#175 Ce que j'aurais voulu entendre sur la société à mission
après un nouveau baromètre ; de bonnes initiatives dans le care et la grande distrib ; la saga Ben & Jerry's-Unilever ; les entrepreneurs toujours plus engagés ; la parole publique des entreprises
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 175e missive de votre newsletter. Je m’appelle Vivien Pertusot, consultant spécialisé sur la société à mission, le plus clair du temps, et animateur de cette newsletter et d’un podcast.
Comme souvent, c’est assez dense, donc plongeons directement dans le sommaire :
💭 Ce que j’aurais aimé entendre sur la société à mission ces derniers jours
🫴 Oui Care lance une démarche sectorielle pour changer l’image des services à domicile
🥊 La saga entre Ben & Jerry’s et Unilever se poursuit
📈 Un acteur de la grande distribution persiste et accroît ses engagements
😊 Les entrepreneurs toujours plus conscients de leurs engagements et de leurs impacts
📣 Comment gérer la parole publique des entreprises ?
🎧 Mon son de la semaine : jigitz - tell you straight
Bonne lecture ! A picorer ou à dévorer !
Cette semaine, je vous partage une découverte récente, jigitz. J’ai trouvé peu d’infos sur l’identité de ce producteur d’électro. Ses morceaux sont totalement addictifs. Jamais plus de 3 minutes pour faire monter les bpm très vite ! La tête, les pieds, les mains ne peuvent s’empêcher de suivre les rythmes effrénés de ces shoots. Je vous partage le dernier single “Tell You Straight”, mais je vous encourage à découvrir tous les morceaux, parce qu’on en redemande tellement tout passe trop, trop vite !
Le 8e baromètre des sociétés à mission a été publié mardi. En tant qu’acteur dans ces démarches, c’est toujours un moment que je scrute avec beaucoup d’intérêt. J’aurais aimé participer à l’événement de présentation — de bonne facture d’ailleurs — mais le devoir m’appelait auprès d’une société à mission justement. J’ai toutefois regardé le live et je n’ai pas entendu tout ce qui me parait essentiel.
Tout d’abord, quelques chiffres. Fin 2024, date de clôture d’analyse, nous comptions 1961 sociétés à mission — la barre des 2000 a été franchie depuis. Une dynamique de croissance persiste, mais elle est moins forte : +23,7% en 2024 contre +44,2% en 2023.
Erratum : on m'a signalé que l'utilisation de la statistique 23,7% était fausse. En effet, le baromètre a arrêté le recensement au 31 janvier 2025. Or, des remontées d'entreprises ayant adopté la qualité continue d'arriver. Cela signifie que le nombre définitif de sociétés à mission en 2024 n'est pas connu. Il sera supérieur à celui que j'ai annoncé, mais il faudra attendre le prochain baromètre en 2026 pour le découvrir.
On peut juste dire que le 7e baromètre faisait état de 376 nouvelles sociétés pour 2023, à la date de parution, et que le nouveau montre une progression similaire sur 2024.
54% des sociétés à mission ont été créées après 2019, année de promulgation de la loi PACTE. 30% d’entre elles se sont directement constituées à mission. Après un tarissement en 2023—elles représentaient 24%—on note une remontée proche de 2022 (36%). Cela traduit la vigueur du dispositif pour les porteurs de projet et va à l’encontre de ma perception, donc je suis ravi d’être dédit !
Nouvelle donnée dans ce baromètre : l’âge médian des sociétés à mission est de 5 ans. Cela illustre que c’est davantage les projets récents, vecteurs d’un entreprenariat peut-être un peu différent et sensibles à des démarches d’engagement structurées, qui s’orientent vers cette qualité juridique. Un travail de sensibilisation, de pédagogie et de conviction est donc à mener auprès des entreprises plus anciennes. Hier, j’animais le comité de mission d’une entreprise dont le dirigeant a rejoint un programme d’accompagnement de l’ESSEC. Il nous partageait que sur les 60 dirigeants de sa promo, quasi aucun ne s’était vraiment penché sur le dispositif, au-delà d’en avoir entendu parler.
Même si les TPE-PME restent largement majoritaires dans les rangs de la société à mission, les ETI et grandes entreprises commencent davantage à se saisir du dispositif. Elles représentent respectivement 13,6% et 5,4% des troupes. C’est beaucoup plus que leurs proportions dans l’économie au global (1,5% et 0,6% respectivement). C’est assez concordant avec mes observations de terrain concernant l’adoption grandissante de la qualité par les ETI, même si je pense que la CSRD a ralenti le rythme. Reste à voir les effets de la loi Omnibus, à savoir que beaucoup d’ETI devraient être déchargées d’un reporting obligatoire. Cela pourrait réactiver des projets temporairement mis en sommeil.
Côté sectoriel, il est intéressant de noter que l’entreprise à mission séduit plus en B2B qu’en B2C, avec des évolutions très faibles dans la mode et le textile, dans la cosmétique et l’hygiène, et dans l’ameublement (entre +7 et +9%). Probablement le résultat du manque de connaissance de la qualité chez les consommateurs et donc de l’idée que cela ne va pas servir des enjeux marketing pour les marques.
Je pourrais continuer, mais finissons par un dernier chiffre sur la répartition régionale. Evidemment, les entreprises à mission sont réparties partout sur le territoire. Toutefois, une tendance francilienne domine, puisque 42,6% des sociétés à mission sont basées en Ile-de-France, alors que les entreprises franciliennes ne représentent que 21,3% de la répartition hexagonale au global. La seule autre région à faire mieux que son poids global est les Pays-de-la-Loire (5,5% sont à mission pour un représentation globale de 4,7%). Cela démontre l’importance de renforcer les efforts de diffusion de ce modèle en région.
Cette publication et l’événement se sont accompagnés de témoignages et de prises de parole. Mon fil LinkedIn a également été bien rempli de commentaires sur le sujet. En voici un de plus, mais je vais tâcher d’apporter une touche différente en vous partageant ce que je n’ai pas entendu et lu.
Plusieurs se sont satisfaits du nombre de participants à l’événement et de la progression dans les chiffres comme une preuve que le “backslash” n’est que médiatique et politique. Je comprends l’intérêt d’être positif, mais soyons lucides : ce backslash existe et concerne les entreprises. La baisse de la progression du nombre de sociétés à mission en est une des illustrations.
Selon moi, il faut être beaucoup plus offensif dans la promotion du modèle. Nous avons fini d’attirer ceux qui sont déjà convaincus et informés. Il faut davantage toucher les convaincus, mais non-informés et progressivement convaincre les hésitants. Les hésitants étaient hier biberonnés aux messages d’engagement et de RSE ; aujourd’hui, ils sont bombardés d’actualités et de décisions qui les invitent à la réserve, au repli et l’inaction sur des sujets comme la société à mission. Ne perdons pas la bataille du narratif !
Ce rôle revient à tous les acteurs investis dans la société à mission : les pouvoirs publics (c’est un dispositif juridique, ne l’oublions pas !), la Communauté des entreprises à mission (mais elle ne peut pas tout faire), les entreprises ayant elles-mêmes adopté la qualité (rien ne fonctionne mieux que le pair à pair et le témoignage), et nous tous qui gravitons auprès de ces entreprises (sans faire notre promo pour éviter l’effet repoussoir).
Cet esprit conquérant et fédérateur d’entrainement collectif était absent des prises de parole mardi et depuis. Pourtant, c’est ce qui fera l’essor ou l’effritement du dispositif. J’aurais aimé entendre ce message et je continuerai de le véhiculer et de contribuer à mon échelle à une diffusion exigeante du modèle.
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🫴 Oui Care veut redorer le blason du service à la personne
Le groupe de service à domicile Oui Care vient de lancer un nouveau mouvement “Dare To Care”, destiné à revaloriser les métiers de l’aide à domicile. Le PDG du groupe a notamment signé une tribune dans Forbes avec quarante autres dirigeants. Pour eux, “remettre le soin au cœur de nos priorités, c’est bâtir une société plus juste, plus solidaire, plus résiliente”.
Les deux principaux enjeux consistent à déculpabiliser les aidants aux recours à des entreprises de services à domicile et à encourager des entrepreneurs et des salariés à rejoindre le mouvement du care pour éviter l’isolement dans certains territoires.
Evidemment, cette démarche étant plus particulièrement initiée par Oui Care, elle devrait être portée par cette société à mission qui compte 23000 collaborateurs et 16 marques. Toutefois, les enjeux démographiques et sociétaux sont tels que l’élan doit être sectoriel pour valoriser ces métiers et créer des vocations.
Pourquoi j’en parle : Je suis très promoteur de démarches sectorielles. Qu’elles soient médiatisées ou menées autour de la table d’associations professionnelles, elles visent à faire bouger les lignes, les habitudes et les mentalités. Seuls, on est limités. Il faut se concerter, se mobiliser collectivement et agir ensemble sur le long terme. Le poids du groupe dans le secteur est réel, mais il n’y a pas besoin d’être un mastodonte pour agir. Même à plusieurs petits, des démarches peuvent aboutir.
🥊 La saga Ben & Jerry’s - Unilever continue
Depuis toujours, ce mariage a détoné : Unilever, géant du retail, et Ben & Jerry’s, glacier engagé. Certes, plusieurs PDG d’Unilever ont essayé d’insuffler un vent d’engagement dans le groupe avec des fortunes diverses, mais le glacier du Vermont a toujours été un trublion. En France, c’est juste un vendeur de pots de glace. Aux Etats-Unis, c’est une des entreprises les plus revendicatives en matière de justice sociale. Elle n’hésite jamais à prendre position dans des débats très sensibles outre-Atlantique, comme le racisme, l’homophobie et récemment la guerre à Gaza.
Début mars, son PDG David Stever a été licencié sans motif. Mais, Ben & Jerry’s accuse publiquement sa maison mère d’avoir pris cette décision suite aux décisions et positions du glacier notamment sur le conflit à Gaza. B&J’s est en procès avec Unilever depuis novembre dernier, car cette dernière violerait l’accord de fusion de 2000 sur la gouvernance et l’indépendance de l’entreprise. C’est également cet accord que le glacier utilise aujourd’hui pour attaquer le géant américain dans l’éviction de David Stever. Cette décision aurait été prise sans le respect des processus de gouvernance en place.
Mon avis : c’est un cas très extrême, mais cela montre l’importance de bien cadrer le respect des enjeux de mission quand une entreprise se fait racheter pour se prémunir de certaines situations désagréables comme celle-ci. Il est essentiel de déterminer les fondamentaux sur lesquels une entreprise ne transigera pas coûte-que-coûte.
📈 Un changement de business model, ça se prépare sur le long terme
PACA Participations est un OVNI dans la grande distribution. Société à mission depuis 2023, le fonds détient plusieurs magasins de grande distribution dans la région et compte un peu plus de 500 salariés. Depuis plusieurs années, la trajectoire a été prise de développer le bio, avec un premier magasin So.bio, filiale de Carrefour, à Brignoles en 2021 et désormais un second aux Arcs.
Ces magasins ont pour objectif de réaliser 20% de leur chiffre d’affaires avec des produits locaux récoltés à moins de 100km, en lien avec les engagements de mission. Cela modifie les relations avec leurs parties prenantes, dont les fournisseurs, où la concertation et la co-construction se sont développées.
Les engagements se portent également sur les équipes au travers notamment de la création d’une école de formation ouverte à l’interne et progressivement à l’externe.
Pourquoi j’en parle : cet exemple montre que l’on peut prendre des engagements forts dans un secteur tiraillé par les prix et les marges dès lors qu’ils sont au cœur de la stratégie et portés par la direction. Il n’y a rien d’évident à le faire et cela impacte le business model et doit donc s’inscrire dans une projection sur le temps long.
😊 L’engagement sociétal des entrepreneurs continue de progresser
Le réseau Initiative France a sorti son étude annuelle sur les entrepreneurs qu’il a accompagnés à la création ou reprise d’entreprise. Riche publication ; je vais me focaliser sur la question des engagements.
Il ressort que 75% des répondants ont considéré l’impact écologique et sociétal de leur projet au moment de le structurer, en hausse de 6 points en un an et de 21 points par rapport à 2022 (cf. ce que j’écrivais dans l’édito). 66% estiment que ces impacts sont aussi importants que les enjeux économiques de leur entreprise. C’est particulièrement le cas pour les entrepreneurs en QPV et pour les femmes.
Dans le top 3 des actions menées, on retrouve l’approvisionnement en circuit court, l’optimisation des déplacements et la réduction de la consommation énergétique. En revanche, la mesure des impacts ne fait pas partie des priorités ; la tendance est même baissière. Seuls 38% envisagent de le faire, en diminution de 9 points en un an.
📣 Comment gérer la parole publique de son entreprise ?
Le débat divise à savoir si les entreprises doivent prendre position sur des enjeux politiques. La position la plus commune est de rester loin de toute prise de position publique par peur d’un éventuel retour de bâton. Soit ces démarches sont entièrement déléguées aux fédérations professionnelles, soit la polarisation potentielle est telle que le silence est roi. Les pages “Opinions” des quotidiens, notamment Les Echos, proposent souvent des tribunes de dirigeants de grandes entreprises, mais sur des sujets assez consensuels et peu politiques.
Une étude de chercheurs conforte l’idée générale sur la prise de position partisane et la perception de cette démarche dans la société. Même si la base d’enquête est aux Etats-Unis, nous pouvons en reprendre les conclusions.
Dans l’ensemble, toute prise de position sur des sujets politiques et partisans est perçue négativement, sauf chez ceux qui partagent la même vision que celle défendue par l’entreprise. Il faut donc assumer les conséquences. C’est encore plus prononcé pour les entreprises qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer publiquement.
En revanche, si elles communiquent sur le fait qu’elles ne veulent pas prendre position plutôt que de rester silencieuses, cela renforce l’image de l’entreprise. Cela me paraît être un usage peu utile des ressources de l’entreprise, mais bon…
Concernant des questions moins polarisantes, la communication sur des enjeux politiques s’avère bénéfique pour son image, davantage que si elle ne communique pas ou pour dire qu’elle ne prend pas position. Il faut toutefois identifier des sujets non-clivants.
Quand des soutiens financiers se rajoutent à l’équation, tout devient plus extrême. Cela renforce la crédibilité pour les supporters d’une cause, mais accroît la critique chez les autres.
Bref, cette étude invite à la prudence, particulièrement sur les sujets polarisants. Cela ne signifie toutefois pas que le silence est la mère de toutes les vertus, loin s’en faut. Cette conclusion est intéressante dans le cadre d’une démarche d’engagement et de communication ciblée.
C’est terminé pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Je vous invite à commenter, à réagir en appuyant sur le ❤️ dans l’en-tête et à partager ce post. Merci beaucoup !
La société à mission est un sujet pour vous ?
En phase de réflexion sur la société à mission, sur la révision de votre mission actuelle, sur le pilotage et l’animation de votre mission, je suis à votre disposition pour creuser ces sujets. Vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
On se retrouve dans deux semaines,
Vivien.
Merci encore pour la qualité de l’analyse ! Une prise de recul sur mon quotidien de consultante RSE 😉