#167 Trump, la RSE et nous
Pas jojo, mais aussi un fonds biodiv, un bon rapport de mission, le podcast de retour, une étude de cas sur mission et culture et bien d'autres choses...
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 167e missive ! Avant de tomber dans la déprime, j’ai l’immense plaisir de vous annoncer que vous êtes désormais plus de 2000 abonnés ! Un immense merci à vous !
Allez passons directement au sommaire :
💭 Que pourrait signifier l’élection de Trump pour la RSE et quelles conséquences pour nous ?
🌱 Mirova choisie pour gérer le premier fonds biodiversité
📖 La Banque Postale publie son nouveau rapport de mission
🏛️ Serait-on en voie de créer un statut pour les start-ups à impact ?
🎙️ Relance du podcast avec un nouvel épisode dans le recrutement
🛑 A bas le culte du manager surhumain
💡 Une étude de cas intéressante sur les bénéfices d’une culture pilotée par la mission
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec le “wokisme”, le “Future of Work”, l’individualisme et un exemple d’utopie coopérative
🎧 Mon son de la semaine : The Horrors - The Silence That Remains
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
Je voulais vous proposer un son un peu upbeat, mais j’écoute en boucle un titre plutôt mélancolique et tortueux ces temps-ci : “The Silence That Remains” de The Horrors. Il y a un côté très entêtant dans ce single qui annonce leur prochain album. Franchement, c’est un excellent morceau !
Donald Trump ne sera pas l’allié de la RSE. C’est une certitude ; son précédent mandat l’a montré. Mais, à quoi peut-on s’attendre et cela nous concerne-t-il ?
Suite à l’annonce des résultats, les marchés étaient extatiques, sauf pour les entreprises de la transition énergétique… Leurs cours ont plongé ! Mais, c’est une réaction exagérée, selon les analystes. Et oui, Donald Trump cultive une posture pro-pétrole et gaz. Il l’a encore signalé lors de son discours de victoire. Ses positions sur le changement climatique sont bien connues : un canular, selon lui… Forcément, on peut difficilement s’attendre à ce que des clean techs bénéficient d’un grand soutien de la part du futur président.
Au-delà de ces aspects de marché, c’est du côté de la réglementation que les sables sont mouvants. La SEC, le régulateur américain, va connaître des bouleversements. Son directeur va forcément prendre la porte pour être remplacé par un trumpiste dogmatique. Avec lui, on peut s’attendre à ce que les réglementations en matière de reporting climatique soient drastiquement vidées de leur substance.
Depuis quelques années, de nombreux élus républicains sont également montés au créneau pour critiquer les investissements ESG et la prise en compte de ces critères par les entreprises. Pour eux, c’est l’étendard du wokisme. Mais, beaucoup estiment également que cela éloigne les entreprises et les fonds d’investissement de leur devoir fiduciaire. Autrement dit, les entreprises dépensent du temps et de l’argent sur des sujets qui ne rapportent rien et ne sont pas dans les intérêts financiers des actionnaires.
Jusqu’à présent, le gouvernement fédéral défendait l’ESG contre vents et marées. On peut s’attendre à ce que ces attaques trouvent un écho beaucoup plus bienveillant à Washington avec un appui marqué au Congrès… Les conséquences devraient être une distanciation des fonds d’investissement de ces assets de peur de se faire attaquer. Possible également que les entreprises réduisent et taisent les efforts qu’elles mènent sur ces aspects pour éviter les foudres de certains actionnaires.
J’ai trouvé amusant une analyse selon laquelle le salut de l’ESG aux Etats-Unis peut venir… de la CSRD. Quand les Américains en arrivent à mettre leurs espoirs dans le pouvoir normatif de l’Union européenne, lui-même bien chamboulé, cela donne une idée de la situation…
Autre sujet qui va souffrir pendant les prochaines années : les politiques DEI (diversité, equity and inclusion). C’est le “wokisme” incarné pour les Républicains qui vont tout faire pour torpiller toute législation ou réglementation favorisant ces pratiques. C’est déjà difficile à promouvoir aujourd’hui ; cela relèvera du militantisme à partir de janvier.
En tout cas, sur toutes les facettes de la RSE, les entreprises vont devoir s’armer de bons juristes. C’est même le conseil donné par des analystes aux sociétés de gestion qui gèrent des fonds ESG. Les entreprises risquent d’être attaquées de toute part, par des employés mécontents, des actionnaires qui voient l’ESG comme une distraction, voire des groupes de pression républicains.
Et pour nous en Europe ?
Du côté de la politique, ce n’est jamais un bon signe quand les Etats-Unis sont profondément désalignés avec l’Europe. Sur le climat, on peut s’attendre à ce que Donald Trump détricote de nombreux engagements américains, à commencer par ceux pris dans le cadre des Accords de Paris.
De même, il va légitimer ceux, en Europe, qui critiquent les réglementations européennes sur les enjeux RSE. Les coups de canif que l’on commence à voir sur la CSRD (qui n’est pas encore inscrite dans le droit national de la très grande majorité des Etats-membres, selon le recensement du cabinet d’avocat Linklaters), ou sur le devoir de vigilance européen vont s’intensifier. Trop lourdes et contraignantes, l’argument du gap de compétitivité entre les deux rives de l’Atlantique va être martelé ad nauseum. Ca va être sympa de voir des alliances de lobbies d’entreprises avec des élus d’extrême droite…
Côté investissement, les fonds ESG sont en délicatesse en Europe, ainsi qu’aux Etats-Unis, comme le montrait un récent article des Echos (la nouvelle saison de la série The Industry illustre l’ambiance…). Pas sûr que l’élection de Trump redonne un coup de boost…
J’aimerais rêver à un scénario où l’Europe essaie justement de prendre le contrepied américain et de montrer sa différence, de prendre un peu de hauteur, de conjuguer intelligemment court et long termes, mais j’ai de sérieux doutes, surtout dans le contexte économique actuel… Evidemment, il n’y aura pas de volte-face soudain, mais plutôt des ralentissements, des révisions à la baisse, des désinvestissements. La prise en compte des enjeux RSE dans les marchés publics et même les appels d’offres privés risque de rester au stade de la case à cocher, plus que d’une considération de premier plan.
Je ne l’espère pas, mais d’ici quelques années, on pourrait passer d’une ère où il devenait de plus en plus commun d’investir dans la RSE stratégique pour pérenniser son entreprise et embarquer son écosystème dans une dynamique vertueuse et positive à une ère où mettre les enjeux sociaux et environnementaux au cœur de sa stratégie et de ses pratiques relèvera du militantisme économique.
Vraiment, je ne l’espère pas ! A nous de s’assurer que ça n’arrive pas.
🌱 Le premier fonds de place sur la biodiversité lancé !
En contrepoint de l’édito, voici une bonne nouvelle ! La société de gestion à mission Mirova a été choisie pour gérer le premier fonds biodiversité lancé le cadre du Fonds Objectif Biodiversité. Cette initiative est portée par 11 investisseurs institutionnels, dont La Caisse des dépôts, CNP Assurances, MAIF et Malakof Humanis.
Doté de 100 millions d’euros sur une durée de 5 ans, il visera à investir dans les petites et moyennes entreprises européennes cotées en transition, qui veulent modifier leur modèle d’affaires. Toute la démarche s’appuie sur un comité scientifique pour assurer le plus de robustesse possible aux activités du fonds.
📖 Nouveau rapport de mission de La Banque Postale
Je considère que La Banque Postale fait partie des sociétés à mission qui savent bien tirer profit de cette qualité, notamment en cherchant à s’améliorer et à tester de nouvelles initiatives. C’est également le cas au sein de son comité de mission.
Donc, leur rapport de mission est toujours une lecture utile. Le dernier, fraîchement publié, le démontre que ce soit sur les mécanismes d’animation du comité, la supervision des différents items dans le modèle de mission et même des projets portés par le comité.
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🏛️ Vers un statut de jeune entreprise innovante à impact ?
C’est peut-être un détail, mais ça peut vouloir dire beaucoup ! Le Mouvement Impact France travaille les députés au corps sur le projet de lois des finances, notamment sur un point : la création d’un statut de jeune entreprise innovante à impact (JEII). Une tribune parue dans La Tribune expliquait le raisonnement.
Dans un contexte où les sujets de responsabilité d’entreprise font face à des vents contraires (moratoire sur la CSRD, rabotement des financements verts etc.), le MIF considère qu’il faudrait renverser la tendance au moins pour les jeunes pousses. D’où l’idée de ce statut qui concernerait uniquement les JEI qui relèvent de l’ESS ou ayant l’agrément ESUS. C’est un critère comme un autre et certes discutable : toutes les entreprises ou ayant l’agrément ESUS peuvent-elles être considérées comme des entreprises à impact ? Mais, il faut bien commencer quelque part… Ils ont travaillé avec des députés pour faire passer un amendement en ce sens.
En contrepartie de ce statut, ces sociétés disposeraient d’avantages similaires à ceux des autres JEI (jeunes entreprises de croissance et jeunes entreprises innovantes), à savoir des exonérations fiscales sur les 3 premières années d’existence. A voir maintenant si l’amendement survivra les prochains examens…
🎙️ Plongée dans le recrutement
Après quelques mois de silence, c’est le retour du podcast avec une nouvelle approche et un nouvel épisode.
Nouvelle approche : désormais, les épisodes seront entièrement articulés autour de la mission. On part de la mission (raison d’être et objectifs statutaires) pour comprendre ce qui est fait, ce que ça change, les difficultés éventuelles, les objectifs en place etc. On revient sur les travaux de définition de la mission, ainsi que le pilotage. On aborde enfin d’autres aspects, que ce soit sur la communication, l’audit, l’engagement des équipes, la refonte de certains aspects de la mission.
Bref, plus que d’être un podcast qui n’accueille que des entreprises à mission, je veux que ce soit un podcast où on comprenne réellement comment on se vit entreprise à mission et ce que cela signifie concrètement.
Pour lancer cette nouvelle dynamique, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Aurélie Jourdon, co-fondatrice d’OMEVA, cabinet de recrutement dans les métiers des transitions.
L’épisode est très riche, le partage d’expérience d’Aurélie est passionnant. Et il y a en prime des tips très intéressants pour les entreprises nativement à mission, comme eux, ainsi que les petites entreprises qui décident de créer un comité de mission.
L’épisode est disponible sur toutes les plateformes d’écoute via ce lien. N’oubliez pas de vous abonner sur votre plateforme. D’autres épisodes arrivent très vite !
Un peu de jus de crâne
En Italie, des employés essaient de faire revivre leur usine en transformant l’activité (de pièces automobiles aux panneaux photovoltaïques) et la gouvernance (d’une multinationale à une coopérative). Plongée dans cette lutte qui dure depuis 3 ans grâce à Basta !
Entretien hyper intéressant dans Le Revenu avec la sociologue Sandra Hoibian, autrice de La Mosaïque française. Comment (re)faire société aujourd'hui, qui estime que l’individualisation est la principale raison qui explique l’explosion des liens sociaux et des enjeux communs et une forme de compétition de chacun avec chacun.
Des fois, il faut regarder ce que disent des opinions aux antipodes des siennes. C’est le cas avec celles d’Olivier Vial, directeur de l’Observatoire du wokisme, qui a donné un entretien à Epoch Times (ça donne déjà la couleur) sur le wokisme dans les entreprises françaises. Des forces sont à l’œuvre…
Papier savoureux de Loïc Le Morlec dans HBR France sur les aspects parfois fumeux entourant le concept de “Future of Work” (déniché via la très bonne newsletter Zevillage de ).
🛑 A bas le culte du manager surhumain
C’est un peu provocateur, mais face au culte du manager surhumain, cet article de la HBR France prône une approche radicalement différente basée sur l’humilité et la lucidité.
Les deux auteurs, Adrien Chignard et David Hindley notent à raison que l’on aime encenser les leaders visionnaires, qui peuvent enchaîner pendant des heures, dormir quelques heures par nuit. C’est une sorte d’idéal du leader “à l’endurance infinie”. Pourtant, plusieurs études montrent que la gestion du stress dépend des temps de récupération que l’on s’accorde.
Ils incitent également à mettre davantage d’humilité dans ses pratiques managériales. Un égo surdimensionné ou la perception d’être meilleur que les autres amène à des comportements déviants et finalement assez fréquents de managers montrant peu de reconnaissance à l’égard du travail réalisé, voire se l’approprient. L’humilité, expliquent les auteurs, ouvrent à d’autres perspectives, à l’acceptation du feedback. Toutefois, ils sont conscients des travers d’un excès d’humilité. D’où le besoin de trouver le juste milieu et de le cultiver, en toute conscience.
Leur dernier point concerne l’optimisme permanent qu’il faudrait afficher. C’est l’image du bambou qui ne rompt jamais. Mais c’est aussi donner l’impression qu’il faut être imperméable aux émotions, donner l’impression de n’être affecté par rien, prêt à toujours aller de l’avant.
Selon les auteurs, cette attitude est contreproductive. Il faut accepter la contradiction, le fait que certaines personnes ressentent de la crainte, de la peur ou de l’appréhension. La reconnaissance des émotions négatives accentuent la lucidité des leaders, d’autant qu’elles peuvent jouer un rôle positif. La colère par exemple peut permettre de lutter contre l’injustice et l’iniquité. Cela participe également de la création d’un climat de sécurité psychologique, propice à un meilleur engagement.
Je rejoins parfaitement les auteurs sur tous ces points. Je complèterais toutefois un aspect. Si les managers doivent changer leur regard sur eux-mêmes, il faut également que ce soit le cas de leurs équipes, car les attentes à l’égard de leurs managers sont souvent disproportionnées. C’est un cercle vicieux qui nécessite un profond travail de culture d’entreprise.
💡 Les vertus d’une culture qui s’appuie sur une mission claire
Curtis R. Sproul, Steven D. Charlier et Rachel Williamson Smith proposent une étude de cas très instructive sur les vertus d’une culture d’entreprise pilotée par la mission. Cette étude de cas publiée dans Organizational Dynamics décortique l’entreprise Savannah Bananas.
La société créée en 2016 est dans un secteur de niche, puisqu’elle offre une version alternative du baseball. C’est une nouvelle forme de sport spectacle avec des règles différentes du sport traditionnel. Ne me demandez pas comment ça peut marcher, mais eh! it’s the US! Bref, l’article cherche à montrer comment la mission et sa déclinaison dans toute l’entreprise ont permis une très forte croissance, un énorme taux de fidélité des clients et une marque employeur qui marche très bien.
La mission est simple : “Fans First, Entertainment Always” (là, on est dans “la mission” au sens anglosaxon, pas au sens de la société à mission). Cette courte phrase est la boussole de toute l’entreprise. Elle se décline dans les valeurs et la culture qui ruissèlent dans tous les départements, tout cela avec le soutien et l’exemplarité des co-fondateurs.
Les auteurs estiment que le succès de Savannah Bananas s’appuie sur les facteurs suivants :
Une mission qui s’intègre dans les processus formels et informels et dans les prises de décision
Le recrutement et la sélection de collaborateurs qui s’intègrent parfaitement dans la mission, d’où un processus de recrutement presqu’entièrement basé sur les valeurs.
La confiance et la culture du risque : les salariés sont encouragés à prendre des décisions sans forcément l’aval de leurs managers, tandis que l’environnement global valorise la prise de risque et la confiance mutuelle.
La créativité, qui est un élément indispensable pour remettre en question l’activité, les process, l’organisation afin de toujours servir au mieux la mission
Le soutien et la solidarité entre les équipes pour faire face à des situations difficiles
L’apprentissage continu, en s’inspirant de lectures et des pratiques d’autres entreprises
Le fun au travail qui fait partie de leurs valeurs et est peut-être l’aspect le moins aisé à répliquer ailleurs
Le leadership qui montre l’exemple.
Comme le soulignent les auteurs, c’est vraiment la capacité à combiner tous ces éléments ensemble qui rend la chose complexe. En effet, faire un peu de tout de temps en temps ou quelques éléments très bien tout le temps ne suffit pas. Cela exige une constance inébranlable !
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A dans deux semaines,
Vivien.