#88 Décryptage croisé des missions de Montlimart et M. Moustache (mode)
Analyse des raisons d'être et des objectifs
Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici le dernier décryptage de la saison avant une pause estivale. Je vous propose un décryptage croisé entre deux marques de mode masculine passées société à mission presque en même temps et occupant peu ou prou le même créneau.
Pourquoi ce choix ? Pour montrer que même deux entreprises d’un même secteur peuvent adopter des approches très différentes dans la rédaction de leur mission et dans le choix des impacts positifs sur lesquels elles souhaitent se positionner.
C’est un aspect que je souligne souvent : une entreprise se fixe sa mission, ses objectifs, ses ambitions et ses moyens à partir de qui elle est et ce qu’elle veut et doit devenir pour se pérenniser et se développer. Même dans des secteurs où les problématiques sont assez partagées—en l’occurrence, l’industrie de la mode émet trop de CO2, recycle trop peu et incite trop souvent à une forme de surconsommation—on peut mettre en avant des dimensions propres à chaque entreprise.
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Montlimart et M. Moustache sont deux marques de mode qui affichent des engagements dans les modes de production et les matières choisies. Montlimart existe depuis 2017 et appartient au groupe ERAM. Peut-être a-t-elle trouvé inspiration chez Faguo—le groupe ERAM était très présent au capital jusqu’à une récente levée de fonds début 2023.
M. Moustache a été fondé en 2012. Je perçois une accélération dans le positionnement marketing de la marque depuis sa levée de fonds l’an dernier auprès de Cuir Invest. Outre son développement, cette levée devait permettre à M. Moustache d’accélérer sur les projets de responsabilité d’entreprise.
Les raisons d’être
M. Moustache :
Construire une mode qui donne le sourire à la planète et à ses habitants.
Montlimart
Agir continuellement pour limiter l'impact de la mode sur la biodiversité.
Les deux entreprises ont fait le choix d’une raison d’être brève, mais avec des orientations assez différentes. Les deux se placent bien dans la mode, mais l’une cherche une vision positive, tandis que l’autre part sur la négative.
M. Moustache a privilégié une forme plutôt métaphorique, avec “donner le sourire”. C’est un parti pris, mais qu’il faut utiliser avec précaution. En l’occurrence, on ne comprend pas vraiment ce que cela signifie. “Donner le sourire à la planète” manque de clarté ; et “donner le sourire à ses habitants” peut laisser penser à des chaussures colorées. C’est globalement le cas en effet. Mais, cela ne recouvre pas vraiment tout ce que l’entreprise implique.
Chez Montlimart, le choix s’est porté sur une raison d’être qui invite à penser par la négative avec “limiter l’impact de la mode sur la biodiversité”. Je suis souvent étonné par ce choix, parce que je trouve que cela donne des raisons d’être moins énergisantes. Certes, c’est un combat très juste, mais qu’on peut attendre d’entreprises de conseil en RSE spécialisées dans la mode ou d’ONG. Peut-on se dire que la raison d’être d’une entreprise est uniquement d’avoir un impact moins négatif ?
Au niveau de la singularité, le recours au sourire chez M. Moustache lui donne un côté plus identitaire que la raison d’être de Montlimart qui ne fait pas vraiment ressortir d’élément d’ADN, si ce n’est la focale sur la biodiversité, ce qu’on peut trouver un peu restrictif vu l’empreinte carbone de la mode.
Pour le reste, les termes sont assez fréquents ; “construire” peut toutefois étonner pour une marque de mode.
Dans l’ensemble, ces deux raisons d’être positionnent les entreprises dans une trajectoire d’amélioration continue. Il s’agit de faire différemment. C’est un point important d’une raison d’être.
Les objectifs :
Les deux approches des objectifs sont très distinctes. M. Moustache concentre trois des quatre objectifs sur l’environnement, tandis que Montlimart adopte une approche plus large.
Le choix de M. Moustache est peu commun et pas forcément le plus adapté. Les trois objectifs auraient pu être concentrés en un seul tant ils participent d’une même dynamique. Je ne serais pas surpris qu’il y ait une refonte des statuts au moment de l’audit pour rationaliser cela.
Point intéressant toutefois l’utilisation de “l’environnement”. Aujourd’hui, M. Moustache a une approche très carbone. Je n’ai pas trouvé d’informations sur la biodiversité et très peu sur les ressources naturelles. Par ailleurs, vu les débats sur la compensation carbone, je ne l’aurais pas mise dans les statuts, même si l’entreprise insiste bien sur le fait que l’on parle des émissions résiduelles.
Le dernier objectif social fait écho à “donner sourire à ses habitants”. Notez que cette dimension sociale n’est pas présente dans les objectifs de Montlimart. C’est assez adapté, mais le terme de “mode positive” apporte de la confusion. Que signifie-t-il ?
Chez Montlimart, chaque objectif traite d’une dimension particulière, mais au point que cela surprend, car la raison d’être paraît trop réductrice à la lumière de ces objectifs. Vous noterez qu’on ne parle qu’indirectement de carbone via la “fabrication proche”, terme que je trouve d’ailleurs un peu flou. Sachant que tous leurs vêtements sont produits en France, Espagne ou Portugal (de ce que j’ai vu), j’aurais formulé un objectif plus engageant. Néanmoins, je trouve plus judicieux d’orienter l’objectif sur une finalité plutôt que sur le moyen de la réduction des émissions comme chez M. Moustache.
L’objectif de préservation de la biodiversité est, à l’inverse, un peu trop fort. Les actions de Montlimart porte autour des abeilles ; c’est essentiel, mais cela préserve-t-il la biodiversité dans sa globalité ? Par ailleurs, Montlimart privilégie encore beaucoup le cuir animal. Comme le dit M. Moustache sur son site, le cuir animal est une matière première, pas juste un déchet de l’industrie agroalimentaire.
L’objectif concernant la consommation responsable est clé ; c’est d’ailleurs un manque chez M. Moustache. Je m’interroge juste sur le terme de “convaincre”. Comment mesurer que Montlimart parvient effectivement à convaincre ses clients à consommer plus responsable ? Certains diraient : une baisse du CA, parce que consommer responsable, c’est consommer moins ; d’autres diraient une augmentation du CA, parce que choisir Montlimart, c’est consommer responsable…
Le dernier objectif est également intéressant, car même si beaucoup de produits sont fabriqués en France, il est important que les clients se rendent compte que la totalité du produit n’est pas française par exemple. Cela peut couler de source, mais la mode est un milieu opaque de l’extérieur avec pas mal d’intermédiaires et de fournisseurs différents avant d’arriver au produit fini.
Globalement, les objectifs de Montlimart sont toutefois très pertinents et engageants, mais beaucoup ne complètent pas la raison d’être. Il y a un manque de cohérence assez important.
Au global pour Montlimart
✅ Les objectifs abordent de nombreux points qui vont l’amener à embarquer son écosystème dans sa démarche.
✅ Il est très bien d’avoir mis l’objectif de consommation responsable. Certains pourraient le voir comme un frein à la croissance (pas de solde, pas de marketing outrancier permanent etc.), mais cela peut être un levier très fort de communauté. Dommage d’ailleurs que cette dimension n’ait pas été plus explorée.
✅ Parler de la transparence est un élément important. La mode est un univers opaque. La volonté de traçabilité devient de plus en plus prégnante chez les consommateurs.
📶 La raison d’être est peu énergisante avec son côté porté par la négative de “limiter l’impact”. C’est dommage de n’avoir pas cherché à faire ressortir une identité forte positive.
📶 Il y a un manque de cohésion entre la raison d’être et les objectifs. En quoi la transparence favorise-t-elle à limiter l’impact sur la biodiversité par exemple ? De même, la fabrication proche relève davantage du carbone que de la biodiversité. L’entreprise aurait pu ajouter des aspects liés aux savoir-faire qu’elles souhaitent maintenir via sa “fabrication proche”.
📶 Attention également au premier objectif : “préserver la biodiversité” est très global, alors que Montlimart s’engage avant tout sur la protection des abeilles.
Au global pour M. Moustache
✅ Utiliser “le sourire” dans la raison d’être est un choix intéressant, car c’est un élément de l’univers de marque de l’entreprise.
✅ L’objectif portant sur le soutien aux personnes dans le besoin pourrait a priori relever de la RSE, mais en regardant de plus près, c’est très lié à l’activité de l’entreprise. C’est malin de l’insérer même si le terme de “mode positive” vient créer un peu de confusion.
📶 Le pendant d’utiliser “le sourire” dans la raison d’être, d’autant plus qu’elle est courte, c’est qu’elle n’est pas très claire. Ce que revêtent “Donner le sourire à la planète” et “donner le sourire à ses habitants” n’est pas évident.
📶 Les trois premiers objectifs auraient pu être réunis en un seul. Les trois sont un moyen au service d’une cause, qui n’est malheureusement pas explicitée. Il faudra également pour M. Moustache accélérer ses actions sur les autres aspects de l’environnement, car elle est aujourd’hui centrée sur le carbone.
📶 On peut s’étonner que les seuls objectifs choisis portent sur l’impact environnemental et le soutien à des personnes dans le besoin. Ils auraient pu se fixer un objectif sur le recyclage, une démarche sur laquelle l’entreprise commence à s’engager et qu’elle aurait pu vouloir davantage afficher pour s’obliger à accélérer dessus.
Au global pour les deux
⚠️Dans les deux cas, je m’interroge sur l’absence d’objectif concernant les partenaires et fournisseurs. Aucune de ces marques n’a d’usine et donc elles s’appuient sur un tissu de partenaires. Il m’aurait paru utile d’avoir un objectif porté sur cet enjeu : autant sur la sélection de partenaires qui répondent à leur mission sur les aspects environnementaux que sur les savoir-faire de leurs partenaires dont les entreprises sont complètement dépendantes. Il est de la responsabilité des marques d’accompagner leurs partenaires à évoluer.
⚠️Egalement, aucun des objectifs n’aborde le capital humain. Je le relève juste pour montrer deux exceptions à une règle communément admise, car souvent les missions portent une dimension interne. Je ne milite pas nécessairement pour cela—les habitués des décryptages le savent—mais c’est un parti pris.
⚠️Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Je valorise le travail fourni en interne pour aboutir aux missions décryptées et offre simplement un avis, que j’espère, éclairé.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
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A demain,
Vivien.