des ETI x 55 000, ça commence à faire un peu de sous.
Dans un article que tu as écrit sur LinkedIn, tu dis : "Cela n'a été évidemment possible qu'en nous appuyant d'abord sur les fondamentaux de cultures et de valeurs d'entreprise qui nous guident depuis dix ans." Et ensuite, tu expliques qu’on ne décrète pas soudainement un engagement sociétal et environnemental. Pour les lecteurs qui n'ont peut-être pas dix ans d'histoire d'engagement sociétal et environnemental, par où commencer ?
Je pense qu'il faut commencer par là où on le sent. C'est vachement intuitif. C'est absolument indispensable que les dirigeants soient à fond dessus, totalement alignés, sinon ça fait un rapport de plus dans un tiroir qui ne sert absolument à rien. Donc, l'engagement de la direction est absolument fondamental. Il faut trouver le chemin qui paraît le plus efficace. On peut s’appuyer sur des valeurs qui ont souvent été formalisées dans les entreprises qui ont un petit peu d'ancienneté et tirer le fil de ces valeurs : est-ce que une posture ? Est-ce que c'est un engagement éthique profond ? Quelles sont les conséquences ? Pour les plus jeunes entreprises – j’en aide en création – je leur dis tout de suite de mettre leur mission dans leurs statuts. S’ils ont vraiment la mission qu’ils me décrivent chevillée au corps, pourquoi s’empêcher de le clamer.
Chez nous, c’est ce qui a changé. J'ai pris conscience du rôle de porte-voix qu'on pouvait avoir à notre petit niveau local. Moi, je suis content de parler à mon président de région, de lui expliquer ce qu'est une société à mission. Je suis content d'être le poil à gratter de mes clients en leur disant, "Ah bon, toi, tu ne fais rien ? Mais attends, on est vachement plus petits que toi, on est ton fournisseur, et on fait ça. C'est la base !" Et du coup, ça fait partie de notre contribution, l'effet d'entraînement qu'on peut avoir là-dessus.
Merci de votre lecture. J’espère que vous avez pris autant de plaisir à lire cet entretien que j’en ai pris à le mener. N’hésitez pas à le commenter, le partager et à vous abonner si vous découvrez La Machine à sens.
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A vendredi pour la prochaine missive,
Vivien.