#18 Pourquoi les sociétés à mission doivent plus communiquer
Il en va du succès de cette initiative.
Bonjour,
Cette semaine, je change un peu le format. Je laisse ma plume expliquer pourquoi un effort de communication est essentiel pour que le statut de société à mission prenne plus d’envergure. C’est un premier jet, que j’améliorerai avec le temps. Je serais ravi d’en discuter si vous le souhaitez que ce soit pour voir comment le faire, pour m’éclairer sur des efforts réalisés que j’omets, pour me corriger sur certains efforts ou même tout simplement pour me faire vos remarques. Vous pouvez le faire en réponse à cet email, via les commentaires ou même via LinkedIn.
Je maintiens une veille assez poussée pour suivre l’actualité concernant les société à mission. C’est à peu près le seul moyen pour être au courant des dernières annonces. Et parfois, le moyen d’apprendre qu’une entreprise a décidé d’adopter le statut de société à mission est incongru. C’est le cas de Quovive, entreprise d’experts comptables à Lyon. C’est une annonce légale sur le site des Echos qui m’a informé. Autant vous dire que ce n’est pas le moyen de communication le plus évident… mais c’est symptomatique d’une situation que j’ai déjà souligné dans une précédente missive : le déficit de communication par et sur les sociétés à mission.
L’importance de cette communication renforcée dépasse le cadre du vouloir bien faire. Les entreprises à mission partagent l’envie d’être des sociétés différentes de la norme et souhaitent que leur envie d’agir différemment fasse tâche d’huile. Aujourd’hui, la diffusion est encore trop timide et seules des actions fortes, répétées et au long cours pourront donner au statut tout l’écho qu’il mérite et en assurer le succès.
Dans son rapport d’évaluation de la loi PACTE, France Stratégie illustrait le problème. Il n’existe aucun moyen de recenser les entreprises à mission, donc il faut s’appuyer sur de la veille en source ouverte. Donc, pour France Stratégie, nous en sommes à une vingtaine. Cela me semble probable. D’un point de vue juridique, il était difficile de passer société à mission avant le début de l’année. Le cabinet d’avocats Le Play tient à jour, quant à lui, une liste des entreprises ayant déclaré leur raison d’être avec inscription dans les statuts ou non. Ils en dénombrent 90. Tout aussi probable.
Comme le souligne le rapport de France Stratégie, le seul moyen de savoir qui est passé société à mission (accrochez-vous), c’est d’attendre un an. Pourquoi ? Parce qu’une société à mission doit créer un Organisme Tiers Indépendant (OTI), qui doit être désigné parmi ceux déclarés auprès du comité français des accréditations (COFRAC). Parallèlement, chaque entreprise doit notifier leur greffe du tribunal de commerce du changement de statut. Une fois que les OTI auront émis leurs premiers rapports pour vérifier les actions desdites entreprises, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce pourra communiquer la liste. Donc, pas avant 2021 a priori. Kafkaesque !
Globalement, une entreprise qui passe société à mission communique assez peu dessus. Il y a évidemment des exceptions, telles que La Maif, La Camif ou Faguo. Ce sont souvent des entreprises qui sont déjà étiquetées comme “entreprise militante” et qui communiquent beaucoup sur leurs valeurs et leur culture d’entreprise. Cela reste une minorité. Il y a des personnalités qui prennent également souvent la parole sur le sujet, à commencer par Emery Jacquillat, président de la Camif et de la Communauté des entreprises à mission, Guillaume Desnoes, co-fondateur d’Alenvi, ou Errol Cohen, dirigeant fondateur du cabinet Le Play et expert sur le sujet. Mais c’est insuffisant.
Ce travail de communication n’est pas anecdotique. Il reste un énorme effort de sensibilisation à réaliser sur le sujet des sociétés à mission et même de la raison d’être statutaire. Cette sensibilisation doit s’appuyer sur deux axes : médiatiser l’existence de ces outils et expliquer leur pertinence. S’il paraît peu probable que toutes les entreprises s’engagent dans cette voie - peu importe d’où viennent les réticences -, elle peut s’avérer naturelle pour beaucoup d’autres, de toutes tailles. On le voit aujourd’hui : le statut séduit de la startup au grand groupe en passant par la PME, même la TPE. C’est une question d’envie et d’état d’esprit !
Ce travail de médiatisation est à multiples facettes :
Communication individuelle
Evangélisation collective
Recensement
Communication individuelle
Aujourd’hui, on ne choisit pas de devenir société à mission pour des raisons juridiques ; et il n’y a aucune raison de le faire en cachette. Quand une entreprise décide de franchir le pas, c’est toute l’organisation et son écosystème qui naviguent dans la même direction. C’est un moment fort qui doit être communiqué comme tel. Les canaux de communication sont multiples : le site Internet et les réseaux sociaux (LinkedIn, Facebook, Instagram etc.) sont des outils à portée de toutes les entreprises. Ils peuvent déboucher sur des articles de presse ou des interviews.
Je trouve toutefois qu’il faut dépasser le communiqué de presse un peu bateau (trois-quatre paragraphes descriptifs qui se terminent par une citation de la dirigeante). Cela doit être doublé de textes plus personnels, que ce soit par le dirigeant ou par d’autres collaborateurs. Une mission, ça s’incarne ! Sans prendre des exemples de sociétés à mission, j’ai trouvé parfaites les communications du Petit Ballon, de Patrice Caine de Thalès, de Fiona Nixon, la directrice de la stratégie et de la communication de Bank Australia, ou encore de Brendan Wallace, le fondateur de Fifth Wall. Ces communications sont utiles en interne, comme en externe.
En France, on aime polémiquer et la crainte du “mission washing” plane déjà. Je fais partie de ceux qui considèrent qu’il n’y aucun risque de surcommunication s’il y a un alignement avec les actions menées par l’entreprise. Evidemment, toute société même vertueuse n’est pas à l’abri d’un scandale. Cela arrive, cela fait même partie de la vie d’une entreprise ! C’est la manière de réagir et de gérer le problème qui démontrera si elle est réellement vertueuse.
Donc, communiquer sur sa mission est important au même titre que sur ses indicateurs de suivi. C’est bien une communication au long cours qu’il faut instaurer autour de sa mission. Cela crée de l’adhésion en interne - la fierté des collaborateurs - et en externe que ce soit auprès des clients, des prospects, des actionnaires ou des partenaires de l’entreprise.
Evangélisation collective
Adopter le statut de société à mission reste aujourd’hui un acte militant : on considère que l’on peut faire du business autrement, que l’entreprise participe à une ambition plus large que celle de sa seule pérennité. C’est loin d’être une pensée universelle et il faudra de longues années avant qu’une majorité de chefs d’entreprises, d’actionnaires, de dirigeants politiques, et même de citoyens reconnaissent et acceptent qu’une entreprise a un rôle politique, à savoir qu’elle participe à la vie publique.
Ce changement de mentalité ne peut se faire par la diffusion discrète de la raison d’être et de la société à mission. Ce ne sera pas suffisant. Prenez l’exemple du statut de Societas Europaea. Vous ne connaissez pas ? C’est normal. Ce statut européen n’a jamais bénéficié d’un quelconque écho public même par les entreprises qu’ils l’ont adopté (à l’exception notable d’Atos et de quelques autres). D’un outil potentiellement politique, il est devenu un outil juridique dépouillé de sa portée européenne. Evitons que le statut de société à mission ne subisse le même sort où quelques dizaines d’entreprises l’utilisent à des fins ambitieuses, tandis que la majorité le prenne pour se protéger face à des actionnaires un peu trop zélés.
Pour cela, les sociétés à mission et leurs dirigeants doivent communiquer, autant que faire ce peut. Mais il est important d’avoir des approches concertées. Le statut de société à mission est un instrument législatif, donc il ne bénéficie pas d’une organisation qui peut en assurer la promotion, à l’instar de B Corp créé et accordé par le B Lab. Une telle structure peut créer des éléments de langage, des vidéos de promotion, des conférences etc. Elle crée un sentiment de communauté. Chris Marquis explique très bien comment les entrepreneurs certifiés B Corp ont envie d’évangéliser autour d’eux pour convaincre des pairs de rejoindre le mouvement.
En France, ce rôle est principalement assuré par la Communauté des entreprises à mission (CEM). Cette association se démène pour créer ce sens collectif autour de groupes de travail, de sponsoring de conférences, de webinaires etc. Elle ne bénéfice pas de la même force de frappe que le B Lab, mais je ne peux qu’encourager son rayonnement et son développement. Ma perception en tant qu’externe est qu’elle reste méconnue même auprès d’entreprises intéressées par le statut. Un travail de communication s’impose donc, mais cela doit passer par l’effet de réseau. Une entreprise rejoignant l’association devrait le faire savoir et communiquer dessus, soit par la voix corporate, soit par le/la représentant/e qui contribue aux travaux de l’association. L’exemple de Palo IT est d’ailleurs intéressant et trop rare malheureusement. Récemment devenue société à mission, cette entreprise de la tech a expliqué sa démarche dans un post de blog et a indiqué qu’elle rejoignait la communauté des entreprises à mission. Toute la charge de la communication ne peut pas reposer sur les épaules de l’association - elle n’en a pas les moyens.
La CEM n’a en effet pas le monopole de la promotion du statut. D’autres efforts sont possibles, notamment par des partenariats bien pensés. J’ai participé en septembre à un webinaire sur la raison d’être co-organisé par les cabinets de conseil Nuova Vista et Balthazar, tous deux entreprises à mission. La force du collectif ! D’autres partenariats peuvent être envisagés. Il suffit d’être créatif. Sur un autre front, je trouve très inspirante l’initiative NouveauDepart.eu lancée par Luko et Bulb, dont les intérêts et valeurs s’alignent notamment autour de leur certification B Corp. Pourquoi deux sociétés à mission ou plus ne pourraient-elles pas en faire de même ?
Cette évangélisation peut passer par de multiples canaux. Les fonds d’investissement sont intéressants à cet égard. Le fonds MAIF Avenir a une posture très militante vis-à-vis des startups dans lesquelles elle investit pour les inciter à rejoindre le mouvement. C’est une approche porteuse de sens et de pertinence.
Une approche sectorielle est également envisageable. Prenons l’exemple de l’habillement. Je doute que ce soit une coïncidence que l’on retrouve 1083, Faguo, Le Slip français et bientôt Bonne Gueule dans le mouvement des sociétés à mission. Ces entreprises sont animées par une envie commune de changer le monde de la mode et le fait que l’une choisisse la voie de l’entreprise à mission incite les autres à s’y intéresser. Effet boule de neige ! Je ne serais pas surpris de voir beaucoup d’autres acteurs de la mode aller dans ce sens à l’avenir.
La force publique a également un rôle à jouer. Après tout, le statut fait partie de la loi. C’est ce qu’Olivia Grégoire fait depuis plusieurs années, d’abord comme députée, puis désormais comme secrétaire d’Etat. Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire va dans le même sens. Il avait par exemple demandé l’an dernier à toutes les entreprises à participation publique de se doter d’une raison d’être statutaire.
Recensement
Revenons au point de départ : le recensement. Evidemment, recenser simplement les entreprises à mission ne présente que peu d’intérêts à part pour les observateurs. En revanche, ce recensement pourrait s’inspirer de ce que le B Lab fait, à savoir lister les engagements pris et les actions menées. Il pourrait aller plus loin avec des entretiens, voire des études de cas.
Ce recensement doit servir de sources d’inspiration. Il est vraisemblable qu’une entreprise souhaitant changer ses statuts se fera accompagnée. Toutefois, quiconque souhaitant amener son entreprise sur cette voie va aller se renseigner. Et nous savons tous la puissance de la voix des pairs, beaucoup plus que celles d’observateurs, experts, consultants, avocats etc. Les exemples et les témoignages inspirent le passage à l’action. Ce recensement doit aider à aller dans cette direction.
A qui revient ce travail de recensement ? Probablement à la Communauté des entreprises à mission, si elle l’accepte. A mon humble échelle, je participerai à cet effort, que ce soit pour recenser les nouveaux entrants, pour relayer la parole de leurs dirigeants et très bientôt en leur donnant la parole directement (projet à suivre…).
C’est terminé pour cette semaine. Si vous avez apprécié cette missive, vos likes et partages seront très appréciés. Plus encore que d’habitude, je suis preneur de vos commentaires, tout autant que de l’opportunité de discuter du contenu. La semaine prochaine, double dose d’actu parce que pas une semaine ne se passe sans nouvelles inspirantes !
A vendredi,
Vivien.