#86 Décryptage de la mission de Jules (mode)
Analyse de la raison d'être et des objectifs de l'entreprise
Chère lectrice, cher lecteur,
Une fois n’est pas coutume, le vote a été très serré, une seule voix d’écart. Pour ne léser personne, je vais donc faire les deux décryptages en commençant par Jules qui l’a emporté. J’analyserai la mission de Nestlé Health Science France la prochaine fois.
Avant de commencer, petit message si vous lisez cette missive dans les 48 prochaines heures : je serai à ChangeNOW une bonne partie de jeudi et vendredi. Je sais que ce sera le cas pour certains d’entre vous en tant que participants ou sur un stand. N’hésitez pas à me le dire par retour d’email si c’est le cas. Je serai ravi d’échanger avec vous ou de découvrir vos offres !
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Chanson découverte pour l’occasion, “Fibre” de Thomas Pruden. De la folk intimiste d’un chanteur interprète britannique qui a sorti son premier album l’an dernier. Un diamant brut à découvrir absolument ! L’album est de toute beauté. Et je trouve qu’il colle bien à l’univers émotionnel que Jules cherche à créer.
Jules fait partie des marques patrimoniales de la mode masculine. Créée à la fin des années 1960, la marque a connu des hauts et des bas, notamment dans la deuxième moitié des années 2010, et prend un nouveau souffle depuis quelques années. Il y a également un petit déficit de notoriété de la marque, mais si Aigle peut servir d’exemple, on peut constater qu’insuffler une nouvelle dynamique dans une marque patrimoniale est possible et plus rapidement qu’on ne pourrait le penser.
Depuis quelques années, Jules prend d’ailleurs un nouveau tournant en se transformant. Ils sont “in progress” comme ils disent. Leur récent passage en société à mission atteste de cette dynamique.
La raison d’être
Nous avons la fibre de l’Homme. Retisser le lien entre l’homme et son environnement est notre seconde nature.
Le choix est fait d’une raison d’être assez imagée en utilisant un certain nombre de jeux de mots : « la fibre de l’Homme », « retisser le lien ». C’est un moyen habile de parler de son activité sans avoir à l’expliciter. On comprend assez aisément que l’on est dans le prêt-à-porter masculin.
Toutefois, la clarté de la raison d’être n’est pas totale. Jules parle de « seconde nature », mais quelle est la première ? Certes, c’est une expression, mais elle est généralement utilisée de manière ironique. Par ailleurs, bien que l’on saisisse le sens d’avoir « la fibre de l’Homme », cela mérite une explication de texte ou quelques éléments complémentaires. Cela peut être le risque des figures de style.
Mon conseil : une raison d’être doit permettre de comprendre au moins le secteur d’activité de l’entreprise, notamment pour se distinguer d’une signature de marque. On peut être plus détaillé, mais ce n’est pas une obligation. Plusieurs moyens permettent d’y arriver : une description assez explicite de l’activité ou des jeux de mots subtils mais compréhensibles. Il n’y a pas de meilleure pratique ; cela dépend de la manière de communiquer de l’entreprise. Le jeu de mots a simplement l’avantage de pousser davantage à la créativité, d’autant que l’activité pourra être davantage précisée dans les objectifs. Une troisième approche est possible en rédigeant deux phrases : une première un peu plus imagée et une seconde plus explicite.
Cela étant, cette raison d’être est singulière. C’est important surtout pour l’interne, car elle paraît plus forte, plus énergisante. Il y a également quelques éléments subtils mais intéressants. La raison d’être parle de l’homme et son environnement, pas « l’environnement ». Cela ouvre plus de perspectives, notamment sur des dimensions sociales et de fabrication.
Ce petit mot fait même toute la différence sur la contribution sociétale. Bien qu’elle ne soit pas très évidente, on saisit que Jules veut porter l’idée que les choix faits par les hommes pour leurs vêtements ne sont pas neutres et que l’entreprise veut participer à son niveau à cette prise de conscience.
L’usage du terme « retisser » est également intelligent, car il met l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue. En effet, on sait à quel point les enjeux du secteur de la mode sont nombreux : environnementaux bien sûr, mais également sociaux (où, comment et par qui les vêtements sont fabriqués).
Les objectifs
Pour les objectifs, je les utilise tels qu’ils sont rédigés dans les statuts. Toutefois, ils sont un peu plus longs, et à mes yeux plus utilement formulés, dans le manifeste de mission disponible sur le site.
Transformer l’industrie de la mode, à son échelle
C’est audacieux d’en faire son tout premier objectif de mission. Reste à voir comment cela se concrétise. Les termes « transformer » et « à son échelle » peuvent paraître antithétiques. Peut-être aurait-il été plus juste d’écrire « contribuer à transformer l’industrie de la mode à son échelle ».
Réconcilier tous les hommes aux vêtements
Cet objectif est plus flou dans sa rédaction. On a presque l’impression que les hommes n’aiment pas les vêtements… Le manifeste de mission explicite davantage le périmètre couvert : il s’agit notamment de concevoir des gammes de vêtements plus inclusives qui s’adaptent à tous les hommes, dans toutes les conditions, par exemple lorsqu’ils sont handicapés.
S’unir avec les acteurs locaux
Comme le précédent objectif, on pourrait revoir la formulation. Que veut dire « s’unir » et de quels « acteurs locaux » parle-t-on ? Pour quoi faire ? Le manifeste parle particulièrement de points de collecte de vêtements. Je n’aurais pas pensé à ce type d’initiative au premier abord, mais pourquoi pas dans une démarche d’économie circulaire. J’envisageais davantage un travail avec des fournisseurs locaux par exemple.
Sauvegarder les ressources
L’enjeu est énorme dans la mode. Il y a le sujet du CO2, mais également des ressources, des matières et de l’eau. Petit rappel : un t-shirt demande l’équivalent de 70 douches pour être produit. On peut estimer que la démarche d’économie circulaire va se développer.
Transmettre les savoirs et le savoir-faire
Cet objectif est toujours utile, car il met l’entreprise en mouvement. Il faut certes modifier ses pratiques, mais aussi celles de ses clients. Toutefois, le manifeste montre la difficulté possible de cet objectif. D’un côté, il est précisé : “transmettre les savoirs et le savoir-faire pour favoriser la formation de nouveaux talents aux métiers de demain”. De l’autre, l’exemple mentionné porte sur un programme de sensibilisation de ses clients. Mettre les deux dans le même objectif n’est en effet pas évident, car il s’appuie sur des équipes différentes en interne.
Au global
✅ La raison d’être s’appuie sur quelques jeux de mots bien trouvés qui lui confère une belle singularité. C’est malin. Le petit contre-pied de cet exercice est que certains éléments ne sont pas très clairs, comme “avoir la fibre de l’Homme”.
✅ Dans la raison d’être, avoir choisi de parler de l’homme et son environnement, plutôt que l’environnement, est ingénieux, car cela joue sur la polysémie du terme et donc ouvre sur d’autres champs, sociaux ou territoriaux par exemple.
✅ Il y a une bonne cohérence entre la raison d’être et les objectifs. Ces derniers couvrent tous les aspects que l’on pourrait attendre et viennent bien compléter la raison d’être. On perçoit une vraie logique de transformation.
📶 Certains éléments sont peu explicites dans la raison d’être ou dans les objectifs, comme “s’unir avec les acteurs locaux”. On peut en déceler le sens, mais cela laisse le champ de l’interprétation et donc à des attentes déçues.
📶 Attention à ne pas surutiliser des figures de style dans une raison d’être. Parfois, cela appelle à une explication de texte, comme par exemple “la seconde nature”.
⚠️Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif. Je valorise le travail fourni en interne pour aboutir aux missions décryptées et offre simplement un avis, que j’espère, éclairé.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Vous pouvez le signaler en appuyant sur le ❤️.
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A demain,
Vivien.