#72 Décryptage de la mission de Sézane
Analyse de la raison d'être et des objectifs statutaires (temps de lecture : 6 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Voici le dernier décryptage de mission de l’année ! Déjà ! Merci à toutes celles et tous ceux qui ont proposé des entreprises et qui ont voté. Sézane a remporté vos suffrages, donc c’est sa mission que je vais décrypter aujourd’hui.
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J’écoute peu Lady Gaga mais en écoutant ce morceau “Fashion!”, il y a un côté Bowiesque tellement prégnant que ce titre me plaît bien. Un mélange de pop 70s à la sauce des années 2010s.
Je vous avoue ma grande surprise quand une lectrice a proposé Sézane comme entreprise à mission à décrypter. J’ignorais que la marque de mode avait franchi le pas. Je me disais que c’était peut-être un choix récent dans la lignée de leur certification B Corp et qu’elle ne l’avait pas encore annoncée. Que nenni !
Benda Bili, la société qui détient les marques Sézane et Octobre (son alter ego de mode masculine), est passée entreprise à mission en novembre 2020 ! Je vous mets au défi de trouver la moindre référence à cette décision dans n’importe quelle communication des marques. J’ai cherché et le seul endroit est dans le rapport RSE de l’entreprise en 2020 (pas d’autre depuis). A l’inverse de la certification B Corp sur laquelle Sézane a beaucoup communiqué. Pourquoi ce silence ? C’est un grand mystère !
Sachant que l’entreprise compte plus de 50 collaborateurs, la vérification de la mission par un Organisme Tiers Indépendant a dû être effectuée il y a 6 mois. Mais aucune trace de l’avis de l’OTI qui doit pourtant être obligatoirement disponible sur le site Internet (j’en profite pour le rappeler à qui l’aurait oublié).
Cela étant, Sézane communique assez régulièrement sur ses engagements, notamment les différents labels de ses vêtements, et dédie une page Internet sur le sujet. Donc, passons au décryptage !
La raison d’être :
Transformer et améliorer en continu la façon de faire de la mode, en plaçant toujours l’humain et le client au cœur de nos décisions et proposer une offre de qualité au prix juste, en agissant de manière responsable et engagée.
Cette raison d’être est plutôt dans la moyenne haute en termes de longueur mais est simple à comprendre. On saisit facilement l’activité de l’entreprise.
Plusieurs termes indiquent une volonté de progresser, notamment “transformer” et “améliorer en continu”. Il n’y a pas de faux pas dans cette raison d’être, plutôt une forme de déséquilibre.
On compte cinq verbes d’action : transformer, améliorer, placer, proposer, agir. Cela dilue le message et le focus. Par ailleurs, comment le fait de placer l’humain et le client au cœur des décisions contribue-t-il à transformer et améliorer la mode ? Comment agir de manière responsable et engagée permet-il de proposer une offre de qualité au prix juste ? L’enchaînement d’idées semble un peu bancal. C’est presque comme si les propositions étaient mélangées.
Par ailleurs, l’association entre “transformer” et “améliorer” est étonnante. Le premier terme est très ambitieux, l’autre vient l’amoindrir. D’autres expressions auraient pu être mieux travaillées, comme “faire de la mode”.
Les objectifs
Ils sont organisés en deux thématiques : six dans “Pour des collections responsables” et trois “Pour une démarche engagée”. Pour des soucis de concision, je vais les traiter par grande famille.
Objectifs 1 : Pour des collections responsables
Sourcer un maximum de matières éco-responsables dans nos collections
Mesurer et réduire nos émissions de CO2
Accompagner nos fournisseurs dans la réduction de leur impact environnemental
Tracer nos chaînes d’approvisionnement
Faire valider notre démarche par des tiers indépendants
S’assurer que tous nos fournisseurs respectent notre Code d’éthique
Tous ces objectifs participent de la partie production, qui est évidemment un enjeu central dans la mode. J’imagine que la réduction des émissions de CO2 concernent les trois scopes et pas juste ceux de Sézane, qui ne produit pas en propre. La marque a effectivement beaucoup avancé sur ces aspects, notamment les matières éco-responsables, la labellisation et la traçabilité sur la chaîne d’approvisionnement. D’ailleurs, ces objectifs méritent-ils d’être statutaires ? Beaucoup auraient pu être réunis et former la base de la déclinaison opérationnelle.
Mon conseil : il faut bien distinguer les objectifs statutaires des objectifs opérationnels. Les premiers ont vocation à durer dans le temps et vous mettre dans une démarche d'amélioration continue. Les seconds vous permettent de prioriser vos efforts pour atteindre ces grands objectifs. Dans le cas présent, "sourcer un maximum de matières éco-responsables" relève d'un objectif opérationnel, d'autant qu'il s'allie bien avec celui de la validation de la démarche par des tiers indépendants. Les deux sont des moyens au service d'un objectif plus large, qui lui-même s'inscrit dans la raison d'être.
En revanche, on peut estimer que ces objectifs ne participent qu’en partie de la transformation du secteur de la mode prônée dans la raison d’être : quid du cycle de vie des produits ? Quid du principe même de collections que l’on pourrait questionner ? Quid de la sensibilisation des clients aux enjeux sociaux et environnementaux liés à la mode (sans forcément être culpabilisant pour autant) ? Quid de la seconde main ? Tous ces enjeux ne sont pas présents.
Objectifs 2 : Pour une démarche engagée
Reverser des fonds à des œuvres sociales et associer nos équipes à nos actions
Maintenir un prix en adéquation avec nos valeurs
Proposer des pièces de qualité pour tous
Cette série d’objectifs mélange deux aspects : une dimension RSE avec le soutien à des actions sociales et une autre commerciale.
La première n’est pas vraiment ce qu’on attend d’une mission, car elle n’est pas en lien avec l’activité.
Mon conseil : nombre d'entreprises à mission inscrivent le soutien à des associations ou des actions de bénévolat dans leur mission. Ce sont des initiatives très vertueuses, mais je rappelle que la mission doit être en lien avec l'activité. Si vous souhaitez inclure cette dimension dans vos objectifs, privilégiez des éléments qui soient en lien direct avec votre activité et viennent renforcer votre mission.
Le second objectif est un peu vague. Quel prix donne-t-on à ses valeurs et de quelles valeurs parle-t-on ? Cela signifie-t-il que dans l’arbitrage valeurs vs performance économique, la variable valeurs l’emporte toujours ? Cela demande davantage de transparence et de clarté.
Quant au dernier objectif, il peut être source d’innovation intéressante en mentionnant “pour tous”. Cela ouvre le champ des possibles en termes de l’accessibilité prix, mais également de la possibilité d’habiller toutes tailles et de le représenter dans les photos de la marque.
Au global
✅ La raison d’être propose tous les champs d’action que la mission souhaite couvrir.
✅ Les termes utilisés sont clairs et sans jargon, mais manque peut-être de singularité. A peu près n’importe quelle marque de mode à tendance responsable pourrait reprendre cette raison d’être, et même les objectifs.
📶 La raison d’être mélange beaucoup de notions et d’intentions, ce qui dilue le message et ne la rend pas facile à s’approprier comme boussole dans la prise de décision.
📶 Il y a une inadéquation entre les ambitions de la raison d’être et les objectifs. On parle par exemple de “transformer (…) la façon de faire de la mode”, mais les objectifs reprennent des éléments assez classiques d’entreprises engagées dans une mode dite plus durable. Beaucoup d’autres vont plus loin. C’est en partie lié au fait que certains objectifs correspondent davantage à des indicateurs à suivre que des engagements statutaires. De même, la raison d’être envisage de placer l’humain au cœur des décisions, mais il n’est pas évident de voir ce que cela signifie, ni quel objectif sous-tend ce souhait.
📶 La mission n’embarque qu’une partie de l’écosystème de Sézane : ses fournisseurs. On peut difficilement “faire de la mode” différemment sans ses clients et ses concurrents. Cela ne passe pas juste par produire plus responsablement. Certains clients sont peut-être déjà très sensibilisés et experts, mais je doute par exemple que tout le monde soit fin connaisseur de la forêt de labels qui existent dans le secteur. De même, certaines filières ne peuvent exister ou se recréer que s’il y a une coalition d’acteurs qui pagaient dans la même direction.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Vous pouvez le signaler en appuyant sur le ❤️. Retrouvez les 71 premiers décryptages ici.
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A demain,
Vivien.