#181 Comment les grands groupes utilisent-ils leur raison d'être ?
Nouvelle étude ; et également la charte LGBT+ ; nouvelle raison d'être après une fusion ; la consommation responsable et bien d'autres sujets

Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 181e missive de votre newsletter sur les entreprises responsables. Je m’appelle Vivien et j’ai le plaisir de rédiger cette newsletter depuis 5 ans et je peux vous assurer que ma motivation n’a pas duplomb dans l’aile !
Trêve de jeu de mots, pour cette dernière missive avant une pause estivale, voici le sommaire :
💭 Comment les grands groupes utilisent leur raison d’être selon une nouvelle étude
👍 Crédit Mutuel Arkéa signe la charte d’engagement LGBT+
💡 Suite à une acquisition stratégique, Erilia revoit sa raison d’être
🔎 Le médiateur européen enquête sur la CSRD
🚧 L’importance d’établir des barrières dans son agenda
💰 Greenflex et l’ADEME sortent leur baromètre de la consommation responsable
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la biodiversité, Jean Jouzel, la gouvernance, le vin genré, un top 50 engagé et le greenhushing
🎧 Mon son de la semaine : Nilüfer Yanya - Where To Look
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
J’aime beaucoup Nilüfer Yanya découverte l’an dernier. Son dernier single me suit depuis plusieurs semaines : pop mélodique, mélancolique, rythmée. Une belle variété très séduisante, comme en témoigne “Where To Look”.
Une fois n’est pas coutume, l’édito est consacré à une étude fraîchement publiée par Rodolphe Durand, professeur à HEC, et Rupert Younger, professeur à Oxford. Ce travail s’intéresse à la manière dont la raison d’être est utilisée par les grandes entreprises européennes.
En préambule, je pars avec deux biais : je connais peu l’environnement de gouvernance des grands groupes—je travaille avec des TPE, PME et ETI—et je considère, à tort peut-être, que les raisons d’être de grands groupes ont une portée stratégique et opérationnelle limitée.
La sémantique étant importante, l’étude parle de “purpose”, mais l’associe à la raison d’être. Pour les auteurs, la raison d’être doit être “neutre d’un point de vue normatif, et répondre à la question de pourquoi l’entreprise existe sans devoir la relier à la notion de faire bien. En cela, elle peut transcender, inclure ou se limiter à des facteurs clés de succès essentiels, tels que l’efficacité, la qualité ou la capacité d’innovation.”
C’est une vision traditionnelle et plutôt anglo-saxonne avec laquelle j’ai un peu de mal. Mon quotidien est dévoué à la société à mission où il semble curieux de dissocier la raison d’être des enjeux sociaux et/ou environnementaux auxquels les entreprises souhaitent contribuer grâce à leur activité.
Comment les grands groupes définissent leur raison d’être
En s’appuyant sur 21 cas d’entreprises, quatre approches semblent orienter la manière dont les grands groupes définissent leur raison d’être, notamment en regardant le rôle du conseil d’administration :
La “découverte” (discovery) : l’articulation de la raison d’être s’appuie sur un socle bien ancré où l’entreprise fonctionnait déjà avec la perception d’avoir une raison d’être.
Le “développement” (development) : la raison d’être reflète les motivations profondes ou intrinsèques qui ont conduit à la création de l’entreprise en question. Elle prend toutefois en compte les évolutions et virages pris entretemps.
La “discussion” (discussion) : la raison d’être est le fruit d’une grande concertation interne, nourrie par des ateliers et des questionnaires.
La “direction” (direction) : la raison d’être est définie au plus haut niveau de l’entreprise, discutée et validée en conseil d’administration, avant d’être partagée dans les équipes.
Les auteurs constatent, mais ne formulent pas de recommandation. En s’appuyant sur des ateliers avec des représentants des 21 entreprises, ils montrent que chaque approche a ses vertus et ses défauts. Toutefois, je trouve qu’il y a des mélanges entre les différentes approches. Globalement, à la part la “discussion”, les autres approches sont top-down.
Comment les conseils d’administration utilisent la raison d’être
L’étude s’intéresse également à la manière dont les conseils d’administration utilisent la raison d’être. Les auteurs ont créé une matrice sur deux axes : “implicite-explicite” et “abstrait-détaillé”.
Les termes sont assez explicites, sauf la notion “abstrait”. Dans ce cas de figure, le conseil s’attache à créer un cadre et des outils à son niveau et laisse ensuite ces travaux se décliner et s’adapter au sein de l’organisation. Le cœur de l’étude repose sur les quatre cases : “Motto”, “Guide”, “Style” et “Compass”. Si je résume en m’appropriant chaque approche :
Motto : tout est assez implicite et peu suivi, ce qui permet d’avoir un cadre très souple, qui facilite l’agilité et la flexibilité et qui permet de s’adapter aux différentes réalités locales et culturelles. En revanche, cette approche présente un risque fort d’incohérence entre les différents BU et pays, car chacun se fera son idée de la raison d’être.
Guide : la raison d’être est explicitement utilisée, mais dans un cadre assez peu défini. Cela permet une compréhension commune de la raison d’être, qui s’appuie souvent sur une culture forte. En revanche, le manque de déclinaison peut l’amener à passer au second plan derrière la culture et en cas de crise, la prise de décision se détache de la raison d’être.
Style : la raison d’être est intégrée dans l’organisation de manière assez inconsciente, mais cela n’empêche pas l’existence d’indicateurs, surtout sur des aspects culturels et comportementaux. L’avantage est de valoriser la culture, ainsi que le sentiment de confiance et d’engagement. En revanche, une part d’interprétation revient à chaque collaborateur, source de confusion, et le reporting peut se centrer sur l’exécution, au détriment de l’agilité.
Compass : la raison d’être, source de la prise de décision, est décrite dans divers documents et fait l’objet de cibles et d’objectifs clairs. L’avantage est que tout le monde est incentivé sur la raison d’être et l’engagement interne est fort. En revanche, le reporting peut être important et quand un objectif n’est pas atteint, cela peut générer du désalignement et de l’insatisfaction.
Je trouve ces catégorisations intéressantes, parce qu’elles présentent différentes réalités qu’il faut avoir à l’esprit pour naviguer dans ces entreprises. Elles montrent également qu’il n’existe pas d’approche unique. Je le constate au quotidien avec les organisations que j’accompagne. Plaquer une méthodologie unique n’a aucun sens.
En revanche, cette étude me conforte dans l’idée que la raison d’être dans les grands groupes est souvent soit un outil pour quelques-uns—et donc qui infuse peu en interne—, soit un “truc” peu matérialisé et donc peu utilisé. Dans tous les cas, elle est assez rarement perçue comme stratégique avec une évaluation de sa pertinence et de son efficacité pour le développement de l’entreprise. C’est, à mes yeux, passer à côté de l’exercice.
👍 Charte LGBT+ - Bref focus
Crédit Mutuel Arkéa a signé la charte d’engagement LGBT+ de L’Autre cercle. Cette démarche s’inscrit dans la stratégie d’inclusion lancée par le groupe en 2023. Dans la perspective de vous proposer des “brefs focus” sur certaines initiatives, je souhaitais vous en dire un peu plus sur cette charte.
Sur ces sujets de DEI, il existe plusieurs initiatives, la plus connue étant certainement la Charte de la diversité, qui regroupe un peu plus de 5000 signataires (entreprises, associations, collectivités).
La Charte d’engagement LGBT+ de L’Autre cercle a été initiée en 2013 et regroupe plus de 250 organisations publiques et privées, principalement des grandes structures, comme la RATP, la Banque postale, la MAIF, Leroy Merlin, plusieurs collectivités, comme Dijon, l’Hérault ou la Loire-Atlantique.
Les signataires s’engagent pour 3 ans sur une pluralité d’actions, notamment effectuer des actions de formation et de sensibilisation, soutenir la création de réseaux internes LGBT+, communiquer sur l’engagement de l’organisation sur ces enjeux, ou encore adapter les avantages sociaux aux besoins des personnes LGBT+.
💡 Changement de raison d’être après une fusion
Les bailleurs sociaux Erilia et Logirem ont fusionné en 2024. Dans le projet de fusion, il avait été décidé qu’Erilia, entité mère, allait modifier sa raison d’être. C’est un cas de figure que je ne connaissais pas.
Je ne connais pas la motivation première pour cette modification de raison d’être, et plus globalement de mission, d’autant que les deux structures font le même métier. Logirem avait également une raison d’être de son côté, mais n’était pas société à mission, comme Erilia.
La nouvelle raison d’être est très sociétale : “Erilia agit pour le progrès social nouvelle génération et renforce la cohésion républicaine”. La précédente était : “Nous voulons rendre le logement accessible à tous pour changer la vie et contribuer à l’attractivité des territoires”. Les objectifs statutaires ont également évoulé. Je ne vais pas me lancer dans un décryptage (ils seront de retour à la rentrée !!).
En tout cas, je trouve ce cas intéressant. Lors d’acquisitions très structurantes, réinterroger sa raison d’être, voire sa mission quand on est société à mission, est très pertinent. Parfois, c’est nécessaire car vous intégrez de nouvelles activités, mais aussi pour créer du liant entre les organisations—si l’entreprise a privilégié une approche participative bien sûr—, d’autant plus quand on sait que l’humain est, de très, très loin, la première cause de frictions dans les opérations de fusion.
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🔎 L’omnibus soumis à une enquête du médiateur européen
L’information n’a pas fait grand bruit, mais le médiateur européen a ouvert une enquête sur la manière dont le package omnibus 1 sur la CSRD, la CSDDD et les autres réglementations concernées a été approuvé par la Commission européenne.
Le médiateur européen a été saisi en avril dernier par huit ONG critiquant la manière dont la Commission avait mis sur la table le package omnibus, qui selon elles, ne respectait pas les règles que l’exécutif européen s’est fixé pour l’élaboration de réglementations. Une enquête a été ouverte en mai et suite aux premiers éléments recueillis, le médiateur veut des réponses complémentaires de la Commission.
Dans une lettre à la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, la Médiatrice européenne Teresa Anjinho l’interpelle sur quatre points :
L’absence d’évaluation d’impact du package omnibus ;
L’absence de consultation publique (il n’y a que deux réunions) ;
L’absence d’évaluation de cohérence climatique ;
Sur le peu de consultation interservices.
Globalement, le sujet central est d’interroger la Commission sur les raisons de l’urgence qui l’a conduit à outrepasser ses propres règles. L’organisme ne semble pas bien convaincu par les explications fournies.
Peu importe les conclusions, cela ne devrait pas remettre en question le package, puisque la conclusion la plus sévère est de considérer qu’il y a eu une mauvaise administration et faire des recommandations. Néanmoins, cela pourra alimenter les arguments des députés européens opposés au package dans les débats législatifs à venir, même si ceux-ci traiteront du package omnibus 2.
Et dans le flou actuel, le collectif WeAreEurope a créé un outil de reporting à destination des ETI, plus élaboré que les VSME qu’ils estiment trop simplistes, et moins complexes que la CSRD, avant tout à destination des grands groupes. L’outil est en open source accessible ici. Un webinaire est organisé le 4 septembre pour en savoir plus auquel vous pouvez vous inscrire.
🧠 Un peu de jus de crâne
Selon une étude d’Ecovadis, le “greenhushing” bat son plein dans les entreprises américaines, qui poursuivent leurs investissements ESG, mais n’en parlent plus.
Le label RSE Positive Company a dévoilé le top 50 2025 des entreprises les plus engagées parmi les organisations labellisées.
Quelques épisodes de podcast super intéressants écoutés ces derniers jours :
C’est un livre audio, mais ça s’écoute en une grosse heure : le parcours passionnant de Jean Jouzel.
Xavier Gautier est l’invité du podcast de l’APM. Il parle d’un sujet ardu au premier regard, mais pourtant essentiel : la gouvernance !
Au micro de Céline Puff-Ardichvili, pour le podcast du C3D Le Sens et l’action, Thomas Breuzard, co-dirigeant de l’ESN norsys, et Isabelle Albertalli, Directrice Climat et Biodiversité chez Bpifrance, s’interrogent sur les méthodes pour prendre en compte la biodiversité dans son activité.
Certains le savent, je suis grand amateur de vins. Petite lecture innocente a priori dans Les itinéraires de Charlotte, mais qui en dit beaucoup : y a-t-il un sens à parler de vins “féminins” et “masculins” ?
🚧 L’importance d’établir les bonnes barrières dans son agenda
Dans un article pour Fast Company, Dana Mahina revient sur un sujet aussi fondamental que mal appréhendé : la gestion de son temps.
On est tous débordés, à enchaîner les réunions, à être le nez dans le guidon, etc. vous choisirez la réaction qui vous parle le plus.
Dana Mahina rappelle l’importance d’établir des barrières. Il y a de nombreux avantages, mais elle se focalise sur un aspect moins souvent traité : l’avancement dans sa carrière. Selon elle, savoir établir ses priorités, s’y tenir, mettre des barrières dans son agenda est beaucoup plus bénéfique à sa carrière que répondre positivement à toutes les demandes de rendez-vous, réunion, ou contribution à des projets.
Elle détaille le “Strategic ‘No’ Framework” qui s’articule autour de trois points :
Alignement avec ses disponibilités : avant de dire oui à une demande, demandez-vous si cela s’aligne avec vos priorités du moment ?
Savoir prendre du temps : définissez des blocs de temps pour des réflexions de fond et traitez-les au même niveau que des rendez-vous clients ou des réunions importantes.
Clarté dans la communication : soyez explicites sur vos temps de réponses et vos disponibilités, plutôt que d’être réactifs le plus rapidement possible, alors que vous n’êtes pas vraiment disponible.
Evidemment, que de bons conseils ! Je nuancerais sur deux points.
Le premier concerne la culture d’entreprise. Adopter unilatéralement ces pratiques n’est vraiment possible que dans des organisations qui le permettent. Si la culture interne (même inconsciente ou implicite) est la réponse dans les 5 minutes, la disponibilité à tout moment et le présentéisme en réunion, votre approche individuelle va vous marginaliser… Une démarche globale et collective s’impose.
Le second point concerne la disponibilité par rapport aux priorités. Dans la grande majorité des entreprises, la priorité, c’est la production. Donc, les projets transverses ou exploratoires seront toujours dépriorisés, parce qu’ils ne rapportent pas de contrats à court terme, ne sont pas considérés comme du temps productif et ne font pas partie des objectifs individuels.
C’est pour cela qu’il faut valoriser la participation à ces projets internes dans la culture interne, dans les pratiques managériales, dans les évaluations individuelles, voire dans les variables et primes. C’est le seul moyen de s’assurer que ces projets ne retombent pas toujours sur les mêmes.
💰 La consommation responsable, un créneau toujours porteur ?
Greenflex et l’ADEME ont sorti début juillet leur 21e baromètre de la consommation responsable. Quelques tendances de fond se confirment chez les consommateurs.
La montée de la résignation et du YOLO (“you only live once”). Concernant l’état d’esprit des Français vis-à-vis de l’état de la planète, 14% estiment qu’il est déjà trop tard pour agir (+3% en 2 ans). De même, seuls 53% estiment qu’il est urgent d’agir (-7% en 2 ans), tandis que 20% considèrent qu’on a encore le temps (+4% en 2 ans).
Dans les difficultés qui ressortent pour aller vers des comportements plus responsables, ces tendances se confirment. Les raisons psychologiques (hors prix) ressortent. “J’ai le sentiment que cela ne sert à rien que je fasse des efforts alors que la majorité des gens ne veulent pas changer leurs habitudes” est la deuxième raison invoquée par les “non-mobilisés” (43%) et c’est même la troisième pour “les mobilisés” (39%). “Je n’ai pas envie de renoncer à des plaisirs” est en troisième position pour les “non-mobilisés” (43%) et en quatrième position chez les “mobilisés” (30%).
Les pressions externes sont trop fortes. Cela fait un moment que nous sommes dans l’époque du “nudge”, ensemble de techniques qui cherchent à influencer des comportements. Elles sont particulièrement efficaces chez les jeunes (18-24 ans) qui ont grandi avec. Par exemple, 56% d’entre eux estiment que le renouvellement des collections textiles les pousse à acheter plus de vêtements (contre 28% au global). Les promotions et autres rabais sont des déclencheurs d’achat chez un consommateur hésitant, pour 50% des Français. Rien de surprenant donc à ce que les consommateurs estiment à 84% que l’on vit dans une société qui pousse à acheter sans cesse.
Il est certain que les marques elles-mêmes sont tiraillées. D’un côté, les techniques de marketing incitent à être “top of mind”, parce que les consommateurs sont volatiles et fainéants (je fais vite), donc il faut occuper l’espace partout, tout le temps. Parallèlement, toutes ou presque reposent sur des modèles d’affaires qui font que l’achat de produits neufs est la base de tout et vendre plus est le moyen de se développer ! Donc, si elles ne sont pas connues, “top of mind” et ne vendent pas du neuf, elles ferment boutique…
Rares sont celles toutefois à se dire “chouette, bombardons tous les espaces de vie de nos messages promotionnels”. Pas simple donc de sortir de ce casse-tête…
C’est terminé pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Je vous invite à commenter, à réagir en appuyant sur le ❤️ dans l’en-tête et à partager ce post. Merci beaucoup !
La société à mission est un sujet pour vous ?
En phase de réflexion sur la société à mission, sur la révision de votre mission actuelle, sur le pilotage et l’animation de votre mission, je suis à votre disposition pour creuser ces sujets. Vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
On se retrouve en septembre,
Vivien.