#86 La crainte du greenwashing peut empêcher d'agir
Egalement TRES GROSSE NOUVELLE / Décryptage de la mission de Crédit Mutuel Arkéa et plein d'autres actus et analyses... (12 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Aujourd’hui est un grand jour ! J’ai reçu mon extrait Kbis. La Machine à sens a donc désormais une existence juridique. J’avoue être un peu ému, parce que cela marque officiellement le lancement de mon entreprise.
J’anticipe la question : j’ai décidé de ne pas la créer à mission, mais évidemment, je suis en chemin. Je me donne deux ans pour bien structurer mon activité, préparer le terrain des évolutions à venir, voir comment elle se développe, pouvoir interroger diverses parties prenantes et avoir un peu de recul sur les actions déjà menées.
Mais, le plus important est que mon entreprise est lancée. C’est excitant !
Passons au sommaire :
💭La crainte du greenwashing empêche parfois d’agir
🏦Décryptage de la mission de Crédit Mutuel Arkea
📊Quels sont les obstacles que rencontrent les entreprises à impact ?
🚫La SEC cherche à limiter le greenwashing chez les acteurs financiers
👏Bravo au Monde
🥽L’industrie plastique européenne a besoin d’un nouveau souffle
🖌️L’observatoire des entreprises à mission fait peau neuve
📖Recension de Les Vraies gens. Sociologie de trottoir de Guillaume Meurice
🧠Un peu plus de jus de crâne avec les tiers lieux, la science fiction sur Terre, un cabinet de data et IA pas comme les autres, le leadership par la fiction et la promotion des seniors
🎧Mon son de la semaine : The Black Keys - “Weight of Love”
🙋Le vote pour le prochain décryptage : Balzac (mode) vs OLY Be (bien-être - cours de yoga)
Et si vous l’avez manqué : j’ai sorti 50 nuances de missions. Comment les entreprises se saisissent de la société à mission. Un rapport qui revient sur deux ans d’observation, d’analyses et d’échanges sur les entreprises à mission.
Bonne lecture de la missive !
Edito
Le greenwashing, c’est une épée de Damoclès qui pèse au-dessus de la tête des entreprises. Certaines s’en accommodent parfaitement, voire un peu trop, d’autres la craignent fortement. Pour elles, cette crainte peut représenter un frein pour devenir entreprise à mission. C’est un mythe à déconstruire : la société à mission est un cadre de progrès, pas un label de vertu.
Le greenwashing est un phénomène bien réel et toutes les entreprises sont concernées. Le phénomène est certes plus prégnant en B2C, mais le B2B n’y échappe pas non plus. Néanmoins, certains secteurs sont regardés de près par les ONG. De plus, la loi se durcit contre le greenwashing. A titre d’exemple, la loi AGEC interdit désormais l’utilisation de certains termes pour définir un produit. Ainsi, la mention “respectueux de l’environnement” ou ces équivalences ne sont plus autorisées sur les produits ou les emballages. De quoi conduire certaines entreprises à adopter le discours : “vivons heureux, vivons cachés”.
Il est vrai que les chevaliers de la chasse au greenwashing peuvent parfois être extrêmes, en occultant la réalité des entreprises, et le temps et les investissements nécessaires pour changer, voire se transformer. La sanction peut tomber très vite, parfois de manière injuste.
Faut-il pour autant ne rien dire et ne rien faire ?
Une des victimes de la gâchette facile, c’est l’entreprise à mission. Qui n’a pas en mémoire les réactions suite à l’annonce de Philip Morris France que l’entreprise adoptait une raison d’être ? Imaginez si elle avait annoncé devenir société à mission…
Dans un rapport sorti la semaine dernière, je distingue sept grandes motivations pour devenir société à mission. L’une d’elles est de formaliser une transformation d’entreprise, de donner un cadre ancré dans la constitution de la société. Une manière d’affirmer clairement qu’il n’y aura pas de retour en arrière.
Beaucoup de secteurs sont bousculés par de nouvelles réglementations et par l’évolution des attentes clients et des collaborateurs. Ces entreprises doivent se réinventer. Ces transformations peuvent être longues, fastidieuses et coûteuses, mais elles sont nécessaires.
Pour les entreprises qui souhaiteraient se projeter sur la société à mission, doivent-elles attendre la fin de leur transformation pour se lancer dans la démarche, sous peine de se faire taxer de greenwashing ? Ce serait regrettable.
En effet, la société à mission est un cadre d’amélioration continue. Il n’indique pas que l’entreprise est parfaite—aucune ne peut l’être— ou qu’elle est absolument vertueuse. Devenir société à mission, c’est affirmer en interne et en externe que l’entreprise souhaite contribuer à la résolution d’enjeux sociaux ou environnementaux et qu’elle va s’en donner les moyens et orienter toute son activité et son organisation dans cette direction.
C’est “un cadre de progrès” pour reprendre les termes d’Emery Jacquillat lors de l’AG de la Communauté des entreprises à mission. L’important est que l’entreprise soit authentique dans sa démarche et cohérente entre ses intentions et ses actions.
Il y aura des personnes qui jugeront, qui brandiront le drapeau du greenwashing. Il y en a toujours. Mais ils seront minoritaires et peu influents. Surtout, certains pourront effectivement pointer du doigt des axes d’amélioration. Mais, on vous reprochera toujours plus de ne rien faire, que de ne pas suffisamment bien faire, surtout si votre trajectoire est authentiquement de vous transformer.
Du côté des entreprises
🏦 DECRYPTAGE DE LA MISSION DE CREDIT MUTUEL ARKEA.
Le vote était très serré la semaine dernière, donc j’ai décidé de traiter également Crédit Mutuel Arkéa. En plus, c’est un cas de figure assez intéressant. En effet, la banque coopérative a inscrit sa raison d’être dans ses statuts quelques jours avant la promulgation de la loi Pacte en mai 2019. Elle avait déjà décliné ses cinq objectifs qui n’étaient pas dans les statuts.
Trois ans plus tard, et une conviction toujours intacte, le passage en société à mission a été validé en AG. Ce choix de le faire en deux étapes aussi éloignées est peu banal, mais peut s’expliquer par la volonté de faire vivre la raison d’être pour bien la décliner, pour convaincre la totalité du groupe (filiales et caisses locales comprises) et j’imagine que le Covid a un peu ralenti les choses. Trois ans, c’est long, mais cette démarche en deux étapes peut être pertinente. Passons au décryptage !
La raison d’être
Nous voulons être acteur d’un monde qui se conçoit sur le long terme et prend en compte les grands enjeux sociétaux et environnementaux de notre planète pour les prochaines générations. Nous y contribuons en pratiquant une finance au service des territoires et de leurs acteurs, qui s’inscrit dans la durée et aide chacun à se réaliser. À cette fin, nous avons fait le choix d’être une banque coopérative et collaborative qui favorise un partage équilibré de la valeur avec ses sociétaires, clients, salariés, partenaires et territoires. Une entreprise solidaire, éthique et inclusive, qui est attentive au respect de son environnement. Au quotidien, nous développons, en collaboration avec nos parties prenantes, des solutions innovantes pour accompagner nos sociétaires et clients dans leurs projets de vie et répondre à leurs aspirations.
Une raison d’être clairement parmi les plus longues qu’on puisse trouver. Elle fera fuir les apôtres des raisons d’être courtes et mémorables. Je suis partagé par ce type de formulation. Il y a en tellement pour tout le monde que l’aiguille de la boussole peut vaciller un peu dans tous les sens. Pour moi, on est presque dans le manifesto. Si d’aventure une collaboratrice veut s’y référer dans ses activités au quotidien, il faut s’armer d’un peu de patience. Je pense qu’il aurait fallu une formulation plus courte, quitte à ce qu’elle soit augmentée de ce manifesto.
Sur le fond, pas grand chose à dire. On sent que l’entreprise a voulu couvrir beaucoup de champs. C’est une affirmation de tous les engagements pris par la banque depuis plusieurs années maintenant.
Les objectifs :
Prendre nos décisions en visant une approche équilibrée entre performance financière et impact - sociétal et environnemental – positif, par l’exercice d’une gouvernance coopérative ancrée sur nos territoires
Accompagner chacune de nos parties prenantes dans sa transition environnementale
Développer des coopérations territoriales et s’engager en faveur de la vitalité locale
S'engager pour l'inclusion et cultiver une relation de confiance durable avec tous nos sociétaires et clients, des précurseurs aux plus fragiles
Favoriser l’engagement de notre collectif au service de l’intérêt commun, en faisant notamment vivre nos valeurs mutualistes
La complémentarité entre la raison d’être et les objectifs est claire. Chaque objectif vient renforcer la mission dans son ensemble. Le premier est très fort et s’incarne notamment par le développement d’une méthode de calcul de la performance globale incluant des indicateurs extra-financiers.
Le second est complémentaire, puisque par les métiers de financement, Crédit Mutuel Arkéa peut effectivement être un acteur de la transition. Le troisième reflète la volonté d’être un acteur de proximité, très présent dans l’ADN du groupe avec ses caisses locales notamment. Le quatrième reprend les notions de solidarité présentes dans la raison d’être. Le dernier objectif n’est pas très explicite, mais le site de présentation de la mission explique qu’il traite des collaborateurs et de la volonté de favoriser la diversité, la mixité et des parcours de carrière épanouissants. Pas évident vu la formulation.
Au global
Cette mission a nul doute beaucoup de vertus, parce qu’elle grave dans le marbre des engagements forts pris par l’entreprise. Elle est forcément assez singulière. Vu sa longueur, l’inverse aurait été étonnant. Surtout, cela reprend des éléments forts de l’action de la banque avec des engagements profonds.
Dans sa globalité, la mission offre des directions assez claires et l’entreprise a pris le temps de pouvoir construire une déclinaison forte, qui s’appuie sur quatre axes stratégiques et cinq leviers, qu’elle expose dans son plan Transitions 2024. A défaut d’être facile d’accès, elle sert néanmoins dans la transformation du modèle de l’entreprise, dans l’affirmation de ses convictions et dans l’adoption d’actions à impact.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
☝️A VOUS DE VOTER.
Comme chaque semaine, c’est à vous de choisir la mission que vous voulez voir analysée dans la prochaine missive. Quel décryptage de mission vous intéresserait ? Il suffit de cliquer sur votre choix.
👗Balzac (mode)
🧘♀️OLY Be (bien-être - cours de yoga)
📊LES OBSTACLES DES ENTREPRISES A IMPACT.
Une étude du BCG pour le Mouvement Impact France éclaire les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises à impact (voir la définition dans le rapport). Le rapport évalue qu’il y aurait entre 10 000 et 15 000 entreprises à impact en France. En 10 ans, les choses ont évolué de manière plutôt positive dans l’ensemble, selon elles.
Plus de reconnaissance et de visibilité notamment. Pour le reste, c’est plus mitigé, notamment la collaboration avec les grands groupes et l’accès aux financements privés. Attention, ce n’est pas parce que l’évolution est stable qu’il faut en conclure que les choses ne vont pas bien… Toutefois, une autre question demandait en miroir le niveau de difficulté. La collaboration avec les grands groupes et l’accès aux financements privés sont des difficultés “fortes”, respectivement dans 21% et 20%. Sur le point des incitations des aides publiques, pas de surprise. Cela vient appuyer la proposition du Mouvement de créer un statut d’entreprise à impact qui comporterait des avantages fiscaux et des accès privilégiés aux marchés publics.
Du côté de la politique
🚫LUTTE CONTRE LE GREENWASHING AUX ETATS-UNIS.
La SEC a dévoilé deux évolutions réglementaires importantes aux Etats-Unis liées à l’ESG. La première concerne le nom des fonds. Un fonds d’investissement ne pourra utiliser la terminologie ESG uniquement si le portefeuille est majoritairement composé de produits ESG. Cela n’empêche pas d’avoir des investissements dans les énergies fossiles dans le lot, mais c’est déjà une évolution dans le bon sens.
Deuxième évolution : les fonds devront faire preuve de davantage de transparence sur leurs portefeuilles. Trois niveaux sont établis : plus le fonds se dit ESG, ou plus encore à impact, plus il devra faire de reporting et être transparent. Les fonds moins-disants seront moins regardés. Pour moi, c’est l’archétype de la règle qui va dans le mauvais sens. En effet, cela limite les risques de greenwashing de la part de ceux qui s’en revendiquent. Vu les déboires de Deutsche Bank en ce moment, c’est une bonne idée. En revanche, rien n’est fait pour les moins-disants. Donc, il faut une sacrée conviction pour aller vers plus d’ESG ou d’impact, parce qu’a priori, la rentabilité sera moins bonne (à court terme en tout cas) que pour les fonds marrons.
Du côté des idées
👏CHAPEAU AU MONDE.
Nombreux sont ceux à critiquer les médias pour ne pas suffisamment parler d’écologie. Donc mettons en lumière les efforts quand ils sont faits. Le Monde vient de sortir une série d’articles consacrée à la sobriété. C’est passionnant ! Absolument indispensable à lire !
🥽LE PLASTIQUE EUROPEEN A BESOIN D’UN NOUVEAU SOUFFLE.
Dans un nouveau rapport, l’ONG Planet Tracker s’interroge sur la stratégie appliquée par les producteurs de plastique européens. En effet, les auteurs notent une stagnation du chiffre d’affaires et une baisse des parts de marché face à la Chine entre 2010 et 2019.
Dans ce contexte économique et face à l’augmentation des stimuli réglementaires et de l’évolution progressive des attentes des consommateurs, Planet Tracker veut encourager les entreprises à changer de business models et les acteurs financiers de les challenger davantage. En Europe, 87 entreprises cotées dans la plasturgie produisent 75% du plastique européen. Et les acteurs financiers autour d’elles sont limitées à 40 banques, fonds et assurances. Mais sur 990 prêts et obligations étudiés, seuls 3 visaient à limiter la pollution plastique. Et en AG, les actionnaires ont présenté extrêmement peu de résolutions poussant à de nouvelles réflexions.
Bref, voilà une industrie de 678 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’UE qui va avoir besoin de se réinventer. Sans surprise, le rapport appelle les entreprises à se focaliser sur la réutilisation, le recyclage et limiter les déchets plastiques.
🖌️COUP DE PINCEAU.
Le site de l’Observatoire des entreprises à mission fait peau neuve. Et ça lui fait du bien ! Ressource toujours aussi indispensable !
📖RECENSION DE LES VRAIES GENS. SOCIOLOGIE DE TROTTOIR DE GUILLAUME MEURICE, 2022, JC LATTES.
Guillaume Meurice est entre autres humoriste et chroniqueur sur France Inter. Son créneau : les micro-trottoirs. J’adore l’écouter même si les personnes qu’il sélectionne me font souvent très, très peur et que je le trouve absurdement manichéen (mais c’est fait exprès). Forcément, son ouvrage est tout aussi flippant et son point de vue est tout aussi tranché. Mais c’est pour cela qu’il faut le lire.
Les Vraies gens est un concentré des thématiques phares du chroniqueur : le racisme, l’islam, l’innovation, le capitalisme, l’égalité femmes-hommes, l’alimentation, la religion, la politique etc. Tout le monde en prend pour son grade — il ne serait pas loin de se revendiquer pro-Poutou. C’est une sorte de petit manifeste sur tous les sujets qu’il aborde fréquemment agrémenté de petites perles bien sales ramassées ci et là et de quelques off.
La force de Guillaume Meurice est de chercher les incohérences. Et on peut dire qu’il en trouve tout le temps sur tous les sujets, et sans difficulté. Nous sommes dans l’ère de l’élément de langage prémâché, du “je l’ai vu à la télé ou lu sur Internet”.
Avec sa plume aussi orale que ses chroniques, il fait rire ou fait hérisser les poils, mais il ne laisse pas indifférent. Dans le monde de Guillaume Meurice, tout semble si simple, si évident, si limpide. Evidemment ce n’est pas le cas, mais c’est utile de se poser des questions, de faire preuve d’esprit critique. Et quand on part de ce que disent les uns et les autres rencontrés ci et là, il est bon de se poser des questions…
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage ici.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
Les profils senior coûtent-ils vraiment plus chers que les juniors ? Tout dépend de la manière de calculer, explique Patrick de Broissia dans BeABoss.
Très bon papier sur l’augmentation du nombre de tiers lieux et de leur richesse dans The Good.
7 leçons de leadership extraites de séries et films. Certaines sont évidentes, d’autres un peu moins. Mises ensemble, elles demandent un vrai travail sur soi.
Portrait de Kim Stanley Robinson, écrivain de science fiction incontournable désormais beaucoup plus ancrée dans les sujets de changement climatique.
Excellent épisode de podcast Harmony Inside avec Charlène Deloison, directrice RH et RSE d’Axionable : un cabinet de conseil IA et data qui prend des décisions fortes !
Mon son de la semaine
J’étais passé à côté de l’album Turn Blue des Black Keys sorti en 2014. Bizarre ! Découvert un peu par hasard, plusieurs morceaux m’ont hypnotisé. Celui qui me marque le plus, c’est “Weight of Love”. La patte du duo est absolu et le morceau est fabuleux !
Si vous êtes arrivé.e jusque là, j’ai un petit service à vous demander : cliquez sur ❤ si vous appréciez la missive. Cela m’encourage et me permet de savoir les sujets qui vous intéressent.
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A la semaine prochaine,
Vivien.