#59 Mais pourquoi sont-ils si méchants ?
24 pays pestent sur la COP26; décryptage de la mission du groupe CLS; classement des écoles sur des critères RSE; mobilisation presque générale pour Impact.gouv.fr; la saga Equans etc.
Chère lectrice, cher lecteur,
La COP26 est sur le point de commencer. Vous le savez, évidemment. En revanche, vous n’avez peut-être pas vu cette action (vue sur la newsletter d’Atlas Responsible Investors), certes coutumière avant les COP mais qui peut interpeller : 24 pays (les “Like-Minded Developing Countries”) ont signé une lettre dénonçant les appels à établir des objectifs nationaux de neutralité carbone d’ici 2050. Pour eux, cette demande est “anti-équité et contre la justice climatique”. Parmi les signataires, on retrouve notamment la Chine (même si le gouvernement a déjà annoncé son plan pour 2060), l’Inde, l’Arabie Saoudite et le Vietnam.
A première vue, on peut trouver cet appel en décalage complet avec l’urgence climatique. On a besoin que tous les pays du monde s’engagent plutôt que d’avoir des acteurs remettant en cause les engagements pris, qui relèvent pour ces pays “d’une aspiration globale plutôt que d’objectifs nationaux”.
En fait, cela fait des décennies que ces pays portent le même argumentaire : il n’est pas équitable de demander à des pays en voie de développement de faire le même type d’efforts qu’aux pays développés qui sont largement responsables de la situation dans laquelle nous sommes. Selon eux, les pays développés devraient s’astreindre à des objectifs beaucoup plus ambitieux : “la décarbonation totale dans la décennie à venir”. Rien que ça ! En prime, ce groupe continue de reprocher aux pays développés de ne pas avoir tenu leurs engagements financiers ces quinze dernières années pour aider les pays en développement à faire les investissements nécessaires pour décarboner leurs économies.
En gros, pour eux, les appels à la neutralité carbone sont une forme de double peine : tandis qu’ils doivent développer leurs économies et éradiquer la pauvreté dans leurs pays, ils devraient en plus décarboner leurs économies. Impossible de tout financer et d’être sur tous les fronts ! Pourquoi devraient-ils se tirer une balle dans le pied de leur développement économique ?
Je suis très partagé à l’égard de cette situation. Leurs arguments sont légitimes : ils n’ont pas les mêmes capacités financières et humaines pour envisager la neutralité carbone que les pays développés. En plus, ils portent une responsabilité beaucoup moins forte que les pays développés dans la situation d’urgence dans laquelle nous nous trouvons.
Cependant, on peut s’interroger : à quoi cela sert-il de faire croître son économie sur une planète qui ne serait plus vivable ? Par ailleurs, cette manière de penser repose sur une conception classique où développement économique rime avec gaz à effet de serre. Comme s’il n’existait qu’un seul modèle de développement : celui emprunté par les pays développés. Je trouve qu’il y a une forme de limitation intellectuelle à ne pas envisager de voies alternatives.
Mais comment le pourraient-ils ? Nous restons dans un monde où on juge le développement par des indicateurs de croissance économique, en premier lieu le PIB. C’est un des principaux indicateurs utilisés par les institutions financières internationales pour offrir des financements à ces pays. C’est un des seuls critères qui est calculé presque en temps réel et qui permet de dire si un pays va bien ou mal. C’est donc tout le système qui les invite à se limiter dans leurs réflexions. Sortir de ce cadre n’est pas une option a priori envisageable. Et donc, on va continuer à tourner en rond pendant longtemps… malheureusement…
Avant de passer au sommaire, je vous rappelle la parution de l’Entretien du mois d’octobre avec Octavie Véricel, dirigeante-fondatrice du cabinet d’expertise comptable Quovive, basé à Lyon. Octavie nous parle des experts comptables qui devraient être des ambassadeurs de la société à mission, de l'économie généreuse, de la claque du climat, de la mission de son cabinet, de son engagement pour transformer l'économie et tellement d’autres choses.
Au sommaire :
🛰 Décryptage de la mission du groupe CLS, spécialisée dans la collecte et fourniture de solutions d’observation et de surveillance de la Terre
🏆 Publication du classement des écoles sur des critères RSE
⭐ Le Jour d’après : on parle de la MAIF et du Crédit Mutuel
🎞 La saga Equans se poursuit : Bain Capital séduit les syndicats
🙋♀️ Le label PME+ a son advisory board
🙏 Mobilisation presque générale pour Impact.gouv.fr
😲 Le chiffre de la semaine : 0,5 %
💡 Les administrateurs ont un rôle à jouer dans la transformation de la gouvernance des entreprises
🎧 Mon son de la semaine : Gotan Project - Diciembre
🛰LA PASSION DE L’ESPACE.
Le groupe CLS (Collecte Localisation Satellites) vient de se déclarer société à mission. Filiale des belges CNP (Compagnie Nationale à Portefeuille) et du CNES, cette ETI de 900 collaborateurs est spécialisée depuis 1986 dans la fourniture de solutions d'observation et de surveillance de la Terre. Très engagé dans la protection de l’environnement au travers de son activité d’observation, le groupe CLS a lancé une structuration importante de son approche RSE depuis plusieurs années. En tant que membre du Global Compact, les ODD ont été un moyen utile d’établir une liste de priorités.
Si le passage en société à mission est présenté comme naturel par l’entreprise, il n’en reste pas moins que cela fait du groupe CLS la première entreprise dans le domaine spatial à franchir le pas, secteur hyper technologique.
Passons au décryptage.
Leur raison d’être :
“CLS, une entreprise mondiale, fédérée autour d’une passion : imaginer et déployer des solutions spatiales pour comprendre et protéger notre Planète, et gérer durablement ses ressources.”
Je la trouve claire et on comprend très bien le métier de l’entreprise. Il y a également quelques partis pris:
Le premier est d’être centré sur l’interne. Aucune partie prenante n’est mentionnée : on ne sait pas à qui sont destinées ces solutions, ni l’usage qu’ils peuvent en faire.
Le second est quasiment d’associer la raison d’être à “une passion”. C’est une démarche assez inédite, et qui explique en partie le premier parti pris. Cette passion mélange à la fois les ambitieux business de l’entreprise et des objectifs environnementaux. Cela peut aisément s’expliquer par la nature même des solutions proposées par le groupe.
Le troisième est de mentionner que CLS est “une entreprise mondiale”. Cela fait certes partie des éléments de communication habituels de l’entreprise, mais on sent que c’est un marqueur fort qu’elle ne veut jamais oublier de mentionner.
Remarquons enfin le choix de certains couples de mots, notamment “imaginer et déployer”. Cela ancre l’importance de l’innovation pour CLS.
Sur ces partis pris, je suis partagé sur le premier. Je l’ai déjà écrit par le passé : une raison d’être est multi-parties prenantes. Certes, tout le monde (ou presque) veut “protéger notre Planète”, mais justement c’est trop large.
Et cela m’amène au deuxième parti pris sur l’association entre passion et raison d’être. J’adore l’idée et je l’aurais poussé plus loin : comment CLS veut-il faire percoler cette passion auprès de ses parties prenantes ? C’est là l’enjeu central de la raison d’être pour moi.
La raison d’être reflète ici principalement l’historique de l’entreprise et ce qu’elle est aujourd’hui, mais en quoi cette raison d’être lui sera-t-elle utile pour penser autrement et innover sur des chantiers peut-être moins évidents que ce qu’elle explore déjà aujourd’hui ?
Passons aux objectifs :
Déployer des solutions spatiales pour sensibiliser aux fragilités et richesses de notre planète et préserver ses ressources et sa biodiversité pour les générations futures.
Fédérer nos collaborateurs autour de nos valeurs d’engagement, de confiance et d’agilité au sein d’une organisation efficace et responsable, au service de la planète et de l’être humain.
Mobiliser les compétences nécessaires pour développer des solutions innovantes à la pointe des technologies spatiales et digitales, au service de la croissance durable.
Reconnaître et valoriser nos collaborateurs pour favoriser leur épanouissement dans le respect et la tolérance afin de construire ensemble un projet environnemental international.
Globalement, ces objectifs sont assez cohérents avec la raison d’être et reflètent le parti pris de cibler l’interne.
Le premier objectif est potentiellement une inépuisable source de réflexions. Grâce à la quantité de données collectées, le groupe CLS pourrait beaucoup plus participer à cette sensibilisation publique au travers de données qu’il publierait sur son site ou par l’intermédiaire de partenaires externes, tels que des médias par exemple. Je spécule, parce que je ne sais pas si c’est l’idée que l’entreprise a à l’esprit, puisque la cible de cette sensibilisation n’est pas spécifiée dans l’objectif.
Je vais analyser les deuxième et quatrième objectifs ensemble, car ils sont vraiment centrés sur les équipes. Pour les habitués, vous aurez l’impression que je me répète, mais je trouve toujours bizarre d’inclure des objectifs liés au management dans sa mission. Le second peut à la rigueur renforcer la raison d’être, notamment en créant des indicateurs spécifiques, même s’il mobilise beaucoup de concepts qui l’affaiblisse au bout du compte. Le quatrième n’est, à mes yeux, pas nécessaire. Le respect et la tolérance ne sont pas des objectifs de mission, ce sont des impératifs du bien travailler ensemble.
Le troisième objectif est très ancré dans la réalité commerciale de l’entreprise : être innovant et croître. Soit, mais j’aurais par exemple utilisé le terme de “développer” avant “mobiliser les compétences nécessaires” pour insister sur le fait que participer à l’aventure CLS, c’est grandir en même temps que le projet par de la formation et du développement de nouvelles compétences. C’est peut-être implicite, mais pour le coup, l’explicite a également du bon.
En résumé, la mission du groupe CLS est cohérente avec ses engagements déjà pris et comme le dit le communiqué “vient officialiser notre ADN mais c’est aussi tenter de viser l’exemplarité dans nos conduites, dans nos pratiques, dans nos objectifs”. Toutefois, elle me semble trop centrée sur l’interne et aurait pu gagner en puissance à la lecture et pour l’avenir de l’entreprise en cherchant à être plus ouverte sur l’externe.
N’hésitez pas à me faire part de vos missions pour un décryptage si vous le souhaitez. J’essaie toujours d’être critique MAIS constructif. Cela peut être utile pour vous en interne, afin de clarifier certains points, mais également pour d’autres qui sont en chemin et peuvent bénéficier d’éclairages. Et je peux m’abstenir de publier mon analyse… Je suis joignable à vivien@machineasens.info. Retrouvez sur cette page toutes les missions analysées.
🏆 AND THE WINNERS ARE…
Il y a quelques mois, je vous parlais de l’initiative des Echos Start en partenariat avec ChangeNOW de créer un classement des écoles de commerce et d’ingénieurs sur des critères de transition écologique et sociétale. Le classement vient d’être publié.
269 écoles ont été auditées. Avant de donner les top 3, un point d’attention : ne sont classées que des écoles qui ont répondu au questionnaire nécessaire pour établir le classement. Il n’y a donc pas toutes les écoles.
Du côté des écoles de commerce :
ESCP
Montpellier Business School
emlyon
Du côté des écoles d’ingénieurs :
Centrale Nantes
Engees - Strasbourg
Isae - Supaero - Toulouse
Retrouvez le classement complet et la méthodologie ici.
⭐LE JOUR D’APRES.
Les annonces pleuvent chez les institutions financières concernant la décarbonation de leur portefeuille. Maif et Crédit Mutuel Alliance Fédérale, deux sociétés à mission, ont récemment annoncé des stratégies de sortie des énergies fossiles sur les vingt prochaines années. Dans les deux cas, l’action la plus immédiate concerne l’arrêt du financement de nouveaux projets liés au pétrole et au gaz. Ces deux annonces vont plus loin que les positions prises par d’autres acteurs financiers ces deux dernières semaines.
Dans “Le Jour d’après”, je signale une ou plusieurs actions menées par des entreprises passées sociétés à mission. Je m’appuie sur ma veille et donc souvent les articles de presse, mais si vous souhaitez me faire part d’actions que vous menez, notamment lancées à la lumière de votre mission, envoyez-moi un email à vivien@machineasens.info. Vous serez source d’inspiration pour d’autres !
🎞 LA SAGA EQUANS CONTINUE.
Le rachat d’Equans, filiale d’Engie, agite toujours le milieu politico-économique, sur fonds de souveraineté industrielle. Comme je le disais dans une précédente missive, les syndicats jouent un rôle de premier plan sur le dossier. Leur voix compte beaucoup et forcément, les potentiels acquéreurs les cajolent.
Le fonds américain Bain Capital avait une longueur d’avance et semble avoir remporté les faveurs des syndicats. Bien que le comité de groupe européen d’Engie n’ait pas clairement affiché de préférence, toutes les prises de parole vont dans le même sens. Il faut dire que Bain Capital aurait accepté toutes les demandes des syndicats. Pour rappel, le fonds américain s’est engagé à ce qu’Equans adopte la qualité de société à mission.
Les offres fermes seront présentées mardi. En lice : Bain Capital, Bouygues et Eiffage.
🙋♀️ PME+ SE STRUCTURE.
Le label PME+, destiné aux PME et ETI fournisseurs de la distribution, alimentaire et non alimentaire, continue de structurer sa gouvernance. Il vient d’initier un comité de gouvernance ouvert aux parties prenantes. L’objectif est d’accompagner le développement du label en incluant toutes les parties prenantes principales qu’il cible : entreprises labellisées et non labellisées, les distributeurs, les consommateurs. Une sorte d’advisory board en somme.
Du côté de la politique
🙏 MOBILISATION PRESQUE GENERALE.
La mobilisation autour de la plateforme Impact.gouv.fr ne semble pas aller suffisamment vite aux yeux du gouvernement qui l’a lancée en mai dernier. 150 entreprises volontaires ont publié leurs données RSE depuis le lancement. Pour accélérer le mouvement, Olivia Grégoire a obtenu de dix collectifs d’entreprises engagées de se mobiliser pour diffuser les valeurs de la plateforme et d’inciter leurs membres à publier leurs données. On y retrouve la Communauté des entreprises à mission, Croissance Plus, la Convention des Entreprises pour le Climat ou encore le B Lab France.
Dans le même temps, Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France, a lancé un joli tacle contre la plateforme dans un entretien pour Maddyness.
Du côté des idées
😲 0,5%
J’aborde souvent les sujets de finance à impact dans la newsletter. C’est certainement un secteur qui s’agite beaucoup sur les sujets climatiques. Mais, cela reste une toute petite minorité. Vraiment microscopique… Une étude du CDP, une ONG qui publie des données environnementales notamment sur des grandes entreprises et des fonds, vient donner un nouveau coup de froid.
Sur 16500 fonds analysés, gérant 27 milliards de dollars, seul 0,5% d’entre eux est aligné avec les objectifs des Accords de Paris d’une réduction des gaz à effets de serre pour limiter la hausse des températures à moins de 2°C. Ca pique les yeux…
💡 CA PASSE AUSSI PAR LES ADMINISTRATEURS.
Pour Marion Darrieutort, présidente du cabinet The Arcane, la transformation de la gouvernance des entreprises passe en partie par les administrateurs. Dans une tribune pour L’Opinion, Elle propose qu’une part de la rémunération des administrateurs non-exécutifs soit calculée sur la performance extra-financière de l’entreprise.
Mon son de la semaine
Il y a 20 ans, Gotan Project sortait l’album mythique La Revancha del Tango. Une réédition vient de paraître. Je vous propose d’écouter l’excellent bonus track “Diciembre”.
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A jeudi pour la prochaine missive,
Vivien.