#68 Le capitalisme des parties prenantes est adoubé
Lettre de Larry Fink; décryptage de la mission de la Maison Boinaud; climat et conseil d'administration; la stratégie de l'auréole et la RSE et d'autres actus (10')
Mes chères lectrices, mes chers lecteurs,
Bienvenue dans la 68e missive. Pas d’édito cette semaine, puisque je vous ai déjà envoyé l’article sur la RSE et la mission hier.
Je vous propose donc qu’on attaque tout de suite. Voici le sommaire :
📝 Larry Fink adore le capitalisme des parties prenantes
🥃 Décryptage de la mission de la Maison Boinaud (producteur de cognac)
⭐ Le Jour d’après chez Norsys
📣 Quelques filets sur la PFUE
📊 Climat et conseil d’administration ne sont pas encore en symbiose
🤔 Quel est le lien entre l’auréole et la RSE ? A vous de le découvrir
🧠 Un peu de jus de crâne en plus
🙋♀️ Le vote de la mission à décrypter : Acteurs publics vs Waterair
🎧 Mon son de la semaine : The Clockworks - “The Future is not what it was”
Bonne lecture à picorer ou à dévorer.
📝 LA FAMEUSE.
Tout le monde attendait la lettre annuelle de Larry Fink, PDG de BlackRock. Bon peut-être pas tout le monde… En tout cas, elle a été publiée. Alors qu’a-t-il dit ? En résumé, il endosse pleinement la nécessité d’aller vers un capitalisme des parties prenantes :
Le capitalisme des parties prenantes ne relève pas de la politique. Il ne s'agit pas d'un programme social ou idéologique. Ce n'est pas un capitalisme « politiquement correct ».
C'est un capitalisme reposant sur des relations mutuellement bénéfiques entre vous et vos salariés, clients, fournisseurs et les communautés dont dépendent votre entreprise pour prospérer. C’est en cela que réside la force du capitalisme.
Dans le monde interconnecté d'aujourd'hui, une entreprise se doit de prendre en compte l'ensemble de ses parties prenantes - et d’être appréciée par ces dernières - afin de générer de la valeur à long terme pour ses actionnaires. C'est au travers d'un capitalisme des parties prenantes efficace que l'allocation des capitaux est performante, que les entreprises atteignent une rentabilité durable et que la création de valeur est soutenue sur le long terme. Ne vous méprenez pas, les marchés restent animés par la recherche de profit équitable, et la rentabilité à long terme est l’indicateur ultime considéré par les marchés pour déterminer le succès de votre entreprise.
La traduction dans les actes devra se vérifier dans les votes en AG. Mais justement, point intéressant : BlackRock veut davantage impliquer ses clients dans les votes. L’idée est de pouvoir offrir la possibilité à tout prescripteur de donner son avis sur des résolutions présentées dans les AG des entreprises investies. Cela revient à impliquer davantage les épargnants dans l’utilisation de leur argent. Reste à voir comment cela se traduira dans les faits.
Autre point important de la lettre : le changement de paradigme sur le monde du travail. Les Etats-Unis connaissent l’insubmersible “Great Resignation” qui bouleverse les habitudes outre-Atlantique (Envoyé Spécial a consacré son numéro d’hier à ce phénomène dont les ramifications se font ressentir en France).
L’avis du patron du fonds est clair :
Les entreprises qui ne s'adaptent pas à cette nouvelle réalité et ne répondent pas aux demandes de leurs employés prennent des risques considérables. La rotation du personnel accroit les dépenses, réduit la productivité et affaiblit la culture de l'entreprise.
Il a également, et sans surprise insisté sur la nécessité d’agir face à l’urgence climatique, un prérequis pour les entreprises aujourd’hui. Surtout, il vient ajouter une voix à toutes celles qui affirment que les acteurs financiers vont de plus en plus pénaliser les entreprises qui n’engagent pas leur transition :
Rien n'aura plus d'impact sur les décisions en matière d'allocation des capitaux (et donc sur la valeur à long terme de votre entreprise) que votre capacité à gérer efficacement la transition énergétique mondiale dans les années à venir.
Donc une lettre dans la lignée des précédentes. Néanmoins, juste comme ça, lisez la lettre en vous imaginant être en 2005. Vous vous dites qu’elle est soit signée par un altermondialiste (vous vous souvenez de ce terme ?!), un militant écolo pro-business, mais pas par le patron de la plus grosse société de gestion du monde…
Petit point amusant : le titre change d’une langue à l’autre. En anglais, c’est “The Power of capitalism” (pareil en italien et en espagnol) ; en français, “la force du capitalisme des parties prenantes” ; en allemand, “Die transformative Kraft des Kapitalismus”. Excès des zèle des traducteurs français et allemand ?
🥃 DECRYPTAGE DE LA MISSION DE LA MAISON BOINAUD.
Suite au vote de la semaine dernière, c’est La Maison Boinaud, productrice de cognac qui a remporté le plus de voix (56%). Merci à tous les participants !
La Maison Boinaud n’est pas née de la dernière pluie. Fondée en 1640, elle a une très longue histoire familiale, puisque nous en sommes à la 24e génération à la tête de l’entreprise. A la fois producteur, distilleur et tonnelier, La Maison Boinaud maîtrise toute la chaîne, de la vigne au verre et compte aujourd’hui 110 “talents”, comme elle l’écrit élégamment sur son site. Ils ont décidé de passer société à mission pour consacrer des efforts portés depuis plusieurs années. Décryptage.
Leur raison d’être :
“De génération en génération, nous élaborons des produits d'exception à partir de notre terroir tout en préservant notre écosystème.”
La phrase est sobre, peut-être trop d’ailleurs. Ont-ils délibérément éludé le terme de “cognac” dans leur raison d’être ? Admettons qu’on puisse penser qu’alcool et entreprise à mission pourraient ne pas faire bon ménage (on m’a déjà fait cette remarque), cela n’empêche pas d’orienter la raison d’être sur le côté expérientiel, ou dégustatif par exemple.
Par ailleurs, elle manque de singularité, qui est un point important d’une raison d’être. En quoi La Maison Boinaud se distingue-t-elle d’autres producteurs ? Quel est son ADN ? Qu’est-ce qui serait différent si l’entreprise n’existait pas ? Cela ne ressort pas dans la raison d’être et pas plus dans les objectifs (voir plus bas). C’est dommage, car on ne ressent pas la mission sociétale et/ou environnementale de l’entreprise. Comme je le dis souvent, une mission n’appartient pas à l’entreprise : elle la dépasse et l’entreprise vient juste apporter sa contribution. Ici, on reste très centré sur le produit. Il faut bien sûr éviter les envolées lyriques ou trop métaphoriques, mais il y a juste équilibre à trouver.
Regardons les objectifs :
La préservation de la biodiversité
Être acteur de la lutte contre le réchauffement climatique
Contribuer à l'épanouissement des collaborateurs.rices
Je suis tout aussi embêté, car ils sont très génériques. Toutefois, on peut déjà reconnaître qu’ils sont complémentaires avec la raison d’être.
Cependant, ils n’apportent pas non plus d’éléments supplémentaires. Si les objectifs statutaires n’ont pas besoin d’être très précis, ils doivent tout de même offrir un aperçu clair et compréhensible des ambitions de l’entreprise. Ces objectifs reflètent des thématiques RSE assez classiques, qui encore une fois ne sont pas singuliers à l’entreprise.
Au global, je pense que toutes les actions RSE que La Maison Boinaud mène auront un impact plus fort que cette mission. Je crains qu’elle n’offre pas cette dynamique d’amélioration continue qui est pourtant si essentielle quand on devient entreprise à mission. En effet, une mission doit incarner le passé et le présent, mais peut-être encore davantage tracer la voie pour l’avenir.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. J’essaie toujours d’être critique MAIS constructif. Vous pouvez également me contacter si vous êtes intéressé.e par une démarche de construction ou d’évaluation de votre mission (ou d’un client en toute confidence bien sûr).
Vous pouvez retrouver les 38 missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
🙋♀️ A VOUS DE VOTER.
La semaine prochaine, quel décryptage de mission vous intéresserait ? Il suffit de cliquer sur votre choix. On continue avec des propositions très différentes.
📰 Acteurs publics (média spécialisé sur l'administration publique)
🏊♀️ Waterair (spécialiste de la piscine en kit)
⭐ LE JOUR D’APRES CHEZ NORSYS.
Norsys n’est pas une ESN comme les autres, pas plus qu’une entreprise comme les autres. Son fondateur Sylvain Breuzard, qui cultive la permaentreprise, réfléchit sur la place de l’entreprise dans la société de longue date et cela se reflète dans la gouvernance, le management, la stratégie et des décisions très osées. Pas si étonnant donc de voir cette société à mission prendre deux nouvelles décisions radicales :
50% du résultat ira aux actionnaires, 50% aux salariés et à la société civile sous formes d’impôts et de dons.
Limitation des écarts de salaires : le plus haut salaire ne peut être supérieur à cinq fois le salaire médian de l’entreprise ; limiter l’écart entre les 10% des salaires les plus élevés et les 10% des salaires les moins élevés.
⏩ C’EST POUR BIENTÔT : Greenscale (agence de conseil en éco-responsabilité), Klian (assurance).
Du côté de la politique
📣 PENDANT CE TEMPS-LA A LA PFUE.
👨💼 Difficile de manquer le discours d’Emmanuel Macron au Parlement européen, traditionnel exercice de la présidence tournante. Il brosse tous les grands thèmes de la présidence française.
😨 Une présidence est toujours marquée par des événements d’actualité. Voilà une affaire géoéconomique ubuesque : comment la Lituanie se fait tordre les bras et jambes par la Chine.
😲 Le nucléaire et le gaz comme énergie de transition, ce n’est pas fait…
😤 Il y a quelque chose de très gênant dans les positions de Roberta Metsola, la nouvelle présidente du Parlement européen…
Du côté des idées
📊 LA TEMPERATURE NE GRIMPE PAS VRAIMENT DANS LES BOARDS.
De plus en plus de travaux viennent regarder l’adéquation entre la composition des conseils d’administration et les compétences et actions en matière climatique. L’INSEAD et Heidrick & Struggles viennent ajouter une pierre plus quantitative à cette édifice.
Disons que le résultat est très mitigé : les administrateurs ne sont globalement pas de fins connaisseurs des enjeux climatiques, ce qui en cascade signifie qu’ils ne prennent pas forcément les bonnes décisions en la matière, voire n’en font pas réellement une priorité.
Mais d’abord les nouvelles plutôt encourageantes : 58% des administrateurs interrogés (290, ce qui est un petit échantillon) estiment que climat et “purpose” de l’entreprise sont intrinsèquement liés. J’ai dit plutôt encourageant, pas parfait ! Je prends ce résultat, mais j’aurais pu en choisir d’autres dans les mêmes pourcentages. Sur la prise de conscience, elle est donc plutôt présente.
C’est dans le passage à l’action que les choses commencent à pâlir. L’étude est centrée sur la décarbonation. 41% des répondants affirment que leurs entreprises n’ont pas d’objectifs de réduction d’émissions GES. 41% de celles qui en ont les appliquent aux scopes 1 et 2.
Mais, souvent, le manque d’action est lié au manque de connaissances et/ou de compétences. Pas de surprise donc quand on apprend que les compétences ne sont pas un prérequis du board pour la sélection du CEO dans 65% des cas ou que seulement 11% des boards ont les compétences nécessaires sur les sujets climatiques. Et a priori, on peut douter que les choses changeront de sitôt, puisque pour 69% des répondants, les sujets climatiques ne font pas partie de la matrice de compétences pour la sélection d’administrateurs… Tout va bien non ?
🤔 METAPHORE RELIGIEUSE.
Pourquoi les entreprises font-elles de la RSE ? Vaste question à laquelle s’attelle Shawn Pope et Alwyn Lim dans un article de la MIT Sloan Management Review. Ils ont épluché des dizaines d’études et d’enquêtes pour faire ressortir les principaux traits et se sont lancés dans une comparaison plutôt religieuse.
Une entreprise se lance souvent dans la RSE par conviction en lien avec son éthique, ses valeurs, sa culture. Cette motivation “normative” est plus forte dans les enquêtes que des motivations plus “politiques” (réduire la pression des ONG par exemple) ou “instrumentales” (comme l’augmentation du moral des collaborateurs).
Mais, ces “saints” (c’est là que ça devient religieux) veulent que l’entreprise bénéficie de cette “auréole” et donc en retirent des bénéfices, surtout en matière d’image et de réputation.
Cette “auréole” génère une chaleur positive sur toute l’entreprise, puisque généralement cela se traduit par une meilleure satisfaction client, une plus forte intention d’achat, une loyauté envers l’entreprise plus forte, un moral des troupes à la hausse, un meilleur accès au financement, une meilleure relation avec ses fournisseurs etc. Plutôt convaincant non ?
🧠 UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
💌 Vous êtes entrepreneur à impact social ou écologique, un petit coup de pouce en communication et marketing vous intéresserait ? BNP Paribas et Publicis ont peut-être quelque chose pour vous. Deadline le 14 février si ce n’est pas joli.
💡 Quel est le rapport entre les Bioman (lien pour ceux qui sont nés après 1990) et l’entreprise ? Sylvie Gamet explore les liens !
👌 Béatrice Héraud vient de lancer “Le Grand écart”, une newsletter qui vaut le coup sur les enjeux environnementaux !
😮 Quand une entreprise devient société à mission, elle est souvent mise face à des choix difficiles, qui parfois génèrent des renoncements - de clients, de fournisseurs etc. Le restaurant de fast-food lyonnais Bënnie montre que les renoncements peuvent être profonds (et ils ne sont même pas société à mission… pas encore) !
🌍 La Convention des entreprises pour le climat a été auditionnée par la commission du Développement durable de l’Assemblée nationale. Occasion de faire un point sur le projet à mi-parcours.
Mon son de la semaine
J’ai récemment découvert The Clockworks, un jeune groupe britannique de rock bien acerbe et revendicatif. Exemple avec ce titre abrasif qui traduit une forme de désespoir, mais tout de même de volonté de lutter pour que les choses changent.
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A jeudi prochain,
Vivien.