#168 Comment bien appréhender le jour d'après de sa mission ou raison d'être ?
Déjà il faut vraiment le préparer ; également Work From Anywhere de Spotify; 4 ans de mission pour un cabinet de conseil; un jour à options; l'entreprise harmonieuse et plein d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 168e missive ! Je suis Vivien, c’est moi qui tiens la plume de cette newsletter sur les responsabilités d’entreprise. Cela fait plus de quatre ans et j’ai toujours autant de plaisir à vous partager mes analyses et mes lectures. Vous aussi j’espère !
Passons au sommaire :
💭 L’édito : comment préparer le jour d’après d’une raison d’être ou d’une mission ?
🧰 Spotify revient sur 3 ans de sa politique Work From Anywhere
⏮️ L’Agence Déclic partage son retour d’expérience 4 ans après être devenue société à mission
🔡 Le vendredi, journée pleine d’options chez Les Filles et Les Garçons de La Tech
🧠 Section dense cette semaine pour Un peu de jus de crâne avec un reportage incontournable sur les limites planétaires, l’importance des approches subjectives pour comprendre la société, Open AI et son choix de devenir une public benefit corporation, l’écart entre “emplois verts” et compétences disponibles, et la gestion d’un burn-out pour un manager.
📖 Recension de L’Entreprise harmonieuse. Une méthode pour redonner du sens à la vie professionnelle de Pierre Calmard, président de Dentsu France, groupe de communication et société à mission
🎧 Mon son de la semaine : MC Solaar - La Vie Est Belle
Bonne lecture, à picorer ou à dévorer !
Dimanche, je vais voir MC Solaar en concert. J’ai hâte ; ce sera la première fois. Forcément, je me replonge dans sa riche discographie. Je suis retombé sur “La Vie Est Belle”, morceau très prenant écrit en 2003 au moment des guerres d’Irak et d’Afghanistan, mais qui résonne tristement juste encore aujourd’hui.
Vendredi dernier avait lieu une nouvelle session d’onboarding pour les nouveaux abonnés de la newsletter. Moment toujours très convivial et sympathique ! Même si je ne veux pas imposer le sujet de l’entreprise à mission, force est de constater qu’il revient souvent. Je me demande pourquoi… (Pas de panique pour les abonnés des six derniers mois, votre session arrive très vite !)
La semaine dernière, deux participants ont partagé plus ou moins les mêmes questionnements sur la mise en œuvre de la mission. Cette semaine, je discutais avec un client qui a rejoint un comité de mission. Il m’expliquait qu’il s’était réuni récemment pour la première fois un an après que l’entreprise soit devenue société à mission. Clairement, il y a un hic…
Je me suis dit que j’allais revenir sur quelques conseils concernant le “jour d’après”. En soi, ils sont valables pour les sociétés à mission, ainsi que pour celles qui adoptent une raison d’être, voire décident de mettre en œuvre une stratégie RSE.
Tout tourne autour de la préparation.
Quand on travaille une mission, on a tendance à impliquer de nombreuses personnes, en interne par des ateliers, en externe par des entretiens.
Ces consultations sont importantes, parce que la mission ne peut, ni ne doit se résumer à un simple exercice de style réalisé entre personnes qui considèrent déjà savoir le résultat avant d’avoir appréhendé toutes les pièces du puzzle.
En outre, une mission doit être un projet fédérateur prenant en compte les intérêts des parties prenantes qui en assureront le succès, au travers d’une contribution directe (collaborateurs, clients par exemple) ou plus indirecte (actionnaires, fournisseurs par exemple).
Ce travail de réflexion sur la mission est souvent grisant. On est pris par l’émulation intellectuelle qu’il génère ; on aborde de nombreux sujets, souvent de fond. On cherche alors à s’assurer que la mission ne soit pas un exercice de communication, mais que ce soit une étoile polaire qui serve à la prise de décision, aux réflexions stratégiques et au développement de l’entreprise.
Cet exercice prend souvent du temps — penser qu’on définit une mission sérieusement, profondément et durablement en quelques semaines est une hérésie !
Pour toutes ces raisons, on oublie que la définition de la mission, ce n’est que le début…
J’entends régulièrement des personnes qui estiment que le process est plus important que le résultat. C’est vrai si le résultat n’est pas mis en œuvre. Seule la déclinaison opérationnelle assurera la réalité de la mission, de la raison d’être ou d’une politique RSE. Sinon, c’est juste une promesse…
Il est donc important de préparer la suite en parallèle du travail de définition : qui fera quoi ? Quelles actions seront lancées ? Quels indicateurs sont pertinents ? Quels moyens faudra-t-il mobiliser ? Quelles actions ou initiatives actuelles doivent être préservées voire amplifiées ? Comment se déroulera la coordination et le reporting ? Comment tout cela sera-t-il communiqué en interne et en externe ? Quels mécanismes permettront aux équipes de contribuer à des projets et de proposer des idées ? Quels mécanismes existants ou à créer permettront de soulever des points d’attention ou d’envisager des actions correctrices ? Comment célèbre-t-on les réussites ?
Autant de questions qui permettent de structurer et de préparer la suite plus sereinement. Surtout, elles évitent deux écueils fréquents : la fatigue institutionnelle et le retour à la normale.
La fatigue institutionnelle peut émerger quand on parle d’un sujet pendant un long moment et qu’on pense qu’il n’aboutira jamais malgré les efforts consentis ou qu’il devrait déjà être en place vu tous les moyens mobilisés. Une fois la mission rédigée, on souffle… et le temps file, l’attention sur le sujet s’étiole et d’autres priorités prennent le dessus…
Le retour à la normale conduit au même résultat. Une fois la mission dans les statuts ou la raison d’être approuvée, on pense que le travail est terminé et tout ce qu’on s’est dit pendant la construction reste lettre morte, parce qu’on passe à autre chose ou que le business as usual retrouve sa place.
Ces deux phénomènes ne peuvent être combattus que par une bonne préparation. Elle ne garantit pas tout, mais elle met l’entreprise sur les bons rails et suscite des attentes.
Cela évite également de se sentir face à une montagne infranchissable, ce sentiment que j’entends souvent : “c’est très lourd à gérer”. C’est encore plus le cas dans des structures où la mission pourrait sembler le pré carré d’une ou deux personnes. La préparation distribue davantage les rôles et montre que la réussite de la mission dépend d’un engagement collectif et partagé et qu’elle s’intègre dans le quotidien opérationnelle des équipes.
C’est également le cas pour le comité de mission. Il s’anticipe avant de devenir société à mission. Je remarque que beaucoup d’entreprises se posent d’innombrables questions sur ce comité, sa composition etc. C’est légitime vu son rôle, mais attention à ne pas tomber dans un excès de réflexion. Il vaut mieux, dans un premier temps notamment, un comité resserré et de qualité autour de personnes de confiance qui sauront vous apporter ce que vous cherchez plutôt qu’une assemblée hétéroclite avec des super pointures ou des profils de haut niveau qu’il sera difficile à réunir et à piloter. Vous aurez toujours le loisir d’ajouter des membres ou de revoir la composition après, une fois que vous serez plus au clair sur vos attentes, le fonctionnement et l’animation de cet organe.
Une première réunion de comité de mission un an après être devenu société à mission montre qu’il y a eu un souci quelque part et cela n’est pas de bonne augure pour la suite…
Tout est dans la préparation à l’exécution. C’est elle qui permettra à l’entreprise d’avancer, de réagir, de modifier. Comme le disait Eisenhower : “plans are worthless, planning is everything”.
Quelqu’un a eu la bonne idée de vous transférer cette missive ? Déjà merci à cette personne !
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🧰 Spotify et sa politique de Work From Anywhere
A l’heure où le télétravail est mis à l’épreuve dans beaucoup d’entreprises, intéressons-nous, grâce à un article de Fast Company, au cas de Spotify qui a mis en place une politique de “Work From Anywhere” (WFA) depuis 2021. Au sein de l’entreprise suédoise, on peut travailler du bureau, en remote, un peu des deux. Chacun s’organise.
L’article relate les propos de la DRH de Spotify qui explique qu’une telle décision a un impact significatif sur la culture de l’entreprise et qu’il faut bien l’anticiper. Ils ont eu un essai grandeur nature avec la pandémie, qui a accéléré pas mal de sujets, mais la conversation sur une telle politique avait démarré cinq ans plus tôt.
Une des motivations à lancer cette politique WFA était de répondre à la demande de flexibilité des équipes. Cela ressortait dans les enquêtes internes. Trois ans après cette décision, la répartition entre ceux qui travaillent du bureau et ceux qui sont en remote est plutôt équilibrée.
Pour l’entreprise, répondre à cette demande s’appuyait sur l’idée que cela allait faciliter le recrutement. Spotify connaît les mêmes difficultés que les autres, mais le temps de recrutement entre l’annonce et le choix est passé de 48 à 41 jours en moyenne. Côté fidélisation, le taux de turnover a été divisé par 2.
Autre avantage, cette flexibilité accroît la diversité dans les équipes. Ils ont également évalué que l’efficacité, l’engagement et le bien-être des équipes étaient restés constants ou avaient progressé depuis la mise en place de cette politique.
Cela étant, l’article pointe du doigt que les défis sont réels, notamment pour maintenir la culture d’entreprise.
Spotify traite cet enjeu en organisant un certain nombre d’événements physiques dans les 12 bureaux qu’ils ont dans le monde afin que les équipes se rencontrent, discutent boulot et passent du bon temps ensemble.
De même, les nouveaux arrivants doivent passer la première année sur site. Ensuite, à eux de choisir d’où ils ont envie de travailler. La venue au bureau est également encouragée pour les salariés en home office qui se sentent isolés ; venir au bureau et interagir physiquement avec leurs collègues s’avère souvent un bon remède.
Si cet exemple n’est pas applicable partout, il soulève des sujets pertinents au moment où on s’interroge sur un retour forcé, et pas très réfléchi, au bureau, pas plus d’ailleurs que la décision il y a quelques années de mettre en place des régimes de télétravail très flexibles…
⏮️ Retour d’expérience de l’Agence déclic sur 4 ans de mission
L’Agence déclic, cabinet de conseil en RSE, a partagé son retour d’expérience quatre ans après être devenue société à mission. C’est un exercice que j’appelle très fréquemment de mes vœux, tant je trouve que type de témoignage manque, alors même qu’on commence à avoir un vivier important d’entreprises qui peuvent partager du vécu.
Anne-Laure Simon, co-dirigeante du cabinet, propose sur leur site un retour en arrière sur les grandes étapes de la mission. Le fait d’être une des premières conduit forcément à faire quelques erreurs, corrigées au fur et à mesure.
Ils ont décidé d’avoir un comité de mission même si cela n’est pas obligatoire pour le cabinet, employant moins de 50 personnes avec pour mantra “le plaisir de se retrouver et de créer les conditions pour réfléchir ensemble ; il faut que les participants repartent en ayant eux aussi appris des choses”.
Anne-Laure Simon évoque également les différents rapports de mission. J’apprécie son honnêteté quand elle explique qu’elle ne voyait pas trop l’intérêt d’une itération annuelle et que c’est par la pratique que l’utilité s’est révélée. Aujourd’hui, l’exercice est acté et chaque rapport est amélioré sur le fond et la forme—le dernier fraîchement sorti est accessible via ce lien.
Elle parle aussi de l’audit, passage obligé qui force à se poser des questions et à être plus clair et explicite : “ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement ; ainsi devoir nous ‘justifier’ nous a permis de gagner en maturité et surtout de travailler à l’intégration des objectifs opérationnels dans le quotidien des consultants (modification de nos process, de nos outils…)”.
Aujourd’hui, L’Agence Déclic a envie de franchir une nouvelle étape en inspirant d’autres, à commencer par la publication de ce billet.
🔡 Le vendredi, journée à options, chez Les Filles et les Garçons de La Tech
Dans cet ESN, le vendredi est un jour que les salariés peuvent dédier au travail, à un engagement associatif, à la formation. Evidemment, c’est une mesure pour peaufiner la marque employeur de l’entreprise dans un contexte de recrutement tendu, mais aussi pour mettre en avant le développement personnel et l’engagement citoyen, explique Fabien Amico, l’un des co-fondateurs dans La Provence. Surtout, il faut assumer que ces jours ne sont pas passés au développement économique, ce qui est loin d’être anodin !
D’un point de vue comptable, ce sont environ 4 jours par an et par collaborateur dédiés à l’engagement associatif et 17 par an et par collaborateur à la formation. Tous ces engagements se traduisent également dans le quotidien de l’entreprise avec des ajustements apportés aux services proposés, aux outils et méthodes adoptés, ainsi qu’aux process internes.
🧠 Un peu de jus de crâne
TF1 a proposé un reportage hyper instructif de 7 minutes au JT de 20h sur les limites planétaires. Didactique, engageant et très bien réalisé, il est juste incontournable. Vraiment ! A voir et à partager
Dans un passionnant entretien pour Polytechnique Insights, Nicolas Duvoux, auteur de L’Avenir confisqué, explique pourquoi il faut intégrer des approches subjectives pour comprendre notre société au-delà de données objectives. Selon lui, ces analyses apportent une autre vision, qui permettent de mieux comprendre les malaises que nous percevons.
dans un article pour Fast Company, Jenny Fernandez, coach d’entreprise, donne de précieux conseils aux managers pour prévenir et gérer des situations de burn-out.
Et si la décision de Open AI de devenir une public benefit corporation aux Etats-Unis était un écran de fumée ? C’est la théorie qu’explore un article de Pioneers Post. Je n’adhère pas à tous les arguments, mais ils ont mérité de soulever des questions légitimes.
Dans un nouveau rapport, LinkedIn démontre qu’il y a globalement une offre plus forte pour des “jobs verts” que de candidats disposant des bonnes compétences. Même si cette tendance est plus marquée dans certains que dans d’autres, parmi les 43 analysés, les auteurs estiment essentiels de prendre le sujet en compte pour traiter ce problème rapidement.
📖 Recension de L’Entreprise harmonieuse. Une méthode pour redonner du sens à la vie professionnelle de Pierre Calmard (Eyrolles, 2023).
Pierre Calmard préside Dentsu France, filiale française du groupe de communication japonais. Dans cet ouvrage, il raconte le parcours de cette entreprise, depuis sa prise de poste en 2020, époque où l’entreprise allait très mal financièrement, jusqu’à 2023, peu de temps après son passage en société à mission dans une situation économique revigorée.
Dentsu France, qui compte un millier de salariés, est particulièrement active dans le milieu de la pub. C’est un secteur décrié—l’auteur l’aborde—et finalement méconnu. L’auteur y consacre pas mal de pages pour mieux comprendre ce milieu, notamment les particularités économiques et l’évolution des mœurs dans le secteur (concernant les conditions de travail ainsi que le contenu des pubs), ainsi que les défis liés au support de communication. Conscient de tous les aspects du métier, il a inscrit la remise en route de l’entreprise dans “l’ère post-publicitaire”. Pierre Calmard estime que la reconstruction d’une entreprise en perdition nécessite de mobiliser l’art du storytelling pour relancer une dynamique positive en interne et vis-à-vis de l’externe.
Mais, le gros de cet ouvrage se concentre sur “l’entreprise harmonieuse”. Ce concept que l’auteur détaille largement est une approche presque méthodologique qui cherche à trouver le juste équilibre dans un contexte où les vents contradictoires sont permanents. Tout est question de cohabitation, de cohérence et d’équilibre.
Toutefois, Pierre Calmard reconnaît que “l’entreprise harmonieuse” n’a pas été la première pierre de son édifice. Il fallait d’abord restaurer la confiance des équipes et des clients dans la capacité de l’entreprise à survivre et se développer. Une fois l’impératif économique négocié — sans management brutal, étant lui-même peu adepte de l’autorité —, il a ensuite pu déployer son approche en commençant par le Comex, puis les managers intermédiaires et les équipes. C’est toute une culture d’entreprise qu’il fallait remodeler.
Il n’avait pas dans un coin de sa tête l’idée de faire de Dentsu France une société à mission. C’est une jeune manager qui a planté la graine ; lui était plus dubitatif au départ. A mesure de réflexions et d’échanges, et dans un contexte propice, il a adhéré l’idée et s’en fait un partisan assumé en détaillant tous les avantages qu’il voie dans cette démarche, ainsi qu’en prodiguant quelques conseils, pour convaincre des actionnaires étrangers par exemple.
J’apprécie ce genre d’ouvrages, entre témoignage de dirigeant et approche conceptuelle. Je les trouve trop rares en France, alors même qu’ils sont souvent riches d’enseignements et de partages, ce dont nous avons besoin dans un contexte si mouvant.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage en version papier ou en e-book. (Ce sont des liens affiliés : si vous achetez l’ouvrage via un de ces liens, une petite commission me revient - une manière de soutenir votre newsletter en somme).
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours via mon site.
Bon Beaujolais nouveau (ou autre vin primeur) et à dans deux semaines,
Vivien.