#88 "On crame" vs "plume de chaleur"
Pourquoi le discours un peu coup de poing s'impose peu à peu / Décryptage de la mission d'Ecovadis et plein d'autres actus et analyses (11 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Quelle semaine dense ! Trois envois en une semaine. Je m’évertuerai à ne pas reproduire cela trop souvent…
Il paraît que nous subissons une “plume de chaleur”. C’est mignon comme terme non ?
Allez, passons au sommaire :
💭Edito : on crame et pour une fois on arrête de déguiser la réalité
🔢Décryptage de la mission d’Ecovadis (évaluation RSE)
👨👩👧👦Quelle est la politique familiale de votre entreprise ?
🙄Un sénateur américain recadre HSBC dans un océan de climatoscepticisme
🛑L’Ontario teste le droit à la déconnexion
❓La “grande démission” pointe son nez en France, ainsi que les idées pour la contrer
💡Les associations à mission, c’est pour quand ?
🖥️Pourquoi il vous arrive d’être impoli avec vos collègues en visio
🧠Un peu plus de jus de crâne avec la marchandisation du travail, le cerveau droit, les rouages et les boards scandinaves.
☝️Vote pour le prochain décryptage de mission : Groupe Grimaud (génétique animale et biopharmacie) vs CVE (producteur d'énergies renouvelables)
🎧Mon son de la semaine : Yeah Yeah Yeah (ft. Perfume Genius) - Spitting Off the Edge of the World
A déguster ou à picorer !
Edito
Il est 22h22 sur BFM TV. Le présentateur Maxime Switek interpelle son présentateur météo Marc Hay : “votre ton a changé, votre vocabulaire a changé”. Et lui d’expliquer que c’est volontaire, que le ton et les mots habituels ne suffisent plus pour que les gens comprennent ce qui se passe :
Il faut que les gens comprennent que la France clairement va cramer cette semaine (…) Qui a envie d’avoir 37° à la mi-juin ? Il faut qu’on change notre manière de parler de tout ça. (…) Ce n’est que la face émergée de l’iceberg. Ce qui s’est passé en 2019 se reproduit. Ce qui se produit en ce moment va se reproduire (…) Et tout ceci va aller en s’aggravant.
Début janvier 2021, il avait fait un bulletin météo fictif au 12 juillet 2050.
48 ans plus tôt, on y est presque (“loc” veut dire “avec des pics localisés à”.
Hier soir, BFM TV remet le couvert. Un sujet était consacré à ce pic de chaleur, à comment parler de cette thématique, aux types de mots employés.
Evidemment, on parle de ces sujets, parce qu’on est au cœur du cyclone. Mais, saluons tout de même la démarche. Cela arbore-t-il un changement de ligne éditoriale qui va amener a minima l’émission, voire la chaîne à consacrer de vrais sujets récurrents sur la thématique climatique, voire environnementale ? Il faut l’espérer.
Je me souviens d’une enquête il y a plus d’un an qui montrait que face au changement climatique, il fallait des catastrophes pour que les gens comprennent et acceptent vraiment de changer. Les catastrophes, elles sont déjà là, on commence à les subir directement et on les vivra qu’on agisse aujourd’hui ou non : la question est de savoir si, collectivement, nous accepterons de changer pour que dans 20-30 ans, ces catastrophes ne soient pas notre quotidien et celui des générations futures ? Accepterons-nous collectivement de nous appliquer à nous-même la vision de long terme que nous exhortons les entreprises et les pouvoirs publics d’avoir ?
Du côté de l’entreprise
🔢DECRYPTAGE DE LA MISSION D’ECOVADIS.
Merci à celles et ceux qui ont voté pour le décryptage de la semaine. Ecovadis l’a largement emporté. Je ne savais pas du tout qu’ils allaient devenir une licorne quelques jours après avoir annoncé leur passage en société à mission, mais le timing s’emboîte bien…
Ecovadis est bien connue dans les milieux RSE, puisque c’est une des principales entreprises référentes en matière de notation RSE. Donc, son passage en société à mission n’est pas très étonnant. Toutefois, notons le contexte : entreprise en forte croissance, qui ouvre son capital avec un tour de table exclusivement constitué d’investisseurs non-français. J’aimerais bien savoir comment ils ont géré tout cela.
Passons au décryptage.
La raison d’être :
Guider toutes les entreprises vers un monde durable.
C’est sobre et efficace. L’avantage est que ce type de phrase courte imprime facilement. Pas de mot superfétatoire, pas de concept ésotérique, pas d’ambages. Le verbe “guider” renvoie aux différentes activités d’Ecovadis qui ne fait pas que de l’évaluation RSE, mais également la cartographie des risques et désormais un module sur la décarbonation et un peu de formation. L’utilisation de “toutes les entreprises” est probablement volontaire, car Ecovadis défend un positionnement large sur le marché, comptant parmi ses clients autant des grands groupes que des PME.
“Vers un monde durable” est une formule convenue, qui ne signifie pas grand chose. On peut regretter ce choix, probablement l’objet de compromis en interne. Mais, c’est aussi le reflet de la longueur de cette raison d’être. Etant si brève, elle est forcément générique et peu spécifique. Elle ancre juste ce que l’entreprise fait déjà sans donner l’impression de mettre l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue.
Surtout, elle manque de singularité. Une raison d’être doit être unique à l’entreprise. Bien des entreprises de services pourraient adopter cette raison d’être. Je suis de plus en plus dubitatif sur l’utilité de ce type de raison d’être.
Les objectifs :
Fournir des évaluations RSE indépendantes et fiables, permettant la prise de décision, grâce à l’excellence de notre méthodologie
Cet objectif est évident : la méthodologie d’évaluation est le cœur du réacteur d’Ecovadis. Toutefois, je ne l’aurais pas formulé ainsi. L’intérêt de cet objectif aurait pu être centré sur la méthodologie, pas sur les évolutions RSE. On s’attend à ce que les évaluations soient indépendantes et fiables (après Orpéa, on sait qu’il y a du boulot…), mais surtout à ce que l’entreprise réinterroge en permanence sa méthodologie pour la rendre toujours plus robuste et en constante adaptation face aux évolutions.
Contribuer à l’amélioration continue des performances sociales et environnementales des entreprises, leur permettant de devenir actrices d’une économie régénérative et équitable
Cet objectif est en ligne avec le métier d’Ecovadis, mais deux choix de mots sont intéressants : “régénérative” et “équitable”. Ce ne sont pas des concepts qu’on retrouve beaucoup dans les communications d’Ecovadis. Comment les définissent-ils et quels objectifs opérationnels vont-ils mettre en place pour mesurer que les entreprises se mettent effectivement sur cette trajectoire ?
Cultiver un environnement inclusif, favorisant l’apprentissage de nos collaborateurs, afin d’offrir des parcours de carrière porteurs de sens et faire émerger les futures générations de professionnels du développement durable
J’aime bien l’idée de l’entreprise apprenante. Dans des entreprises fondées sur la connaissance et l’expertise, c’est judicieux. Il y a également un engagement vis-à-vis des plus jeunes collaborateurs, qui est intéressant.
Promouvoir l'action collective au sein de notre écosystème pour accélérer la transition vers un monde durable
Je pense que c’est un axe de développement pour l’entreprise. Elle a lancé son académie l’an dernier, soutient des initiatives sectorielles. Mais, je pense que cette logique écosystémique est encore à accélérer. On sait que “l’action collective” est un facteur de succès essentiel face aux transitions actuelles. Reste à voir comment cet objectif sera décliné opérationnellement.
Au global
Ces quatre objectifs sont plus profonds que la raison d’être, qu’ils viennent habilement renforcer. Ils sont clairs et ambitieux dans l’ensemble. Heureusement, car la raison d’être est le maillon faible de cette mission. Elle est trop générique et risque de ne pas être très utile. A l’inverse des objectifs, qui me semblent bien choisis, ambitieux et engageants.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
☝️A VOUS DE VOTER.
Comme chaque semaine, c’est à vous de choisir la mission que vous voulez voir analysée dans la prochaine missive. Quel décryptage de mission vous intéresserait ? Il suffit de cliquer sur votre choix.
🧬Groupe Grimaud (génétique animale et biopharmacie)
☀️CVE (producteur d'énergies renouvelables)
👨👩👧👦ET VOUS QUELLE EST VOTRE POLITIQUE FAMILIALE ?
PwC France vient de signer le Parental Challenge. Si vous en ignoriez l’existence et le contenu, quelques mots de présentation. C’est une initiative française qui ambitionne de créer de véritables politiques familiales en entreprise, prenant à la fois en compte ce que la loi dit, mais en allant au-delà. Les entreprises signataires s’engagent à respecter 12 engagements. Parmi ceux-ci : une application d’une politique parentale à tous les salariés peu importe leur ancienneté, l’autorisation et la rémunération des absences liées au parcours d’adoption, une parfaite communication des droits à tous les collaborateurs, un congé deuil en cas de fausse couche etc.
Parmi les signataires, ManoMano, Payfit, Veja, Ulule, Oé, ou encore OpenClassrooms. Plus d’informations sur leur site.
Du côté de la politique
🙄EST-CE QUE LES GENS SONT SERIEUX ?
Voici une lettre juste divine tellement elle est culottée ! Le sénateur républicain Steve Daines s’est fendu d’une lettre au PDG de HSBC pour le réprimander sur la suspension de Stuart Kirk suite à ses prises de position un peu trop candides sur le fait qu’il en avait assez de passer autant de temps à travailler sur le risques climatiques, exagérés à ses yeux et moins prioritaires que beaucoup d’autres sujets.
Vraiment, je vous encourage à lire cette lettre. Elle vous fera (probablement) bondir sur de nombreux points. J’en retiens quelques-uns :
J’adore l’idée qu’un Républicain, fier chevalier du non-interventionnisme étatique, écrive à un PDG pour se plaindre du traitement d’un employé !
Il trouve le moyen de considérer BlackRock comme partisan “d’une idéologie environnementale extrême à travers l’économie”. Vu les récentes déclarations de Larry Fink, on peut mettre ce sénateur dans le camp des climatosceptiques hardcore !
Il compare “l’idéologie environnementale” des services financiers à l’état de pensée unique qui prédominait aux débuts des années 2000 sur le marché de l’immobilier et qui a conduit à la crise de 2008.
Il dénonce tout type de transition énergétique sur la base d’une forte impopularité de ces initiatives et des investissements nécessaires qui dégraderaient l’économie américaine.
Rien que ça !
🛑LE DROIT A LA DECONNEXION DANS LA LOI.
L’Ontario, province canadienne, inscrit dans la loi du droit à la déconnexion. A la différence de la France, le droit à la déconnexion est clairement défini : “not engaging in work-related communications, including emails, telephone calls, video calls or sending or reviewing other messages, to be free from the performance of work”.
Les législateurs s’inspirent de l’expérience française. Pour rappel, le droit à la déconnexion est inscrit dans la loi et donc obligatoire, notamment pour toute entreprise de plus de 50 salariés. Chaque entreprise doit définir une charte du droit à la déconnexion. Toutefois, aucune définition claire existe, ce qui, dans un contexte d’hybridation du travail peut s’avérer problématique. Certains secteurs ont pris les devants en négociant des accords de branche, comme le Syntec. Mais, il est certain que toutes les négociations sur ce droit à la déconnexion sont pré-Covid et mériteraient souvent d’être revisitées.
Du côté des idées
❓A TOUT PROBLEME UNE SOLUTION ?
On commence à ne plus trop savoir quelle solution chercher face aux difficultés de recrutement et de fidélisation. Tout le monde est touché, mais l’ESS pourtant pourvu d’une image d’utilité sociale, comme l’explique cette tribune dans Les Echos Start.
De leur côté, Emeric Oudin et Julien Leclercq, respectivement président et vice-président du Cercle des jeunes dirigeants, écrivent dans Le Monde que la solution doit combiner les principes de transparence (communiquer sur la vision), de souplesse (davantage de flexibilité dans l’organisation du travail quand c’est possible), de partage (de valeur économique avec l’épargne salariale, l’intéressement etc.), d’engagement (ajouter des critères de performance extra-financière) et de transmission (accès à la formation, mobilité interne etc.). S’ils semblent tous de bon sens, c’est la conjugaison des cinq qui est difficile à tenir dans le temps.
L’économiste Olivier Favereau pointe du doigt un autre phénomène dans une tribune au Monde. Cette tendance de “la grande démission” s’affirme dans une hétérogénéité de pays, mais assez peu en Autriche, en Allemagne et dans les pays scandinaves. La raison ? Selon lui, le principe de “co-détermination”, qui est ancré dans les modes de gouvernance de ces pays, corrige le tir. La présence forte des salariés dans les instances de gouvernance permet de mieux les impliquer et ainsi construire un dialogue fertile avec la direction.
💡LES ASSOCIATIONS A MISSION, C’EST POUR QUAND ?
Michel Abhervé est un observateur très critique de la société à mission. Dès qu’il peut l’épingler sur son blog Alter Eco, il ne s’en prive pas. Il a saisi une opportunité qui nourrit toutefois un débat intéressant. L’UPE13, Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône, a changé ses statuts et se déclare comme entreprise à mission.
L’auteur rappelle que les associations ne peuvent pas être des sociétés à mission, et pour lui, cela n’a aucun sens, puisque les associations ont leur mission inscrite dans les statuts. Il voit un dangereux effet de mode !
En effet, les associations sont aujourd’hui exclues des dispositifs de mission. Certaines sont pourtant intéressées du côté des clubs sportifs ou des écoles. J’aime bien l’idée de Michel Abhervé que toutes les associations ont leur mission ancrées dans leurs statuts. Mais disons que la réalité quotidienne et la gestion des associations peuvent parfois soulever quelques questions. Surtout, beaucoup d’associations fonctionnent véritablement comme des entreprises. Une évolution ne serait pas dénuée de sens. Le rapport Rocher l’avait d’ailleurs recommandé.
🖥️GERER L’IMPOLITESSE.
Une étude de Perceptyx a montré que les personnes ayant des agendas extrêmement chargés en rendez-vous (surtout pour le distanciel) ont tendance à être plus impolis vis-à-vis de leurs collègues. Cette tendance est encore plus marquée, lorsque votre agenda ne suit pas un rythme assez routinier, genre on vous colle des rendez-vous dans votre agenda dès que vous avez un trou sans forcément vous demander si vous êtes disponible…
L’article de Fast Company prodigue quelques bons conseils utiles (mais pas toujours simples à tenir dans la durée) :
cadencer les agendas des équipes : par exemple en bloquant une demi-journée sans call pour faire du travail de fond qui nécessite de la concentration ;
confirmer que la réunion est nécessaire et voir si elle ne pourrait pas être condensé en 45 minutes au lieu d’une heure par exemple ;
avoir des ordres du jour pour les réunions et établir les attendus.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
Le travail n’est pas une marchandise. Contenu & sens du travail au XXIe siècle : passionnant cours au Collège de France d’Alain Supiot
Quelques leçons à tirer du fonctionnement des boards dans les pays scandinaves distillées dans un article de l’INSEAD
Après la bifurcation, une étudiante d’HEC interpelle ses congénères pour qu’ils réfléchissent à quelle rouage ils veulent être dans la société
Emery Jacquillat, président de la Camif et de la Communauté des entreprises à mission, est toujours aussi ingénieux : la RSE servirait le cerveau gauche, tandis que la société à mission stimulerait le cerveau droit
Mon son de la semaine
Difficile de choisir cette semaine, mais je me suis arrêté sur “Spitting Off the Edge of The World”, le nouveau single de Yeah Yeah Yeahs avec Perfume Genius. Ce single marque le retour du duo après près de 10 ans d’absence. Il est caractéristique des “power ballads” du groupe, avec ce côté toujours entêtant et puissant. De manière métaphorique, le morceau parle du changement climatique et des jeunes qui se retrouvent au bord du précipice à s’en prendre leurs aïeux.
Si vous êtes arrivé.e jusque là, j’ai un petit service à vous demander : cliquez sur ❤ si vous appréciez la missive. Cette newsletter est un projet de passion et de partage. Vos encouragements sont importants ! Cela me permet également de savoir les sujets qui vous intéressent.
Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues. Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs !
Vous souhaitez être accompagnés vers la société à mission ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement, échanger sur vos réflexions liées à la raison d’être ou la société à mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.