Les 8 tendances du sens en 2023
Ma lecture de 8 tendances qui marquent les enjeux sociétaux auxquels font face les entreprises (temps de lecture totale: 14 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Quel plaisir de vous retrouver pour cette nouvelle année ! Les défis sont énormes, partout, sur tous les fronts. Il nous faudra de la détermination, de la persévérance, des convictions et de la résolution pour les relever et faire face aux attentistes, voire aux obstructionnistes.
Pour cela armons-nous d’enthousiasme et de panache pour être créatifs, rester cohérents avec nous-mêmes et embarquer le plus grand nombre.
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Plutôt qu’une traditionnelle missive, je vous propose ma lecture de huit tendances du sens pour 2023. Ce ne sont pas forcément des prévisions, ni des prédictions. Ces tendances sont subjectives, incomplètes et discutables, mais elles reflètent ma lecture de différents enjeux tels que je les perçois au travers de cette newsletter, des échanges divers que je peux avoir, ainsi que de mes missions d’accompagnement.
Je vous invite d’ailleurs à partager les vôtres si vous le souhaitez, soit juste à moi par retour d’email, soit en commentaires de cette missive en vous rendant sur le site.
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
Voici le sommaire des huit tendances :
1. Une sémantique non méliorative prend racine dans les débats
2. Vers la systématisation des labels ?
3. La transparence n’a plus beaucoup de frontières
4. En matière d’ESG, le choc transatlantique aura-t-il lieu ?
5. La société à mission, l'âge de la maturité ou du grand n'importe quoi ?
6. Le greenwashing : la menace plane
7. Les seniors, on en fait quoi ?
8. En 2023, la marque employeur, toujours un sujet ?
Pour vous accompagner dans cette lecture plus longue que d’habitude, je déroge un peu à la règle en vous partageant non une chanson, mais un album, que je ne cesse d’écouter depuis plusieurs semaines. C’est Deep in View de Cola. Pour les amateurs de rock un peu dilettante avec des crachins de garage rock des années 2000, vous adorerez ! Et pour les autres, laissez-vous tenter !
1. Une sémantique non méliorative prend racine dans les débats
Sobriété, décroissance, radicalité, effondrement, écoanxiété (désormais dans le dictionnaire)… Ces termes font désormais partie du débat public.
Tous ces concepts illustrent l’idée que la trajectoire prise par nos sociétés n’est plus “soutenable” (terme qui, lui, reste encore bien moins fréquent que l’inépuisable mais de plus en plus creux “durable”). Cette forme d’anxiété caractérisée par un champ sémantique n’est pas anodine, car les mots façonnent nos sociétés au même titre que les images, régulièrement catastrophiques en 2022.
La sobriété faisait partie des termes repoussoirs début 2022. La guerre en Ukraine et ses conséquences en matière énergétique l’ont propulsée comme une nécessité au point que le gouvernement lui dédie un plan stratégique.
Pour le moment, tout le monde se rallie derrière cette nécessité, mais d’aucuns craignent que cette sobriété, avant tout énergétique, fasse long feu à l’apparition des premiers bourgeons. Les approches holistiques de la sobriété portent en effet peu, car elles sont immédiatement associées à la décroissance.
La décroissance, autre terme qui s’impose de plus en plus. Peu de dirigeants politiques ou économiques osaient le toucher. Cela change à mesure que ce concept prend racine et beaucoup se prêtent au jeu de le torpiller dès qu’ils le peuvent avec des approches un peu différentes. Quelques exemples avec : la Première ministre, le directeur général de Bpifrance, la ministre de la Transition énergétique et Bertrand Picard, PDG de SolarImpulse. Cette approche un peu manichéenne “bien”/“pas bien” risque de perdurer encore avant que les deux camps ne s’écoutent pour de vrai.
Au global, tous ces termes font peur à beaucoup. Tout d’abord, ils remettent en question le statu quo. Les humains goûtent peu le changement, surtout quand il pourrait diminuer certains acquis ou certaines facilités. Toute cette mouvance vient percuter un siècle et demi d’une doxa portée par l’idée que le progrès technique et la croissance économique sont les deux jambes d’une société plus juste, équitable et épanouie.
Ensuite, ils distillent des acceptions dépréciatives : moins de quelque chose que l’on a. On peut arguer que certains termes sont mal employés ou caricaturés. J’en vois déjà rappeler les racines du terme “radicalité” : puiser à la source.
Mais venir contrecarrer une société où le mélioratif (le positif, le toujours plus etc.) est la norme sera forcément combattu. Déconstruire un récit qui s’est incrusté dans notre inconscient ne peut pas se faire sans élaborer de nouveaux récits, de nouveaux modèles, de nouveaux positifs et même de nouveaux termes, qui conservent cette connotation positive et optimiste. C’est le seul moyen pour être crédible aux yeux du plus grand nombre, mais également d’embarquer un maximum de personnes.
2. Vers la systématisation des labels ?
Il n’est pas simple de s’y retrouver dans la marée de labels, mais, une chose est certaine : ils ont toujours plus la cote. J’en parlais déjà l’an dernier ; cette année, nous avons franchi un nouveau palier : une forme de systématisation du label.
Le label est un gage de vertu face à certains consommateurs en demande, un sceau indispensable pour être référencé chez certains clients, une preuve de sérieux vis-à-vis de ses propres collaborateurs. On dirait que c’est le seul moyen aujourd’hui pour faire face aux interrogations. C’est le badge d’honneur ultime.
Cela peut se comprendre dans un environnement où les enjeux de RSE s’installent de plus en plus en entreprise avec des réalités concrètes très diverses et dans un environnement où l’on ne se démarque plus uniquement par son prix, son offre ou son marketing, mais également ses engagements.
Cela étant, ce systématisme devient un peu trop automatique. Je me souviens d’une conférence à laquelle j’ai assisté à l’automne où tous les intervenants considéraient presque nécessaire pour une start-up d’adopter le label B Corp. Les raisons n’étaient pas très claires, mais c’était un moyen d’apparaître comme “une start-up à impact”, le concept fourre-tout de 2022*.
Cette systématisation fait émerger quelques inconvénients qu’il faut avoir à l’esprit. Tout d’abord, la pression est énorme sur les labels dont les référentiels et les moyens de vérification doivent être pratiquement infaillibles, car c’est tout un système qui s’effondrerait autrement. Vous n’imaginez pas la fébrilité dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes avec la révision des modes d’attribution du label B Corp.
Ensuite, on commence à ne plus regarder le contenu, juste le contenant : “tel label doit être mieux que tel autre s’il est adopté par telle ou telle entreprise” sans vraiment savoir si cela est pertinent pour soi, ni s’il permet à l’entreprise de mieux conduire son activité.
Enfin, cela peut inhiber la créativité. Un label ou une certification a vocation à conformer une entreprise à un cahier des charges—pour utiliser un langage de financier, on cherche à la “dérisquer”.
En sortir, c’est prendre le risque de ne pas marquer le maximum de points, donc par souci de conformité, on se contraint ou on suit un peu aveuglément les bonnes pratiques recommandées. Cela peut s’entendre sur des aspects techniques comme le sourcing de matières premières, mais moins sur une démarche RSE. Il y a certes un tronc commun, mais chaque entreprise doit trouver sa voie/x en fonction de sa stratégie, de son ADN, de ses ambitions et de sa mission quand elle l’a définie.
* Pas pour faire mon rabat-joie, mais mot fourre-tout est plus juste que mot-valise, qui a un autre sens, puisqu’il fait référence à la contraction de deux mots en un, comme émoticône, issue d’émotion et d’icône.
3. La transparence n’a plus beaucoup de frontières
Le corollaire de cette course aux labels est la demande croissante de transparence de tous les acteurs : clients, financeurs, investisseurs, fournisseurs, partenaires etc. Cette transparence n’est pas un marqueur nouveau, mais elle prend une nouvelle dimension avec les enjeux écologiques.
Cela me rappelle l’épisode du podcast avec Antoine Jacquier, CEO de l’ESN Nuageo, dans lequel il expliquait comment son associé et lui avaient décidé de mettre en cohérence leurs convictions personnelles et la réalité de leur entreprise quand ils ont pris conscience que leur activité dans le numérique n’était pas compatible avec les limites planétaires. Idem avec plusieurs dirigeants de la Convention des entreprises pour le climat que j’ai entendu témoigner : l’uppercut (ou moins violemment la prise de conscience) a été puissant quand ils ont compris que leur activité ne pourrait plus se poursuivre sans transformation profonde.
Les défis écologiques auxquels nous faisons face font tomber les barrières entre le pro et le perso. Chaque décision va être de plus en plus scrutée. Les dirigeants d’entreprise vont devoir être exemplaires sur le sujet : les régimes d’exception ne joueront plus même pour les membres de la direction. Mais, parfois, cela ira plus loin : “il roule en gros SUV diesel, alors qu’il nous parle d’urgence climatique” ; “il s’est fait un week-end à Rome, alors qu’il nous restreint sur les voyages en avion pour réduire notre empreinte carbone” etc.
Il y aura forcément des dérives, mais cette frontière que l’on connaissait entre la sphère privée et publique s’estompe sur les enjeux écologiques, car elle relève de toutes les sphères. On ne pourra jamais être parfait, mais quand on commence à mettre en place des politiques environnementales dans son entreprise, il s’agit de réinterroger toutes ses décisions, même dans sa vie privée. C’est une question de cohérence.
4. En matière d’ESG, le choc transatlantique aura-t-il lieu ?
La bataille des normes extra-financières fait rage dans les salons feutrés et les tours en verre. Le cœur du sujet : la double matérialité. Pour être un peu schématique, on distingue deux types de matérialité :
la matérialité financière : tout sujet de RSE qui peut avoir des conséquences financières sur l’entreprise ;
la matérialité d’impact : toute action de l’entreprise qui pourrait avoir des conséquences sur un sujet de RSE.
La position américaine privilégie la matérialité financière par souci de simplicité et d’harmonie avec la comptabilité financière, tandis que l’Union européenne prône la double matérialité, comme le reflètent des réglementations récentes, comme la NFRD ou la CSRD (elle arrive !).
Il s’agit de savoir quel standard va s’imposer au niveau international, sachant que la position américaine est beaucoup moins engageante.
Cette bataille prend même de nouvelles formes. En effet, on voit de plus en plus de coalitions d’acteurs financiers mobilisées pour des réglementations plus strictes en matière de reporting extra-financier, récemment sur la biodiversité. Dans l’ensemble, la dynamique en Europe est bien présente.
A l’opposé, les débat outre-Atlantique est plus explosif. Le pays commence à être envahi par des décisions politiques anti-ESG. Plébiscitées dans des Etats républicains, elles prennent la forme de loi ou de retraits d’investissement appuyés par des raisonnements un peu ubuesques. Avec une Chambre des représentants désormais dominée par les conservateurs, cette dynamique pourrait s’intensifier.
En surface, les conséquences économiques sur les entreprises concernées sont infimes, d’autant que beaucoup semblent favoriser davantage de démarches ESG, mais le secteur privé aime rarement avoir des dirigeants politiques à dos…
Plus globalement, la question se pose des deux côtés de l’Atlantique face à une inflation galopante et un climat économique tumultueux : les enjeux de RSE ne risquent-ils pas de passer au second plan face à la pression de l’immédiat en se disant qu’on pourra toujours “rattraper” le retard plus tard ?
5. La société à mission, l'âge de la maturité ou du grand n'importe quoi ?
2023 sera une année charnière pour la société à mission. La barre fatidique des 1000 entreprises à mission sera dépassée. De plus en plus d’entreprises souhaitent acquérir la qualité de société à mission — je m’en réjouis ; après tout, c’est le cœur de mon activité.
Cela étant, nous assistons à un double phénomène qui n’est pas très rassurant. D’un côté, on constate un nombre croissant d’entreprises qui consacrent du temps et souvent un peu d’argent (conseil ou formation) pour bien comprendre toutes les facettes de la société à mission et ses ramifications pour le fonctionnement de l’entreprise. Cela se traduit souvent par des missions (raison d’être et objectifs statutaires) bien formulées, engageantes et sources d’amélioration continue.
De l’autre, je vois régulièrement des missions qui manquent la cible, en étant soit trop superficielles, soit trop marketing, soit peu cohérentes dans leur ensemble. Les intentions sont réelles et louables, mais le résultat n’est pas à la hauteur.
On a donc des raisons d’être peu opérantes, car trop vagues, trop génériques ou inversement trop ancrées dans l’activité quotidienne sans prendre de hauteur. Les objectifs sont souvent un reflet de politiques RSE parfois assez décorrélées de la raison d’être et peu cohérents dans leur ensemble. Bref, cela ne sera pas très utile au développement de l’entreprise, alors que c’est bien de cela dont il s’agit.
Par ailleurs, le cadre juridique de l’entreprise à mission est flou. La marge d’interprétation est élevée et son encadrement assez lâche. Cela fait que certaines entreprises ne dédient pas suffisamment de ressources (surtout humaines) au pilotage de la mission. C’est encore plus le cas quand le travail amont est trop peu imbriqué avec l’activité et le développement de l’entreprise. Là où ce devrait être une boussole pour tout le monde, cela n’est guère plus qu’un accessoire pour quelques-uns.
6. Le greenwashing : la menace plane
Plus on attend des entreprises de montrer patte blanche, plus les risques de greenwashing seront grands. C’est assez logique : 1. c’est très facile de tomber dans du greenwashing même quand on a de bonnes intentions ; 2. cela l’est encore plus que le seul moyen de l’éviter est d’opérer des changements importants dans son business model, ce qui prend du temps et n’est malheureusement pas ce vers quoi les entreprises se dirigent en premier.
En effet, la pression s’accroit sur les entreprises de montrer qu’elles font des choses. Un phénomène joue alors à plein dans les équipes : “nous aussi, nous devons montrer que nous participons à l’effort global”. D’où un florilège de projets “net zero”, d’initiatives décarbonées etc. L’envie de bien faire est réelle, mais parfois davantage que la compréhension de ce qui est en jeu.
En parallèle, les vigies de lutte contre le greenwashing se multiplient. LinkedIn en est un repère ; ce n’est pas “le réseau social écolo par excellence” pour rien. L’ARPP commence à se saisir du sujet. Et cela va s’accélérer, d’autant que les clients sont de plus en plus informés et ne manquent plus de relayer sur les réseaux sociaux.
Au point d’ailleurs qu’un phénomène inverse émerge : le “greenhushing”. Par peur de critiques ou par habitude de ne pas communiquer, certaines entreprises ne mettent pas en avant les démarches parfois profondes et structurantes qu’elles ont lancées. C’est tout aussi problématique que le greenwashing, car ce sont de bonnes pratiques en moins qui peuvent inspirer des pairs ; et ce sont de bons exemples en moins qui pourraient redorer l’image écornée des entreprises qui n’en font pas assez pour le climat.
7. Les seniors, on en fait quoi ?
On parle de plus en plus des seniors dans le monde du travail, et cela ne devrait pas décroître avec le débat sur la réforme des retraites. On sait que plus on avance dans sa carrière, moins on est attractif pour un employeur. On est considéré “senior” par les recruteurs à partir de 49,6 ans en moyenne selon un sondage Ipsos pour A compétences égales. Donc, une personne pourrait se retrouver avec plus de 10 ans de carrière à faire le front tatoué de “trop vieux”, “trop cher”, “trop d’expérience”.
Des initiatives d’entreprises et des associations émergent pour traiter ce sujet, car il va y avoir de plus en plus de seniors… et on ne peut décemment pas considérer que ces personnes sont incompatibles avec le monde de l’entreprise, avec les aspirations de sens que seuls les moins de 35 ans porteraient, avec un environnement qui se digitalise de plus en plus etc. Cela nécessite de repenser (encore) ses modes de recrutement, de management, d’organisation, mais a-t-on vraiment le choix ?
8. En 2023, la marque employeur, toujours un sujet ?
Nombre de dirigeants le reconnaissent : les salariés sont en position de force. Ainsi, la marque employeur est désormais un sujet incontournable dans toutes les professions même celles qui se pensaient immunisées : pénurie de talents sur le marché, manque de personnes formées, turnover important etc.
Comme souvent, il n’y a pas de baguette magique et tout le monde ne comprend pas que cela a des incidences fortes sur tout le fonctionnement de l’organisation, pas juste sur la page “Carrières” du site Internet ou la plaquette de présentation.
L’intérêt pour la marque employeur pourrait-il décliner en 2023 avec une inflation en hausse et une économie qui se contracte ? Inévitablement, beaucoup d’employeurs seront tentés de reprendre des habitudes encore ancrées, à savoir que ce sont eux qui sont en position de force. Ce serait une erreur.
La marque employeur, ce n’est pas juste une meilleure capacité à attirer des CV qualifiés et à éviter qu’ils ne partent trop vite. C’est tout un ensemble de pratiques, de comportements, de process qui modifient la vie de l’entreprise et des collaborateurs en profondeur. Il ne s’agit pas que de proposer des sièges ergonomiques, mais également de valoriser et reconnaître le travail de chacun, d’offrir à chacun le droit, voire le devoir, de s’exprimer, de tester et d’améliorer des idées, d’améliorer leurs compétences et leur employabilité, de réfléchir à l’organisation du travail etc.
La relation au travail évolue (accélérée par le Covid) et que ce soit les nouveaux entrants ou ceux qui sont en activité depuis de nombreuses années, passer 8 heures à bosser tous les jours ne peut pas juste se résumer à : temps de vie + exécution = salaire.
Donc, même si le contexte économique rééquilibrera le rapport de force en 2023, il serait mal à propos de penser que la marque employeur perdra en saillance, surtout quand on l’aborde selon une approche globale.
C’est tout pour ce cahier des tendances du sens. J’aurais pu en rajouter plein d’autres. Je vous invite à partager les vôtres.
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Retour du rythme habituel la semaine prochaine !
Vivien.