#20 Le premier test pour la société à mission
Oui, c'est Danone. Mais à lire aussi sur Citeo, Explora Project, Quovive, la societa benefit en Italie...
Bonjour,
Quelle semaine ! On n’aura jamais autant parlé de société à mission… malheureusement pas forcément dans les termes les plus élogieux. Le cas Danone est un véritable test pour la solidité du statut. Mais, heureusement, il n’y a que ça dans l’actu de la semaine.
Au sommaire :
Octavie Vericel fait la promo du statut de société à mission
Le premier test avec le cas Danone
La société à mission part en voyage dans un emballage recyclé
Aujourd’hui, c’est le Green Friday!
Petit tour en Italie
Une question mystère pour les lecteurs les plus curieux
et d’autres choses… N’hésitez pas à liker, partager et commenter cette missive. C’est la 20e, donc un grand merci à vous de me lire toutes les semaines. Vous êtes de plus en plus nombreux à me lire, mais également à vous abonner. Ca fait plaisir ! N’hésitez pas à transférer cette missive à toute personne intéressée.
Je parlais il y a deux semaines de Quovive, cabinet d’expert comptable passé société à mission. J’avais découvert l’annonce par un biais un peu tarabiscoté. Octavie Vericel, sa dirigeante, m’avait fait part de toutes les démarches qu’elle était en train d’enclencher justement pour communiquer plus largement sur l’adoption du statut. Cela passe entre autres par cet entretien qu’elle a donnée à Lyon Mag TV. Dans un style parfois rugueux, le journaliste l’interroge sur les conséquences vis-à-vis des clients : est-ce que devenir société à mission change quelque chose ? Je vous laisse découvrir la réponse d’Octavie.
En tout cas, c’est un point clé que toute entreprise doit se poser qu’elle soit B Corp, à mission ou même à raison d’être. Forcément, cela change les choses, mais l’avantage est que cela les clarifie aussi…
LA MISSION EN VOYAGE. La startup Explora Project passe société à mission. Cette agence de voyage hyper centrée sur le tourisme responsable a annoncé sa raison d’être: “devenir l’acteur engagé du tourisme d’aventure en proposant, au plus grand nombre, un modèle de voyage à impacts positifs pour l’Homme et l’environnement”.
La formulation se focalise davantage sur le métier d’Explora Project, le tourisme, que sur un enjeu plus large. La volonté est que le core business soit respectueux de l’environnement. Et c’est vertueux : à son échelle, elle ambitionne de participer à un effort qui ne peut porter ses fruits que s’il est collectif. Cela se traduit par une série d’actions menées par l’entreprise dans le cadre des voyages qu’elle propose à ses clients, mais également des campagnes de sensibilisation vis-à-vis de toutes ses parties prenantes sur le voyage responsable.
EMBALLEMENT POUR LA MISSION. Citeo vient de modifier ses statuts pour passer société à mission. Spécialiste de l’économie circulaire de longue date, le mouvement est assez logique pour cette entreprise. Sa mission : “Pour répondre à l’urgence écologique et accélérer les transformations qui s’imposent, Citeo veut engager et accompagner les acteurs économiques à produire, distribuer et consommer en préservant notre planète, ses ressources, la biodiversité et le climat.”
La mission de Citeo est clairement axée autour de l’environnement, ce qui n’a rien de surprenant vu son cœur de métier (le recyclage). Elle dépasse ainsi le cadre de l’entreprise : il s’agit de répondre à l’urgence climatique. Il y a dans la mission de Citeo presque un aspect de prédicateur à l’égard des entreprises, des acteurs publics et des consommateurs (les “acteurs économiques”). C’est très engageant et stimulant ! Ce positionnement se ressent d’ailleurs dans les cinq objectifs que l’entreprise se fixe pour respecter cette mission.
LE PREMIER TEST. J’ai pas mal hésité pour savoir comment traiter la folle semaine de Danone. Disons que la logique inspirante que j’avais décrétée il y a deux trois semaines ne prédispose pas vraiment à évoquer tout ce qui se passe. Donc, je serai succinct. Ce que connait Danone aujourd’hui est le premier test grandeur nature de la tension entre le shareholder capitalism et le stakeholder capitalism appliquée à une société à mission. Au moment où l’entreprise était passée à mission, j’avais lu quelques analyses railleuses critiquant le statut davantage sous l’angle “arrêtons avec le monde des bisounours”. Du classique... Aujourd’hui, les commentaires sont railleurs, mais sur une éventuelle tromperie : quand on est à mission, les actionnaires ne devraient plus être prioritaires.
Je ne cherche pas à rentrer dans ce débat, mais cela montre plusieurs choses. Le statut de société à mission connaîtra inévitablement ce type de tensions. Cela fait partie de la vie des affaires. Comme le disent souvent les dirigeants (et généralement ceux qui sont très proches de leurs équipes), le cash c’est l’oxygène de l’entreprise. Au même titre qu’on n’a pas trouvé d’autres moyens que l’oxygène pour respirer, l’entreprise n’a pas d’autres moyens pour vivre que le cash. Il est évident que cette question est encore plus sensible quand on est une entreprise cotée et “opéable”, parce que la marge de manœuvre est dépendante de beaucoup plus de facteurs, dont cette fameuse “confiance des actionnaires”.
On parle de Danone aujourd’hui ; on parlera d’une autre demain. Etre à mission ne signifie pas être exempt de problèmes de trésorerie, de capacité d’investissement ou d’EBITDA. Etre à mission ne signifie pas que la voix des actionnaires peut être balayée d’un revers de la main. Etre à mission ne signifie pas non plus que toute transformation de l’entreprise se déroulera sans obstacles ou décisions difficiles.
Le cas de Danone fera date. C’est une entreprise dont les difficultés structurelles sont connues et la perspective d’une transformation profonde est évoquée de longue date. En outre, Danone compose avec l’environnement financiarisé dans lequel elle évolue, qu’elle le veuille ou non (je recommande cette analyse - une des meilleures que j’ai lue - de Michel Albouy dans The Conversation). Ses actionnaires sont une partie prenante indispensable pour qu’elle puisse engager des ressources importantes au bénéfice de toutes les autres qu’elle souhaite adresser. Evidemment que le capitalisme actionnarial a la peau dure et que nous sommes loin d’un capitalisme des parties prenantes pur et entier. C’est tout le challenge des sociétés à mission. Elles sont en avance de phase par rapport à un système ancré sur des fondamentaux depuis des décennies que l’on ne peut pas renverser en quelques années. Mais, il ne faut ni se décourager, ni jeter le bébé avec l’eau du bain. Le mouvement est enclenché ; la persévérance sera nécessaire pour résister aux nombreux vents contraires.
GREEN FRIDAY. Vous ne connaissez pas ? Laissez Nicolas Rohr, co-fondateur de Faguo (société à mission), et initiateur du mouvement Make Friday Green Again vous expliquer. Une initiative suivie par près de 1000 entreprises cette année.
LA CULTURE DU CHÂTEAU. Définir et entretenir une culture d’entreprise n’est pas chose aisée, surtout quand il s’agit d’opérer des modifications à différents niveaux de la vie de l’entreprise. Patrick Vignaud nous raconte comme Chateauform’, spécialiste des séminaires et de l’événementiel pour entreprises, s’y prend : c’est très intéressant !
Citation de la semaine
“Tout au long de nos études, plutôt que d’évaluer notre quotient intellectuel (QI) ou notre mémoire, ce sont nos capacités à penser autrement et à s’adapter qui devraient être testées. Cette logique perdure dans nos organisations, qu’elles soient publiques ou privées, où nos managers recrutent puis évaluent leurs collaborateurs à l’aune de leurs diplômes, des objectifs fixés sur leur fiche de poste et du respect des règles édictées. Ces méthodes anachroniques entraînent inéluctablement une obsolescence des compétences.
Nous serions bien inspirés de développer et de valoriser davantage notre quotient situationnel (QS) tel que le prônait, il y a plus d’un siècle, le pédagogue Adolf Ferrière dans ses nombreux travaux de recherche. Et si nous évaluions désormais l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter ?” (François Mattens dans un article pour le site français de la Harvard Business Review)
Du côté des idées
SOCIETA BENEFIT. C’est important de suivre les débats à l’étranger. On y apprend beaucoup et cela peut également être source d’inspirations sur les choses à faire ou à ne pas faire. L’Italie arrive assez rapidement dans le paysage, puisqu’elle fait partie des très rares pays au monde à offrir la possibilité aux entreprises de devenir une “società benefit”. A l’instar des benefit corporations aux Etats-Unis, c’est un statut à part. Quatre ans après son introduction, on dénombre environ 500 entreprises de toutes tailles ayant fait la transition. Cela donne un benchmark intéressant pour le statut de société à mission en France. Je vous conseille cet article qui donne un aperçu du débat italien sur ce sujet. Si vous êtes comme moi (incapable de lire la langue de Dante), Google Translate fera très bien l’affaire…
LES 5 PRINCIPES. McKinsey a publié un article sur la pertinence pour une entreprise d’adopter les principes du stakeholder capitalism. L’article énumère cinq principes pour aider une société qui serait intéressée d’y investir du temps et des ressources :
S’assurer du soutien du conseil d’administration
Etablir des objectifs environnementaux, parce que ce sont qui sont le plus aisément quantifiables
Accompagner toute sa chaîne de valeur dans cette voie vertueuse
S’assurer que ses produits et services causent le moins de dommages possibles aux clients et consommateurs (par exemple diminuer la dose de sucre dans les produits alimentaires)
Traiter ses collaborateurs avec respect tout en investissant dans leur développement
Difficile d’être en désaccord ! Mais comme le reconnaissent les auteurs, adhérer à ces cinq principes n’est pas une garantie qu’il n’y aura pas d’obstacle (cf. le cas de Danone évoqué plus haut).
FACE A FACE. Pour donner de nouveau suite au cas Danone, lisez ce face à face dans La Croix entre Anne Mollet, DG de la Communauté des sociétés à mission, et Swann Bommier, chargé de plaidoyer pour la régulation des entreprises multinationales, CCFD-Terre. Solidaire. Il porte sur le statut de société à mission : vraie évolution ou effet d’affichage ?
Mon son de la semaine
Le Conseil d’Etat donne trois mois au gouvernement pour montrer qu’il pourra tenir ses engagements climatiques d’ici 2030. Forcément, ça m’a rappelé Mickey 3D.
C’est tout pour cette semaine. J’espère que cette 20e vous aura plu. Si vous êtes arrivé/e jusque là, vous pouvez me poser une question en répondant à cet email ou via LinkedIn : “Vivien, combien de PME françaises ont déjà instauré une raison d’être statutaire ou songe à le faire ?”. Je vous donnerai la réponse, mais n’hésitez pas à me dire votre estimation.
A vendredi prochain,
Vivien.
Super intéressant Vivien. Merci pour cette analyse du cas Danone et des liens vers les autres ressources.