#63 Décryptage de la mission de Voyage Privé (tourisme)
Temps de lecture : 6 minutes
Chère lectrice, cher lecteur,
Le vote de la semaine dernière entre Tediber et Voyage Privé s’est soldé par une égalité. C’est une première ! Merci à toutes celles et tous ceux qui ont voté. Chaque vote compte. Vraiment !
Pour ne léser personne, je vais donc faire les deux décryptages, cette semaine de Voyage Privé et la semaine prochaine de Tediber.
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Le son du décryptage
Morceau électro au titre évocateur, “La Mer des possibilités” de Le Matos est tout ce qu’on attend d’un bon morceau électro : un côté enivrant, un peu dark, pénétrant. A écouter au casque ! Et vous comprendrez le choix avec la raison d’être de Voyage Privé.
Le décryptage
Ne tournons pas autour du pot : le cas de Voyage Privé fait débat chez les observateurs de la société à mission. Vous allez comprendre pourquoi.
Voyage Privé a été lancé en 2006 avec un concept désormais connu, mais qui était très innovant à l’époque : des ventes privées pour des voyages à prix réduits un peu partout dans le monde. Le concept des ventes privées n’a plus de secret pour personne aujourd’hui et on sait que c’est parfois l’endroit pour faire de bonnes affaires. C’est exactement la proposition de valeur de Voyage Privé.
En parallèle, l’entreprise est engagée dans diverses actions de RSE en interne, comme sur son territoire du côté de Marseille. L’an dernier, Voyage Privé a décidé de franchir le pas de la société à mission.
La raison d’être :
Ensemble, provoquer les possibles
Cette raison d’être est très brève et se focalise sur l’inspiration. C’est donc le côté énergisant de la raison d’être que Voyage Privé a privilégié.
Deux notions ressortent : “ensemble” et “les possibles”. Le terme “ensemble” est fréquemment utilisé pour être inclusif : il vise généralement les collaborateurs, les clients, les fournisseurs, bref tout l’écosystème de l’entreprise. C’est une manière assez astucieuse et dynamique d’englober ses parties prenantes.
Le terme “les possibles” s’inscrit dans la continuité de la proposition de valeur de Voyage Privé, qui est de donner accès à des voyages de luxe à bas prix. Difficile de dire si cette raison d’être est singulière, car elle est assez elliptique. En tout cas, elle semble assez identitaire par rapport au discours de l’entreprise.
Toutefois, plusieurs questions se posent par rapport à une raison d’être dans l’esprit et la règle de la loi Pacte.
Tout d’abord, cette raison d’être ne traduit pas d’objectif social ou environnemental. Une raison d’être doit centrer la mission sur un enjeu sociétal auquel l’entreprise souhaite contribuer. Dans un contexte où l’on franchit les limites planétaires une à une , on peut se demander : faut-il provoquer tous les possibles ?
Dans la continuité, et assez logiquement de fait, cette raison d’être n’exprime rien sur la manière dont l’activité de l’entreprise va contribuer à cet enjeu sociétal. Il est conseillé d’être plus explicite sur le sujet sans non plus rentrer dans une description du métier. En l’état, on ne devine même pas le secteur d’activité de l’entreprise, ni où elle se situe dans la chaîne de valeur. Dans le secteur du tourisme, les problématiques sociales et environnementales sont légion. Voyage Privé ne se positionne pas et c’est dommage.
Enfin, une mission doit insuffler une démarche d’amélioration continue en lien avec l’ambition sociétale poursuivie. Difficile d’affirmer que c’est le cas avec cette raison d’être—on verra avec les objectifs. Cette raison d’être reflète l’ambition de Voyage Privé, mais en quoi va-t-elle la mettre dans une démarche d’innovation et de transformation de son activité ?
Ainsi, cette raison d’être ne correspond pas à ce que la loi Pacte prescrit. En l’état, elle pourrait être prise pour une signature de marque.
Mon conseil : selon la loi, votre mission doit directement concerner votre activité et doit cibler un ou des enjeux sociaux et/ou environnementaux. Si ce n’est pas le cas, votre mission sera un à côté, qui vous sera peu utile. Par ailleurs, vous risquez de rencontrer des difficultés lors de votre audit et vous vous exposez à des risques réputationnels, voire vous faire contester la qualité de société à mission.
Les objectifs
Nous croyons :
En la force du collectif comme moteur de changements
Au potentiel de chacun à développer le meilleur de lui-même et à impacter positivement
A la possibilité de changer de trajectoire, de sortir des déterminismes sociaux et économiques
En notre capacité à entreprendre, rassembler, fédérer pour construire un monde plus juste, plus équitable, plus responsable
Nous œuvrons à :
Servir de tremplins, de terres d’opportunités à tous les projets et personnes mobilisant talents et énergie en vue d’un changement
Rendre accessibles de nouvelles réalités professionnelles, sportives, géographiques
Rendre plus responsables nos écosystèmes
J’ai copié-collé ce qui ressemble le plus aux objectifs statutaires de Voyage Privé, mais ils ne sont pas définis comme tels, puisqu’ils viennent dans le prolongement de la raison d’être. Cela ressemble presque à un manifesto.
La première partie après “Nous croyons” participe clairement de cette logique et donc ne relève pas d’engagements. La deuxième partie après “Nous œuvrons à” pourrait faire office d’objectifs. Je vais me concentrer sur cette partie.
Servir de tremplins, de terres d’opportunités à tous les projets et personnes mobilisant talents et énergie en vue d’un changement
Il y a beaucoup de concepts : “tremplins”, “terres d’opportunités”, “changement”. Surtout, l’objectif semble mélanger deux parties prenantes : les clients (en leur servant de tremplis) et les collaborateurs (en mobilisant talents et énergie). Cela ne rend pas la déclinaison opérationnelle de l’objectif très simple.
Mon conseil : un objectif, une thématique ou une partie prenante. Cela permet d’être clair et ainsi de pouvoir définir des indicateurs et des engagements bien définis.
Rendre accessibles de nouvelles réalités professionnelles, sportives, géographiques
Cet objectif se distingue assez peu du précédent qui portait déjà cette notion de changement. Il aurait pu être judicieux d’avoir un objectif plutôt centré sur l’interne et un autre à destination du tremplin pour les clients. Surtout, il y a un fort accent qui est mis sur le changement, le nouveau, ce qui ne transparaît pas dans la raison d’être, donc cette dimension n’est pas très compréhensible au premier abord par rapport à la mission et à l’activité de Voyage Privé.
Rendre plus responsables nos écosystèmes
Cet objectif était attendu à la lumière des défis du secteur. Toutefois, en l’état, cet objectif n’est pas vraiment lié à la raison d’être et relève de la RSE. En outre, Voyagé Privé devra bien définir ce qu’elle met derrière le concept de “responsable” qui est très vaste et à qui, dans son écosystème, elle l’applique. Et pourquoi ne pas commencer par soi-même d’ailleurs ?
Au global
✅Une raison d’être qui cherche à être inspirante et énergisante
✅Une relative cohérence entre la raison d’être et les “objectifs”
📶Il y un souci d’adéquation entre la mission de Voyage Privé et le texte de loi. La mission n’adresse pas la matérialité de l’activité de l’entreprise par exemple : elle encourage des voyages à l’autre bout de la planète (quasi exclusivement en avion même pour un Paris-Londres), mais ne semble pas s’interroger pas sur la soutenabilité de cette activité (par exemple proposer un vol en hélicoptère comme activité à faire à New York) ; quid également de proposer un type de tourisme éloigné des pratiques de tourisme de masse que de plus en plus de villes essaient de limiter. Ainsi, la mission ne traite pas d’enjeu social ou environnemental bien défini. C’est en cela que le cas de Voyage Privé suscite débat chez les observateurs de la société à mission.
📶Selon les derniers statuts disponibles, les objectifs statutaires ne sont pas clairement nommés, ce qui pose la question de savoir s’il y en a vraiment. Par conséquent, il n’est pas clair si cette mission peut être déclinée opérationnellement. Pour construire son modèle de mission, il faut des objectifs statutaires définis, auxquels viennent s’ajouter des objectifs opérationnels, des indicateurs de suivi afin de pouvoir mesurer les moyens engagés et les résultats obtenus. Il leur reste encore 7 mois pour faire leur premier audit, suffisamment de temps pour clarifier ce modèle, voire adapter la mission pour qu’elle corresponde davantage à la lettre et l’esprit de la loi et du mouvement.
Cet exercice d’analyse se veut pédagogique pour toute entreprise souhaitant devenir société à mission ou en cours de transformation. Je m’évertue à être critique MAIS constructif.
Vous pouvez retrouver toutes les missions déjà analysées ici et mes 16 conseils pour passer société à mission ici.
Et si besoin, je suis à disposition pour échanger avec l’entreprise analysée.
Merci de votre lecture ! J’espère que ce décryptage vous aura plu. Retrouvez les 62 premiers décryptages ici.
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A demain pour la missive traditionnelle,
Vivien.