#177 La RSE, stop ou encore ?
Et aussi des bad buzz de L'Oréal et Havas; SBTi se recentre sur sa mission; les exosquelettes; la CSRD et la société civile; le Climate Fiction Prize
Chères lectrices, chers lecteurs,
Cela fait longtemps que je n’ai pas envoyé de missive “traditionnelle”. Beaucoup de jeudis sont fériés en ce moment.
Avant de commencer, je souhaitais vous partager quelques nouvelles de mon ouvrage sur les sociétés à mission. Je vois enfin le bout du tunnel ! Je peux d’ores et déjà vous en révéler le titre L’entreprise à mission en questions (… en réponses et en pratique). Il sortira début juillet aux éditions ContentA.
Quoi ?
Il est structuré autour de questions que l’on me pose, souvent ou pas assez, concernant toutes les phases de la vie de la mission, des plus initiales aux plus techniques, de la réflexion pour devenir société à mission à la modification de sa mission, en passant par toutes les phases pour la faire vivre.
Les réponses sont très pratiques, pragmatiques et pédagogiques avec de nombreux exemples. Elles s’appuient sur mon expérience de conseil, ainsi que de tous les échanges et entretiens que j’ai menés ces dernières années.
Pour qui ?
L’ouvrage est destiné autant à des lectrices et lecteurs qui veulent défricher la société à mission que celles et ceux qui sont déjà dans cette démarche et s’interrogent sur la manière de faire vivre, voire faire évoluer leur mission. De quoi vous accompagner pendant un moment.
Je vais organiser un événement de sortie à Paris début juillet. Le format doit être peaufiné, mais a minima, il y aura une présentation du livre, un échange sous une forme à définir, un petit cocktail (avec un début d’événement vers 18h30) et un ouvrage par participant à disposition.
J’en reparlerai dans une prochaine missive, mais si vous souhaitez recevoir une invitation par email, merci de me l’indiquer en répondant simplement à cette missive (je reçois l’email directement dans ma boîte). Je réfléchis également à organiser d’autres événements de lancement dans d’autres villes. Si vous souhaitez qu’on en parle, même chose, vous pouvez juste m’écrire.
J’ai vraiment hâte de partager le fruit de ce travail avec vous !
Allez, passons maintenant au sommaire et vous verrez, j’essaie quelques nouveautés :
💭 Un peu de hauteur sur l’histoire de la RSE
😵💫 Deux bad buzz dont on serait bien passé avec L’Oréal et Havas
🔦 Le SBTi conserve finalement le cap de sa mission d’origine après des tergiversations
🩻 Bref focus sur les exosquelettes
🥊 La contre-attaque de la société civile sur la CSRD et résultat d’une enquête européenne sur le sujet
📖 Le nouveau prix littéraire Climate Fiction Prize vient de rendre son verdict
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la loi anti-fast fasion, HSBC qui trahit ses engagements climatiques, une vision hyper positive de l’IA, l’hydropolitique entre l’Inde et le Pakistan
🎧 Mon son de la semaine : Les Savy Fav - Yawn, Yawn, Yawn
Le chiffre à trouver
Petite nouveauté dans cette infolettre avec "Le chiffre à trouver". C’est simple, en début de missive, je vous pose une question issue d’une enquête récente et je glisse la réponse quelque part dans le texte. A vous de la trouver. J’espère que vous apprécierez ! C’est parti !
Selon vous, quel est le pourcentage d’entreprises dans le monde qui ont maintenu leur trajectoire de décarbonation en 2024 ?
A. 57% / B. 71% / C. 84%
Pour les amateurs de rock indé pointus, Les Savy Fav doit vous replonger dans une période dorée du début des années 2000. Après un hiatus de près de 15 ans, ils sont revenus l’an dernier avec un nouvel album. Ils continuent avec un nouveau single sorti il y a quelques mois “Yawn, Yawn, Yawn”. Toujours la même énergie, la même urgence ! Un vrai bonheur de se replonger dans leur style si unique !
La RSE est en délicatesse. Il est difficile de d’établir les conséquences de la situation actuelle sur l’investissement des entreprises en la matière, sur l’environnement réglementaire et sur les attentes des citoyens/consommateurs/salariés à ce sujet. Pour prendre un peu de hauteur, Denis Maillard, co-directeur de l’Observatoire de l’engagement de la Fondation Jean-Jaurès, vient de sortir une note passionnante intitulée La RSE ça dégage ? Histoire et avenir de l’engagement des entreprises.
Son approche est centrée sur la France et les Etats-Unis pour expliquer comment la RSE a évolué en parallèle des évolutions politiques et sociétales.
Il rappelle que la RSE, qui commence à se structurer progressivement dans les années 1960, émerge avec d’un côté les enjeux de transition environnementale et “d’une croissance à finalité humaine”, mais plus essentiel à l’époque, la question “de l’émancipation dans et par le travail”.
Denis Maillard replonge dans certains auteurs, dont Adolf Berle et Gardiner Means. Ils expliquent, au début des années 1970, que pendant une bonne partie du XXe siècle, le consensus était que l’entreprise se gérait comme un Etat, à savoir dans l’intérêt de tous, “afin de limiter et d’orienter le pouvoir des managers puisque les actionnaires n’en ont plus le contrôle”. Sans être formalisée, la responsabilité sociétale de l’entreprise jouait à plein.
Les années 1970 et surtout 1980 sont marquées par un retournement de cette pensée au travers d’une vague néolibérale anglosaxonne incarnée pendant les mandats de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. C’est à cette époque que Milton Friedman fait fureur et qu’une autre position s’enracine : il faut arrimer les intérêts des dirigeants à ceux des actionnaires, et non plus à ceux de la société.
A cette époque, en France, prennent forme les premières politiques de diversité en entreprise. Elles sont avant tout le résultat d’échecs des politiques de la ville. C’est ce que l’auteur appelle la prise en compte “du social par l’extérieur” au sein des entreprises. L’ambition est d’utiliser l’entreprise comme un moyen de lutte contre le racisme et les discriminations, et promouvoir une attention plus soutenue aux minorités ethno-raciales ou sexuelles. Le sujet du handicap arrivera plus tard.
Cette tendance s’est confirmée depuis. Comme l’écrit l’auteur, l’Etat “autorise ou demande à d’autres acteur de tenir une place de sous-traitants de sa propre impuissance”. Claude Bébéar, patron d’Axa à l’époque, va jouer un rôle clef dans la diffusion des politiques de diversité avec des rapports, des ouvrages et des initiatives. Toujours en respectant le principe républicain d’égalité : on ne discrimine pas positivement, on cherche à éviter la discrimination.
Il est intéressant de constater, à ce stade de la note, que l’environnement ne figure plus du tout parmi les enjeux d’engagement des entreprises dans tout ce dernier quart de siècle.
C’est au tournant des années 2000 que les enjeux sociaux internes et environnementaux se rappellent au souvenir des entreprises. A mesure que les burn out et dénonciations de harcèlement moral se multiplient, l’enjeu des conditions de travail commence à s’imposer. De même, les questions environnementales deviennent une thématique d’intérêt pour les organisations.
La crise de 2008 va marquer un tournant avec une disposition claire de la puissance publique d’imposer davantage de normes RSE aux entreprises. Ce corpus normatif n’a cessé de se densifier depuis.
Néanmoins, l’auteur estime que les sujets sociaux et environnementaux ne sont pas traités à parts égales. Selon lui, “il n’est pas exagéré de parier que le capitalisme puisse être économiquement vert avant d’être socialement juste”.
En conclusion, l’auteur considère illusoire pour les entreprises de se désintéresser des enjeux de société. Même si l’entreprise n’est pas explicitement remise en cause par la population—contrairement à d’autres institutions—, les diverses crises que notre société traverse l’impacte forcément. Par exemple, lorsque l’on parle de la poursuite d’une vie digne, on invoque indirectement les salaires et la qualité de vie et conditions au travail.
Pour Denis Maillard, la “sociétalisation” des entreprises est donc inévitable. Reste à voir sous quelle forme, car le moment que nous vivons déterminera, selon lui, si ces enjeux redeviendront centraux ou non.
😵💫 Les bad buzz dont on aurait pu se passer…
Mini-compilation de deux campagnes idiotes de ces dernières semaines. La première émane de L’Oréal. On dit toujours qu’une mauvaise action demande dix bonnes actions pour regagner la confiance de ses interlocuteurs. Il faudra au moins ça ! Le groupe de cosmétique a fait une opération marketing avec 30 influenceuses françaises pour la promotion de produits anti-rides, rapporte Vert. Déjà, passons le fait de mobiliser des influenceuses qui n’ont pas 30 ans pour des produits anti-rides… Ensuite, les échantillons ont été livrés dans un bloc de glace pour souligner “l’effet glass”… Mais quelle aberration !
L’agence de communication Havas a réalisé la dernière campagne de Shein qui fait grand bruit. On y retrouve des messages, tels que “La mode est un droit, pas un privilège” ou “Pourquoi la mode devrait être un luxe ?”. C’est très clairement visé contre la loi anti-fast fashion qui sera prochainement examinée. Ce n’est pas tant que Shein fasse cette campagne qui surprend, mais plutôt qu’Havas l’ait réalisée. Comme le soulignait Thomas Parouty, communicant très engagé, sur Linkedin, Havas semble peu dérangée de faire la campagne des dévendeurs de l’Ademe d’un côté et celle de Shein de l’autre. C’est vrai que ça pose question, mais “business is business”, rétorqueront certains… Saluons à l’inverse la prise de position contre la fast fashion de Vestiaire Collective.
🔦 Le SBTi garde finalement le cap
Le SBTi semble avoir fait son choix : poursuivre une trajectoire fondée sur le consensus scientifique plutôt que de tomber dans la facilité suggérée par la réalité du terrain.
L’an dernier, je vous parlais de la situation délicate dans laquelle se trouvait l’association Science-Based Target Initiative (ici et ici), qui s’est spécialisée dans la validation des plans de transition climat des entreprises alignés sur le scénario +1,5°C des Accords de Paris. Bref rappel : le SBTi envisageait d’accepter les crédits carbones des entreprises dans le calcul de leurs plans de transition, au-delà des émissions résiduels. Branle-bas de combat qui avait même conduit un ancien employé à porter plainte contre l’asso l’accusant de se détourner de sa mission.
Un nouveau directeur vient de prendre les rênes de l’organisation et a clarifié plusieurs points :
Malgré diverses annonces de grandes entreprises ou organisations qu’elles relâchaient leurs efforts sur leurs trajectoires carbone suivant la logique que +1,5°C est un scénario irréaliste, SBTi tient sa ligne et continuera de valider des plans de transition selon ce scénario, parce que c’est le consensus scientifique d’un monde habitable. Pour répondre à la question du début de missive, 84% des entreprises affirment maintenir ou accélérer leur stratégie de décarbonation, selon le dernier baromètre de la décarbonation de PwC.
L’organisation a enterré le débat sur les crédits carbone en affirmant qu’ils ne seraient pris en compte dans les plans de transition que pour les émissions résiduels, pas pour pallier un manque d’efforts réels de la part des entreprises.
L’organisation sera plus vigilante et exigeante sur les méthodes de suivi et les indicateurs de transition.
Parfois, une grosse secousse a le mérite de remettre les pendules à l’heure quand une structure, asso ou entreprise, dévie de sa mission.
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🩻 Mon copain l’exosquelette - bref focus
L’imprimeur Exaprint a décidé d’investir dans un exosquelette pour améliorer les conditions de travail dans ses usines. Il est dédié au poste d’expédition où le salarié manipule de nombreux colis, parfois lourds.
Le montant précis de l’investissement n’est pas communiqué dans l’article du Journal des entreprises qui précise néanmoins que cet achat est pris sur un budget QVT de 300 000 euros. Exaprint compte 400 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros.
Je vous propose un bref focus sur les exosquelettes dont on parle beaucoup depuis pas mal d’années déjà. Il en existe de plusieurs sortes, mais la principale différence se fait sur la motorisation. Certains dispositifs utilisent des énergies mécaniques et d’autres des moteurs.
Dans le cadre professionnel, les exosquelettes sont surtout utilisés dans le BTP et la logistique, notamment pour alléger des charges et faciliter certains gestes à risques. Plusieurs raisons motivent l’adoption de cette technologie : réduire les troubles musculo-squelettiques, et conséquemment le nombre d’arrêts maladies, et améliorer les conditions de travail et la sécurité des collaborateurs.
Les prix sont très variables de ce que j’ai pu voir. Selon ce site, les modèles passifs coûtent en moyenne entre 2000 et 5000 euros (certains modèles de base peuvent être en dessous des 1000 euros), tandis que les modèles actifs peuvent dépasser les 10000 euros. Les prix ont beaucoup baissé ces dernières années à mesure que les modèles s’industrialisent et que la demande augmente.
Je vais essayer de vous faire plus souvent des brefs focus comme celui-ci. Je vous demanderai ce que vous en pensez d’ici quelques occurrences.
🧠 Un peu de jus de crâne
A chaque fois que j’entends le nom de cette entreprise, Glencore, cela me fait penser à un thriller. Dans le cas présent, c’est plutôt du côté de HSBC que ça se passe. The Bureau of Investigative Journalism a découvert que la banque avait enfreint ses engagements climatiques (moyennement surprenant vu ses récentes décisions) en levant de l’argent pour des projets de mines de charbon de Glencore.
Les tensions entre l’Inde et le Pakistan ont conduit le premier à suspendre un accord de partage de l’eau avec son voisin. Moins médiatisé que les actions plus violentes, cette décision illustre une dimension qui deviendra de plus en plus prégnante dans les relations internationales avec le réchauffement climatique : l’hydropolitique.
Point de situation utile dans Fashion United sur la loi anti-fast fashion, dont l’examen parlementaire va reprendre dans un mois.
Marc Benioff, CEO de Salesforce, a donné un long entretien à The Chief Executive dans lequel il livre sa vision de l’IA. C’est très intéressant de lire le point de vue d’un apologiste de l’IA, même si vous ne partagez pas son avis.
🥊 La contre-attaque civile pro-CSRD s’organise
Après l’approbation de l’Omnibus 1 qui valide le report de deux ans de l’application de la CSRD, les négociations sur le fond de l’affaire (Omnibus 2) ont commencé. Ca s’organise dans la société civile pour faire entendre une voix favorable à la CSRD, ainsi que la CS3D (sur le devoir de vigilance). Un mouvement commence à se faire entendre : WeAreEurope.
Ce collectif s’est lancé un peu sur un coup de gueule il y a quelques mois par Alexis Kryceve. Depuis, la réflexion s’est structurée. Tout d’abord, une grande consultation auprès des entreprises européennes a été organisée réunissant plus de 3000 réponses. Elles ont été analysées par une équipe de HEC.
Les résultats ont été publiés aujourd’hui. Je n’ai pas eu le temps de consulter tout le rapport. Je vous partage trois résultats que je trouve intéressants.
Ensuite, l’idée est devenue une association avec une page LinkedIn que vous pouvez rejoindre pour connaître les actualités et les prochaines actions.
Cette initiative est un exemple de ce qui se passe un peu en-dessous des radars à ce stade pour faire entendre une autre voix dans le débat sur la CSRD, aujourd’hui dominé par des contradicteurs.
📖 Le grand vainqueur du Climate Fiction Prize est…
Lire des romans est essentiel dans la vie. C’est banal d’écrire cette phrase et pourtant... Cela améliore la créativité, l’écriture, la capacité d’ouverture et mentalement, cela nous fait sortir de nos certitudes, de notre quotidien et nous confronte à d’autres points de vues.
Au hasard de ma veille, j’ai découvert le Climate Fiction Prize, nouveau prix littéraire qui récompense un roman traitant des sujets climatiques. Le prix a été décerné hier à l’autrice britanico-nigérienne Abi Daré pour son deuxième roman And So I Roar. Si vous souhaitez une recension des cinq ouvrages finalistes, allez sur The Conversation.
Je trouve très intéressant le principe des prix thématiques. Cela fait découvrir des ouvrages moins mis en avant dans les médias. A quand un prix francophone du roman sur des enjeux RSE ? (je ne crois pas qu’il en existe)
C’est terminé pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Je vous invite à commenter, à réagir en appuyant sur le ❤️ dans l’en-tête et à partager ce post. Merci beaucoup !
La société à mission est un sujet pour vous ?
En phase de réflexion sur la société à mission, sur la révision de votre mission actuelle, sur le pilotage et l’animation de votre mission, je suis à votre disposition pour creuser ces sujets. Vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
On se retrouve dans deux semaines,
Vivien.