#127 Peut-on changer sa mission en cours de route ?
Et également un focus sur le sport, du lobbying positif, l'écriture responsable et d'autres choses...
Chère lectrice, cher lecteur,
Je suis heureux de vous retrouver pour cette 127e missive. Même si le temps est très compté en ce moment, écrire ces missives hebdomadaires est toujours un plaisir. Cette semaine, elle est assez centrée sur l’édito, car je souhaitais aborder un sujet sur lequel on me questionne beaucoup. Mais, passons déjà au sommaire :
🔀 Peut-on changer sa mission une fois qu’on est entreprise à mission ?
👍 Du lobbying positif pour une fois en faveur d’une réglementation pour la restauration de la nature
⚽ Dans le sport aussi, on parle de sujets sociaux et environnementaux (quelques réflexions)
🤔 “La transition porte bien mal son nom”
✒️ C’est quoi l’écriture responsable ?
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la communication non-violente, la communication des plans climat, l’empathie des docteurs et ChatGPT, et l’Arctique sans glace
🎧 Mon son de la semaine : fred again… - Dermot (see yourself in my eyes)
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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J’aimerais aborder une question qu’on me pose très fréquemment : une fois qu’on est société à mission, peut-on changer des éléments de sa mission ?
La réponse courte est : oui.
On peut changer toute sa mission ou l’ajuster à la marge. Ce sont souvent les objectifs statutaires qui sont amendés, moins fréquemment la raison d’être.
Je vais élaborer un peu pour présenter quelques cas de figure : quand c’est utile, quand c’est nécessaire, quand c’est contraint.
Quand c’est utile…
Théoriquement, une mission s’inscrit dans le temps long, donc une fois définie, on ne devrait pas avoir à y toucher. Néanmoins, cela peut s’avérer utile dans certaines circonstances.
C’est le cas quand la pratique révèle quelques failles dans la mission. Vous pouvez vous rendre compte que le pilotage de certains objectifs n’est pas évident, car ils sont soit redondants, soit un objectif recouvre trop de choses, soit un objectif ne relève pas de la mission, mais de la RSE.
Ainsi, vous pouvez fusionner deux objectifs en un, inversement, en créer un nouveau pour mieux différencier les axes d’efforts, ou supprimer celui qui n’est pas pertinent.
Ce travail de refonte permet plus de clarté et un meilleur pilotage de la mission. Plusieurs entreprises ont déjà mené ce type de réécriture.
Autre cas de figure où c’est utile, c’est quand votre activité a évolué. Cela peut être le fait d’une diversification qui n’avait pas été anticipée dans la mission, d’un pivot dans le business model notamment pour les entreprises nativement à mission ou d’une croissance externe qui vous ouvre sur de nouveaux horizons. Dans ce cas, la mission doit être repensée, car elle ne couvre plus toute l’activité.
Dernier cas de figure plus spécifique aux entreprises nativement à mission. J’ai déjà exprimé ma réserve de se lancer directement à mission : on n’a pas de recul sur son activité, pas de client, pas de collaborateur, pas de partenaire, pas de réussite, pas d’échec, pas de business model testé. Mais, parfois, cela se justifie et ça marche. Néanmoins, la mission sera forcément rédigée à quelques-uns, voire seul. Il peut être utile (voire indispensable) de la revisiter une fois que l’entreprise compte un certain nombre de salariés, un business model bien établi, un produit ou service qui a trouvé son marché, une culture d’entreprise qui prend forme.
Quand c’est nécessaire…
Parfois, modifier sa mission est nécessaire. Cela peut être le cas quand la formulation de la mission est très bancale. Vous avez probablement déjà vu passer des missions mal ficelées et j’en décrypte parfois.
Les entreprises concernées peuvent se rendre compte que la rédaction initiale ne fonctionne pas. Parfois, c’est le comité de mission qui pousse l’entreprise à réviser sa mission. C’est le cas par exemple quand elle n’est pas opérationnalisable, qu’elle génère beaucoup de confusion dans sa compréhension, qu’elle est trop alambiquée, que personne à part la direction ne l’utilise dans son quotidien ou pour prendre des décisions.
Dans ce cas et plusieurs entreprises l’ont déjà fait, il ne faut pas s’interdire de revoir tout en profondeur. Ce n’est pas un constat d’échec, c’est une leçon pour s’améliorer. Ne pas le faire, c’est courir le risque d’aller vers du mission-washing ou la dégradation progressive de l’importance de la mission pour l’entreprise.
Autre cas de figure lié qui a, à ma connaissance reste théorique : quand vous vous rendez compte que votre mission n’est absolument pas utilisée même par la direction.
La vie de l’entreprise fait que l’envie d’un moment fane. La mission est inscrite dans les statuts, mais elle ne vit pas. Les raisons sont multiples : elle n’a jamais été vraiment partagée, elle n’est pas incarnée, elle n’est pas suivie, d’autres priorités ont complètement occulté son intérêt etc.
Théoriquement, cela ne devrait pas arriver, car une entreprise de mission doit nommer un comité de mission ou un référent de mission, produire un rapport annuel et se faire évaluer une première fois au plus tard 18 ou 24 mois après son changement de statuts. Mais, en l’absence d’un mécanisme de vérification, une entreprise peut laisser tomber sa mission en désuétude sans que personne ne la rappelle à ses obligations légales.
Dans ce cas, l’entreprise doit s’interroger : conserver la qualité et retravailler la mission ou se la retirer. Dans le premier cas, le point de départ de la refonte sera de comprendre pourquoi la mission initiale n’a jamais été suivie d’effet avant de la restructurer en profondeur.
Quand c’est contraint…
Il peut arriver que la mission soit reformulée sous la contrainte, notamment celle de l’Organisme Tiers Indépendant. J’entends déjà les exclamations face à cette situation : les auditeurs diront que ce n’est pas vrai, car ce n’est pas leur rôle et que cela va à l’encontre de leur déontologie (ils ne font pas du conseil) ; des entrepreneurs estimeront culottés que des auditeurs viennent leur imposer quoique ce soit, car leur mission c’est leur projet d’entreprise.
Pour autant, certains cas de figure amènent à cette refonte. Cela peut intervenir en amont ou en aval de la première vérification. Les OTI proposent systématiquement “un audit à blanc” : en gros c’est une prestation qui leur permet d’intervenir sur votre mission en amont de la vérification officielle. Dans ce cas, ils viennent poser un regard d’auditeur sur le travail réalisé et peuvent vous recommander de faire des modifications sur la déclinaison opérationnelle, voire sur les objectifs statutaires. Et ce pour assurer que la vérification se déroule bien et que vous évitiez trop de remarques négatives, voire qu’un objectif soit considéré comme non-atteint. C’est une recommandation, mais disons que c’est mieux de la suivre…
Pareil, à la suite du passage de l’OTI, vous disposerez de son avis qui sera publié sur votre site Internet et les auditeurs feront une présentation informel dans laquelle ils pourront faire des recommandations. Certaines d’entre elles peuvent concerner la partie statutaire. Encore une fois, les entreprises ne sont pas obligées de suivre ces suggestions, mais elles ont intérêt à avoir de bons arguments pour asseoir leur position.
On peut parler d’un dernier cas théorique : quand le juge du tribunal de commerce l’exige. Aujourd’hui, personne ne valide le contenu des missions. Ainsi, des missions ne respectent pas la loi. Certaines entreprises se déclarent à mission, alors qu’elles n’ont pas d’objectifs ou qu’elles ne disposent pas d’article dans les statuts sur les modalités de suivi de cette mission. D’autres ont des missions qui présentent l’activité de l’entreprise, mais dont les dimensions sociale ou environnementale sont à peine perceptibles, ou qui ne concernent pas l’activité de l’entreprise, mais relèvent au mieux d’une démarche RSE classique.
Dans ce cas, il me paraîtrait tout à fait acceptable de contester la qualité de société à mission de ces entreprises devant le tribunal de commerce comme la loi le permet. Dans ce cas, le juge pourrait demander à l’entreprise de revoir sa copie. Ce cas de figure est théorique et est très rarement évoqué, mais je le pose tout de même comme une possibilité. C’est la crédibilité du modèle qui est en jeu.
Et vous, avez-vous déjà effectué ou réfléchissez-vous à des modifications statutaires ? N’hésitez pas à me contacter. Je serai ravi d’avoir votre retour sur vos motivations.
👍 Du lobbying positif pour une fois
90 grandes entreprises ont co-signé une tribune appelant à l’adoption de la directive européenne “The EU Nature Restoration Law” actuellement en débat, et très chahutée, au Parlement européen. Leur message est assez clair : “la nature est notre affaire, notre future, notre vie”. Pour les signataires, cette réglementation permettra de préserver la biodiversité actuelle et de restaurer notamment les espèces en voie de disparition. C’est pour eux un impératif sociétal, mais également sociétal.
Parmi les signataires, on retrouve des entreprises de secteur très divers comme Bel, Coca Cola Europe, Cemex, Danone, IKEA, Salesforce, ou encore Suez. C’est suffisamment rare d’avoir une coalition trans-sectorielle faisant du lobbying positif en faveur d’une réglementation environnementale qu’il faut le souligner.
Le vote sur le texte avait lieu aujourd’hui en commission, mais il a été reporté à fin juin, ce qui est paradoxalement une bonne nouvelle, car cela le maintient en vie.
⚽ Petit focus sur le sport
Tous les amateurs de sport le savent : aimer un sport génère une belle dose de dissonance cognitive. Je suis un grand fan de tennis. Mais d’un point de vue climatique, c’est un enfer ! Chaque semaine, des milliers de personnes prennent l’avion un peu partout dans le monde pour participer à des tournois. Lisez cet article qui essaie d’estimer le nombre de fois que les joueurs voyagent par an… On ne compte pas les quantités de bouteilles d’eau en plastique consommées ou de balles de tennis utilisées (changées tous les 9 jeux…). Mais, tellement de sports sont dans le même cas.
Ca commence à bouger. Depuis quelques années, Roland Garros cherche des pistes pour réduire son empreinte environnementale avec par exemple un partenariat pour le recyclage des balles de tennis. Le tournoi a lancé la Fresque écologique du tennis pendant la quinzaine inspirée de la Fresque du climat. Le tournoi de tennis féminin de Strasbourg est un des plus engagés à ma connaissance sur ces enjeux.
Certaines entreprises que certains qualifieraient “d’impact native” commencent également à se positionner. C’est par exemple le cas de Waterdrop qui propose des produits autour de la promotion de la consommation de l’eau sans usage de plastique. Ils sponsorisent plusieurs joueurs, dont Novak Djokovic et Taylor Fritz et sont devenus partenaires de l’ATP, l’organisme qui gère le circuit masculin.
Mais il y a tellement plus à faire. Une Fresque du climat pour le Top 100 serait plutôt pas mal je pense… On oblige bien toutes les joueuses et tous les joueurs suffisamment bien classés à participer aux principaux tournois de l’année qui sont aux quatre coins du monde : on pourrait bien faire quelque chose sur les enjeux environnementaux. A défaut, certains font de la compensation, comme Alizé Cornet.
Pour prolonger sur ce sujet des joueurs, et pour le rapprocher d’un autre sujet important, on commence de plus en plus à parler de santé mentale. Pas moins qu’en entreprise, cela reste un sujet tabou. Mais, cela change. Des joueurs et joueuses s’affichent avec leur psy dans leur box, comme Iga Swiatek. Certains prennent la parole sur le sujet : Naomi Osaka a avoué presque honteuse avoir commencé des séances de psy l’an dernier ; Lucas Pouille a évoqué sa dépression dans L’Equipe, la joueuse américaine Amanda Anisimova a parlé de son burn-out sur les réseaux sociaux. La newsletter
en parlait très bien il y a quelques semaines.Ce sujet de la santé mentale s’installe de plus en plus dans la société et touche tout le monde. Personne, pas même des sportifs professionnels aguerris à la pression, n’échappent à ce phénomène, d’autant qu’ils ne sont souvent jamais préparés à la gestion de leurs émotions, comme l’explique Gilles Simon dans Ce Sport qui rend fou.
Comme quoi sur les aspects sociaux et environnementaux, tout le monde doit progresser et j’espère que ces enjeux deviendront plus importants. Et les abus sont nombreux. Si l’on sort du tennis, regardez la FIFA qui s’est fait rattraper par la patrouille en Suisse pour avoir menti sans vergogne sur le fait que la Coupe du monde au Qatar serait neutre en carbone (quel choc n’est-ce pas !). De même, on voit régulièrement des rapports pointant du doigt le fait que beaucoup d’entreprises très polluantes sont les principaux sponsors des événements sportifs. Sur ce sujet, Sporsora a d’ailleurs récemment publié un guide pratique sur le partenariat sportif responsable.
Je l’ai déjà partagé dans un article de Ecofoot qui m’a interrogé il y a quelques mois : la société à mission peut être un cadre très pertinent également pour les entreprises du sport, mais également des associations (le club de rugby de Niort est ainsi devenue une association à mission). Les sujets sont très proches de ceux des entreprises classiques.
🤔 “La transition porte mal son nom”
Dominique Darbon, directeur de Sciences Po Bordeaux, et Emmanuel Hache, économiste prospectiviste à l’IFP Energies Nouvelles, ont donné un entretien passionnant à Usbek & Rica. Quelques extraits choisis :
“Plutôt que de parler de transition, il serait plus juste d'évoquer la notion de transaction, c'est-à-dire un processus qui lie le changement à une révolution cognitive, reconfigurant notre monde, nos besoins et notre futur. On est aujourd’hui plus dans la disruption que dans le changement à la marge et la continuité trompeuse que laisse penser le terme transition.” (Dominique Darbon)
“Une personne qui ne pollue pas, qui est sobre du point de vue de sa consommation, doit être valorisée. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. La transition écologique concerne également la transformation de nos représentations sociales – que ce soit dans notre rapport à la technologie ou à la richesse. Être riche, dans 40 ans, ça sera peut-être être sobre. Et c'est ça qu'il faut amener.” (Emmanuel Hache)
✒️ C’est quoi l’écriture responsable ?
Le langage peut être très manipulatoire et c'est pour cela qu'il doit être abordé de manière responsable. Mais comment ? C'est ce dont parle Jeanne Bordeau au micro du dernier épisode du podcast.
Je voulais traiter d'un sujet diablement complexe pour les entreprises: comment communiquer de manière authentique, pérenne, sans tomber dans le greenwashing et sans non plus craindre le pire à chaque fois qu'une ligne est publiée ?
Dans cet épisode, elle présente le pouvoir de l'écriture quand elle est bien utilisée et l'évolution de son utilisation au sein des entreprises, notamment à la lumière des réseaux sociaux.
Surtout, elle liste un certain nombre de critères de fond et de forme à respecter pour faire vivre l'écriture responsable avec ce message central: l'exigence de vérité.
Lien vers toutes les plateformes d’écoute (et un très grand merci de noter le podcast ou de laisser un commentaire !)
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Dans son podcast, Pauline Laigneau accueille Thomas d’Ansembourg pour un épisode très riche consacré à la communication non-violente.
Faire des plans Climat de 300 pages, c’est une chose, mais savoir bien les communiquer pour embarquer, c’est mieux. Découvrez l’exemple de San Francisco dans Fast Company.
L’Arctique pourrait connaître ses premiers étés sans glace dès la prochaine décennie, selon un nouveau rapport, soit dix ans plus tôt que prévu.
Des médecins utilisent ChatGPT pour être plus empathiques vis-à-vis de leurs patients. A lire dans cet article aussi perturbant qu’intrigant du New York Times.
J’aime découvrir des morceaux comme ça au détour d’une série, d’une playlist, d’un passage dans un magasin. C’est exactement comme ça que j’ai écoute mon coup de coeur du moment “Dermot (see yourself in my eyes)” de Fred again… Ce morceau est totalement entêtant, une sorte d’electro-pop dansante et positive parfaite pour les beaux jours.
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A la semaine prochaine,
Vivien.
Merci pour vos articles très pertinents et inspirants. La mise en lumière de l'action menée par San Francisco est très intéressante ! et le podcast sur le langage est passionnant !