#172 Entreprises engagées : le moment de sincérité
Et aussi la responsabilité des cabinets sur la CSRD ; le champagne durable ; du mapping, de la formation, des initiatives sur la RSE et bien d'autres choses
Chères lectrices, chers lectrices,
Bienvenue dans cette 172e missive ! Je m’appelle Vivien, consultant société à mission de jour, et veilleur RSE de nuit. Toujours un plaisir de vous retrouver pour un nouveau concentré !
Probablement comme moi, l’IA vous a soulé cette semaine, donc je n’en parle quasiment pas. Alors, passons directement au sommaire :
● L’édito : entreprises engagées : le moment de sincérité
● Les cabinets en ont-ils trop fait sur la CSRD ?
● Le champagne se dirige-t-il vers un avenir plus durable ?
● Un peu de jus de crâne avec les 20 ans de la loi Handicap, la ville de demain, Castaner plus lobbyiste que consultant RSE pour Shein, le sommet contre-IA
● La semaine de 4 jours : le besoin de considérer les tenants et les aboutissants
● Le C3D lance un spin-off autour de l’économie régénérative
● Vous peinez à expliquer la RSE à vos collègues ou direction ? La solution
● Le MIF publie deux mappings sur l’accompagnement à la transition
Pour une raison inconnue, pas Chrome ne me permet pas de mettre des émoticones pour vous aider à vous repérer. Désolé, mais comme toujours bonne lecture, à picorer ou à dévorer !
Dans la dernière missive, je vous confiais que j’allais au concert de Caribou. Excellent concert du groupe canadien ! Je vous recommande tellement de (ré)écouter tous les albums. Bref… En première partie, Ela Minus a occupé la scène pendant 40 minutes. J’ignorais tout de cette artiste colombienne. Tout n’était pas parfait et on sent que la scène est un environnement qu’elle a besoin d’appréhender, mais quelques morceaux m’ont marqué, notamment “I Want To Be Better”. Une sorte de techno mélancolique assez enivrante !
Je suis inquiet. Mon dernier édito le laissait déjà transpirer… Rien ne m’a rassuré depuis, au contraire. En quelques semaines, nous sommes arrivés à un stade assez simple : c’est le moment de sincérité pour les entreprises.
Depuis plusieurs années, toutes les grandes entreprises, et beaucoup de plus petites, s’engageaient en faveur du développement durable. Cela concernait les aspects sociaux : diversité, inclusion, handicap, bien être, marque employeur… et environnementaux : empreinte carbone, éco-conception, réflexions sur la biodiversité etc.
Aux côtés d’entreprises convaincues, on en retrouvaient beaucoup d’autres qui le faisaient sous “la contrainte” de la réglementation et “des exigences” clients. J’utilise, à dessein, un vocabulaire que j’ai beaucoup entendu. Autrement dit, elles le faisaient non par choix ou opportunité, mais par obligation.
Aujourd’hui, les cartes sont rebattues. Inflation, Trump, omnibus, géopolitique sont les quatre hashtags qu’on pourrait utiliser pour expliquer le revirement actuel.
Bien sûr, tout n’est pas factice ; nous sommes dans un système qui valorise peu la résistance, la prise de risque et les convictions. Néanmoins, on sent une espèce de ouf de soulagement qui laisse penser qu’on est trop facilement passé de l’effort au désintérêt, voire l’abandon.
Pour le moment, ceci se passe sous les radars : des financements réduits dans le mécénat, discussions au niveau des Comex pour se limiter à la réglementation etc. Certains se disent que la réglementation européenne, contrairement à l’outre-Atlantique, oblige les entreprises à rester en mouvement. Mais jusqu’à quand ? Les premières vaguelettes se font sentir, la suivante interviendra après le 26 février, date rayée en noir par tous les acteurs de la RSE, puis viendront d’autres dates dans le courant de l’année, avant la grosse vague des budget à l’automne.
A côté de cela se joue un autre phénomène, dont je dois la prise de conscience à Marie-Gabrielle : l’IA. Quel rapport ? Depuis plusieurs années, tout le monde s’accordait sur le fait que la transformation des entreprises devait s’effectuer sur des critères de durabilité. Aujourd’hui, ce discours change et s’avère beaucoup plus sexy : l’IA sera le moteur de la transformation des organisations.
Pourquoi plus sexy ? Parce qu’on parle d’augmenter la productivité… et donc les marges, la rentabilité, les profits, les dividendes etc. Bref, tout ce qui contente notre système. La durabilité, c’était presque tout l’inverse : il faut freiner, changer, modifier pour continuer à exister. Discours de vérité, mais inaudible par la majorité dans notre système d’abondance et de croissance.
Nous entrons donc dans l’ère de la sincérité. On va donc enfin voir les entreprises vraiment convaincues qui poursuivront leurs efforts, des autres qui se relâcheront sans vergogne. Les opportunistes et les contraints vont en effet limiter leurs efforts en matière sociale et environnementale et rappeler à nos bons souvenirs que “cash is king”.
Cela fonctionnera d’autant plus que la société semble aller dans cette direction. Selon le dernier baromètre du Cevipof, 62% des Français estiment que les autorités publiques (et potentiellement par extension les entreprises qui suivent cette mouvance) leur disent trop ce qu’ils doivent faire en matière environnemental. 64% considèrent que les autorités publiques leur disent trop ce qu’ils ont le droit d’exprimer en public.
Le temps où la durabilité était mainstream peut rapidement devenir un lointain souvenir. J’exagère volontairement (un tout petit peu), mais le terreau est fertile pour faire pencher le gouvernail à 180°. C’est à nous toutes et tous, en entreprise, à la tête d’entreprise, aux côtés des entreprises de montrer, démontrer, illustrer, soutenir les vertus de la durabilité au bénéfice des sociétés et au service de la société.
C’est un chemin dur et potentiellement coûteux à court terme, mais je nourris l’espoir que nous sommes dans une phase de déni et de rejet qui progressivement laissera place à l’acceptation et l’action véritables et durables.
Les cabinets en ont-ils trop fait sur la CSRD ?
La CSRD va souffrir. On ne sait pas exactement à quelle sauce, mais la rumeur court de manière insistante que la double matérialité pourrait être retirée de la directive. Autant dire que cela signerait l’arrêt de mort de la comptabilité extra-financière à l’européenne, au profit des normes américaines. Parfaitement réjouissant dans le contexte actuel et quand on connaît l’importance des normes dans le fonctionnement de l’économie…
Un article de Novethic émet une hypothèse assez probable afin d’expliquer le rejet de la directive par les entreprises : les cabinets de conseil et d’audit. Il est certain que beaucoup ont flairé le bon coup : en conseil, on parle de budgets à des dizaines, voire centaines de milliers d’euros. Pour les auditeurs, c’est une juteuse fontaine avec des audits annuels.
A force d’insister sur la complexité de la directive, du dispositif et du reportage, ces cabinets ont fait fumer les cerveaux. D’autant plus que cela crée du business pour eux, mais en quoi cela aide-t-il les entreprises ? Bonne question… L’article cite plusieurs personnes qui expliquent que ces circonvolutions ont perdu de vue l’élément central : la transformation durable des entreprises. J’aime bien l’idée, mais la CSRD n’a pas été élaborée pour cela. Son but premier est de faciliter la comparabilité pour les investisseurs.
Le ver était dans le fruit. Plutôt que de considérer la CSRD comme un outil de transformation des business models, source d’opportunités, elle a été élaborée comme un outil obligatoire de reporting et de comparaisons, source de contraintes.
Je ne justifie pas le backlash que la CSRD connaît aujourd’hui, qu’il faut mettre dans un contexte plus large et très délétère pour l’économie et la société, mais il est pertinent de s’interroger sur les responsabilités des uns et des autres.
Le champagne vers un horizon plus durable ?
Le grand salon Wine Paris se clôture aujourd’hui. Impossible pour moi d’y aller cette année ! Fort dommage ! Mais visiblement, les représentants des producteurs de champagne avaient quelques annonces à faire : la RSE est importante pour eux.
Le Comité Champagne a rappelé l’importance de la transition dans laquelle la région se trouve. D’un point de vue carbone, elle souhaite être neutre d’ici 2050. Selon cet article, l’accent est mis sur l’optimisation de la consommation d’eau, la protection de la biodiversité et le recours accru aux énergies renouvelables. Dommage qu’il n’y ait pas de mention du poids des bouteilles et du transport, qui pèsent énormément !
Sur l’aspect social sont envisagées des formations, l’amélioration des conditions de travail et la valorisation des savoir-faire. Encore une fois, dommage qu’il n’y ait rien sur le modèle économique. Les prix flambent sur les champagnes qui deviennent de plus en plus un produit de luxe pour la clientèle française. Pas grave, disent les cyniques du secteur, les étrangers sont prêts à payer… jusqu’à qu’ils ne le soient plus (demandez aux producteurs bordelais qui avaient fait le même pari…).
Et en creusant un peu, je voulais voir le rapport d’impact de la filière normalement disponible sur son site. Diable, le lien ne marche pas…
Quelqu’un a eu la bonne idée de vous transférer cette missive ? Déjà merci à elle ! Inscrivez-vous pour rejoindre les 2092 abonnés à la newsletter ! Vous recevrez tous les décryptages, les podcasts et les missives hebdomadaires, ainsi qu’une invitation à un événement d’onboarding pour les nouveaux membres.
Un peu de jus de crâne
Il y a 20 ans était votée la loi Handicap. Petite Mu revient en BD sur les évolutions traitées par la loi, dont certaines concernent les entreprises. 20 ans plus tard, le compte n’y est toujours pas…
L’IA, on n’en peut déjà plus… Cette semaine, c’était un tel débordement de génuflexions en faveur de l’IA qu’on en oublierait ces aspects néfastes—pas potentiels, mais déjà réels. Le Monde a donné la parole au philosophe Eric Sadin, co-organisateur d’un contre-sommet IA.
L’émission “Un monde nouveau” de France Inter s’est penchée sur la ville de demain face au dérèglement climatique. Echange passionnant où on traverse le monde, les projets pharamineux comme ceux qui n’existent malheureusement pas.
J’espère que Christophe Castaner, consultant RSE / et apparemment affaires publiques pour Shein, n’est pas payé trop cher pour dire de telles absurdités.
La semaine de 4 jours ou pas ?
La semaine de quatre jour prend très progressivement de l’ampleur. Pas mal d’entreprises s’y mettent, de toutes tailles, même à la RATP. C’est évidemment une idée pleine de bonnes intentions nourries de nombreuses considérations, en particulier l’amélioration des conditions de travail et les difficultés de recrutement et de fidélisation.
Dans un papier du Monde, on se rend compte que la réalité de la semaine de 4 jours est à nuancer. Initialement, cette idée convoquait une réduction du temps de travail, à savoir que l’on travaillait moins de jours, mais surtout moins tout court. Aujourd’hui, la réalité est différente. Les accords portent généralement sur une concentration du travail sur 4 jours plutôt que 5.
Cette dénaturation plait à certains et pas à d’autres. Pour les premiers, pas de souci, parce que cela leur donne une journée de repos supplémentaire dans la semaine. Pour les autres, c’est plus compliqué, car cela augmente la pression et le stress et certaines personnes, notamment les femmes (plus encore les mères monoparentales ou principalement en charge de la gestion des enfants) ont du mal à gérer cette compression.
Comme tout ce qui semble être une avancée sociale, il ne faut pas la copier-coller, mais l’adapter aux populations que vous avez dans vos entreprises. Du bon sens peut-être, mais qui une réelle prise en considération et adaptabilité des entreprises.
Un spin-off du C3D
Le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) vient de lancer GenAct, une association dont la raison d’être est de “développer les capacités d’agir des personnes pour transformer les modèles des entreprises et des organisations, pour les rendre compatibles avec les limites planétaires”.
A priori axée sur l’économie régénérative, cette association s’adresse à tous les professionnels qui œuvrent à faire bouger les lignes, peu importe où ils sont par rapport l’entreprise. C’est à l’état plutôt embryonnaire à ce stade (le site marche mal), mais une plateforme devrait être mise en ligne et une page LinkedIn existe. Donc pour suivre l’évolution de cette initiative, allez sur la page LinkedIn.
2h pour comprendre la RSE
A priori, si vous lisez cette newsletter, la RSE n’est pas un concept abscond pour vous. Vous ne dites pas “le” RSE par exemple… Mais ce n’est peut-être pas le cas de vos collègues, de vos clients ou de votre hiérarchie… Si d’aventure vous cherchez un module court et bien fait pour expliciter ce qui se cache derrière cet acronyme, vous pouvez les diriger vers le Pacte Mondial de l’ONU. Sa section française vient de mettre en ligne un module de 8 épisodes, équivalents à deux heures, accessibles gratuitement.
Deux mappings sur l’impact
L’environnement de l’impact est dense, vaste, flou et parfois fumeux, reconnaissons-le. Le Mouvement Impact France a essayé d’éclairer un peu le sujet en créant deux mappings, un sur les accompagnateurs de l’impact (incubateurs, start-up studios, accélérateurs) et le second sur les cabinets de conseil en transition.
Le premier recense 207 lieux partout en France qui accompagnent les entreprises dans leurs démarches d’impact, à différents stades de leur évolution. Bien que la grande majorité soit en Ile-de-France, on en trouve un bon nombre dans toutes les autres régions.
Le second, sur les cabinets de conseil, est très fourni avec 466 cabinets. Cela fait beaucoup, mais rassurez-vous, vous pouvez filtrer. J’ai l’impression que sont exclus tous ceux qui sont moins de 3 (donc, vous ne me trouverez pas, mais après tout je ne traite que de la société à mission…). J’avoue que dans certains cas, je ne sais pas trop comment ils sont arrivés aux effectifs affichés. Qu’importe, cela peut éventuellement vous aider à identifier des cabinets arborant des compétences sur différents sujets liés à la transition, comme la transformation de business model, les achats responsables, la communication responsable ou l’audit.
C’est terminé pour cette semaine. Merci de votre lecture ! Je vous invite à commenter, à réagir en appuyant sur le ❤️ dans l’en-tête et à partager ce post. Merci beaucoup !
La société à mission est un sujet pour vous ?
En phase de réflexion sur la société à mission, sur la révision de votre mission actuelle, sur le pilotage et l’animation de votre mission, je suis à votre disposition pour creuser ces sujets. Vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
On se retrouve dans deux semaines,
Vivien.
Bravo et merci, très utile comme toujours !