#87 Décryptage de la mission de Nestlé Health Science France
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires de l'entreprise
Chères lectrices, chers lecteurs,
Non, les décryptages de mission n’ont pas disparu. Mon temps pour les réaliser a lui bien fondu ces dernières semaines. Je reprends donc du service avec l’analyse de Nestlé Health Science France, qui avait fini tellement proche de Jules lors du dernier vote que je ne voulais pas créer de frustration chez certains.
Pour rappel, vous pouvez retrouver tous les décryptages de mission assez facilement, en cliquant sur le lien.
Pour le dernier vote avant les congés, je vous proposerai un décryptage croisé de deux missions d’entreprises du même secteur, qui ont récemment changé leurs statuts : M. Moustache (chaussures) et Montlimart (vêtements et chaussures). Dans le cadre de la société à mission, on évoque souvent la notion de singularité, mais je sais aussi que beaucoup d’entreprises ont du mal avec cette notion, soit à la refléter dans leur mission, soit même à vouloir la refléter. Rien de mieux que de comparer deux missions d’entreprises évoluant dans le même secteur.
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Choix très atypique pour moi, mais je vous propose “Food, Glorious Food” de la comédie musicale britannique Oliver. C’est un morceau très enjoué qui donne envie de rejoindre ce chœur de jeunes chanteurs !
Nestlé Health Science est une filiale de Nestlé fondée officiellement en 2011, mais qui s’appuie sur des activités lancées dès les années 1960. L’entreprise est présente partout dans le monde et compte 11000 collaborateurs, dont 400 dans la filiale française.
C’est donc une première pour le groupe d’avoir une filiale qui change ses statuts. A titre d’exemple, la filiale italienne n’est pas societa benefit. Comme vous le verrez, NHS France s’appuie sur le “purpose” du groupe qui préexistait ce passage en société à mission. Je reviendrai dessus ultérieurement, car c’est une pratique fréquente, mais est-elle toujours judicieuse ?
La raison d’être
Aider à vivre en meilleure santé, aujourd’hui et demain, grâce à la nutrition.
La raison d’être est claire. Aucun terme ne vient en obscurcir le sens ou créer de la confusion. On comprend le secteur de l’entreprise et son niveau d’intervention : le lien entre l’alimentation et la santé. Elle n’est pas très identitaire, mais le choix s’est porté sur une raison d’être simple et efficace.
Le lien avec l’activité est évident. Certes dans l’agroalimentaire comme la maison mère, la spécificité de Nestlé Health Science France ressort explicitement : la santé. La contribution sociétale que l’entreprise vise est ainsi bien apparente : vivre en meilleure santé. Dans ce sens, tout produit qui pourrait ne pas remplir cet objectif devra être abandonné.
On saisit également que l’entreprise se positionne sur des aspects plus médicaux que sur l’alimentation au sens large via l’usage du terme “nutrition”, qui fait référence au domaine scientifique. Et c’est bien le cas puisque NHS France intervient sur la nutrition clinique et la très grande majorité de ses produits est à prendre sous contrôle d’un professionnel de santé.
On peut toutefois trouver cette raison d’être un peu générique. Elle ne fait par exemple que très indirectement état de tout ce que l’entreprise propose en matière de services, par exemple sur le dépistage de certaines allergies ou les travaux de sensibilisation, de formation et d’accompagnement réalisés auprès des professionnels de santé, des aidants et des patients.
Une des raisons est que le terme de “nutrition”, clair en surface, mériterait d’être complété. En effet, en lisant le communiqué de presse, on se rend compte que la définition de nutrition a évolué et inclut par exemple la pratique sportive.
Par ailleurs, l’expression “aujourd’hui et demain” pose question. Je présume que c’est pour inscrire la logique de parcours tout au long de la vie, mais si c’est le cas elle est étrangement amenée. En l’état, on a l’impression que NHS France va poursuivre l’ambition de sa raison d’être “aujourd’hui et demain”, ce qui est tautologique.
Bref, la recherche de concision amène à une raison d’être qui est facile à mémoriser, mais appelle à beaucoup d’explications pour être vraiment comprise, ce qui est dommage.
Les objectifs
Œuvrer pour favoriser la prévention et améliorer les habitudes de santé
Cet objectif est assez étrangement formulé. ‘Œuvrer pour favoriser… et améliorer’ est peu engageant. Cela traduit un engagement de moyens, pas de résultats. Si les moyens mis en œuvre ne favorisent rien en réalité et n’améliore aucune pratique, faut-il continuer dans cette voie ? La question se pose d’autant plus qu’un objectif de mission appelle à mesurer l’impact des mesures prises.
Plus embêtant, on ne comprend pas de quelle prévention on parle. Peut-être est-ce clair pour l’entreprise, mais un lecteur externe s’interrogera sur cette “prévention”. Je suppute, en m’étant renseigné, que cela concerne la “dénutrition”, mais sans certitude.
Néanmoins, je trouve intéressant d’évoquer “les habitudes de santé”, car cela renvoie bien à la raison d’être qui dépasse les aspects strictement alimentaires.
Contribuer à protéger la planète pour préserver la santé
Cet objectif est moins attendu à la lumière de la raison d’être, mais NHS France le justifie parfaitement : l’agroalimentaire est un poste d’émission de gaz à effets de serre très important. Il est donc normal que l’entreprise s’engage dans cette démarche qui semble une piste de développement à venir.
Toutefois, cet objectif n’est pas cohérent avec la raison d’être. En effet, rien ne fait mention de cette dimension environnementale.
Mon tip : il est important qu’il y ait une complémentarité et une cohérence parfaites entre la raison d’être et les objectifs. Posez-vous toujours deux questions : tous les aspects de la raison d’être sont-ils appuyés par un objectif ? Tous les objectifs sont-ils portés par la raison d’être ? Si ce n’est pas le cas, cela signifie que votre mission est bancale. Ce n’est pas qu’une question de forme. Dans des situations de choix, si un objectif n’est pas associé à la raison d’être, il paraîtra moins essentiel et donc vous vous permettrez davantage de compromis. De même, vos équipes et plus largement votre écosystème connaîtra davantage les piliers de votre raison d’être que vos objectifs statutaires.Faire de nos collaborateurs les premiers bénéficiaires et ambassadeurs de notre mission.
De prime abord, la formulation est assez étonnante, parce qu’on ne comprend pas bien comment les collaborateurs peuvent être les “premiers bénéficiaires”. Au-delà du sujet de savoir pourquoi eux plus que les autres se pose la question de la véracité du propos. C’est là que le manifeste de mission offre quelques éléments utiles. Il s’agit par exemple d’accompagner les collaborateurs aidants ou malades ou de faciliter l’engagement auprès d’associations sociales ou environnementales.
Mon tip : lorsque vous communiquez en interne et/ou en externe sur votre mission, je vous conseille d’agrémenter les éléments statutaires d’un manifeste de mission. Ce peut être une page Internet, un document bien mis en forme, un communiqué de presse. L’important est que vous apportiez un complément d’informations sur le choix de votre raison d’être et de vos objectifs statutaires. En faisant cela, vous donnez plus de corps à votre mission et surtout vous pouvez déjà apporter des pistes d’action, qui rendent la démarche encore plus concrète.Je comprends la pertinence possible de cet objectif, mais le lien avec la raison d’être est ténu. Cela relève davantage d’une politique RSE. Rappelons déjà l’existence légale d’un congé de proche aidant ; en faire plus participe d’une politique RH et de QVT. Il en va de même de l’engagement des collaborateurs auprès d’associations, ou alors faut-il qu’ils ne participent qu’à des organisations participant à une meilleure santé. Se pose alors la question : l’entreprise doit-elle imposer cela ?
Au global :
✅ La raison d’être explicite clairement la contribution sociétale de l’entreprise. Cela confère à la mission dans son ensemble une dimension contributive qui dépasse les murs de l’entreprise.
✅ Le deuxième objectif statutaire est très intéressant, car il va pousser l’entreprise à réfléchir différemment en intégrant plus systématiquement les aspects environnementaux.
📶 Le pendant est que cet objectif et le troisième ont des liens ténus avec la raison d’être. Le résultat est que la mission d’ensemble manque un peu de cohérence.
📶 Le premier objectif est très pertinent, mais il est tellement large qu’il couvre presque le champ d’une raison d’être à lui tout seul. Il aurait pu être utile de le scinder pour avoir des objectifs, qui chacun, traitent par exemple des parties prenantes de l’entreprise : les praticiens de santé, les patients et les aidants. Ou sur les aspects “produits” et les aspects “services”. En l’état, il est beaucoup plus global que les deux autres, ce qui crée un déséquilibre.
📶 La raison d’être est assez générique. Elle s’éloigne très peu du “purpose” du groupe Nestlé Health Science—ils ont juste rajouté “aujourd’hui et demain” dont la clarté n’est pas totale. Cette raison d’être semble un peu trop restrictive par rapport au champ d’action de l’entreprise et à certains objectifs, et aurait mérité d’être un peu explicitée, par exemple avec une seconde phrase. Cela aurait permis de suivre la logique du groupe tout en apportant des détails utiles dans le cadre d’une mission.
⚠️Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Je valorise le travail fourni en interne pour aboutir aux missions décryptées et offre simplement un avis, que j’espère, éclairé.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
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A demain,
Vivien.