#162 La culture de la défiance
Comment y faire face; également Safran et la RSE de ses fournisseurs; SBTi toujours dans la tourmente; la CSRD comme opportunité?; le DD c'est bien pour le business et bien d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Non, je ne vous ai pas abandonnés ! Je suis désolé de ce silence ces dernières semaines. J’ai rarement eu des semaines aussi chargées (vu de ma fenêtre, l’envie de devenir société à mission se porte plutôt bien !) et l’écriture de l’ouvrage me prend tout mon temps disponible restant pour produire la newsletter. Rassurez-vous, à la rentrée, on reprendra un rythme moins erratique. Je ne voulais tout de même pas vous laisser avant une pause estivale sans une dernière missive.
Au sommaire :
💭 L’édito : La culture de la défiance à combattre
🔎 Safran va évaluer ses fournisseurs sur leur politique RSE
🌪️ SBTi toujours dans la tourmente
🪜 Un financement disponible pour se faire accompagner à devenir société à mission
🧐 La CSRD n’est pas tant un repoussoir que cela pour les entreprises
📈 Quelques arguments pour justifier des investissements en matière de développement durable
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec le vélo qui doit s’améliorer ; la compatibilité entre CSRD et raison d’être ; l’IA générative et la sobriété numérique ; et les nouveaux imaginaires.
🎧 Mon son de la semaine : Cupid & Psyche - Angels on the Phone
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
J’ai récemment appris que deux des membres d’Abe Vigoda avaient décidé de reprendre du service. Il faut comprendre mon excitation en apprenant cette nouvelle ! Abe Vigoda est certaines un des groupes de rock que tout amateur doit découvrir avant de mourir tant leurs albums sont incroyables. Quel plaisir de retrouver ces sonorités si atypiques avec Cupid & Psyche sur ce morceau “Angels on the Phone”.
J’aimerais faire un pas de côté pour analyser la situation politique actuelle et m’attarder sur un phénomène plus large, qui gangrène la société, et peut s’immiscer plus rapidement qu’on ne le voudrait dans les entreprises : la culture de la défiance. Ce n’est pas un thème très joyeux, mais cette newsletter ne vise pas à occulter les aspects qu’il est important de corriger.
C’est peut-être une observation assez banale, mais j’ai l’impression que la défiance se généralise.
Je fais une distinction entre la méfiance et la défiance, en cela que la première est une condition d’esprit passive, tandis que la seconde est une attitude active. La défiance vient étymologiquement de la mise au défi. C’est un changement de posture : la méfiance amène à être sur ses gardes, alors que la défiance peut conduire à un acte d’opposition. On a progressivement glissé de l’un vers l’autre.
La méfiance est un sentiment qui se diffuse de plus en plus dans la société. Selon le dernier baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, 38% des Français estiment leur état d’esprit actuel empreint de méfiance—sentiment le plus cité et à son plus haut depuis le début du baromètre en 2009. Après la méfiance, la défiance n’est pas loin.
Ce n’est pas sans conséquence, car cela cristallise les oppositions, obère le dialogue et rend tout compromis diablement compliqué. La situation politique en est la triste illustration.
Ce sentiment de défiance se traduit aussi dans la société ; l’autre n’est pas juste différent de moi, il est un risque pour moi. On se méfie de l’autre ; on va jusqu’à le défier parce qu’on a l’impression qu’il représente un danger. Autant dire que le vivre ensemble et la cohésion prennent du plomb dans l’aile. Ce phénomène peut devenir une spirale infernale. Dans La Société de confiance, Alain Peyrefitte défendait la thèse selon laquelle la confiance en soi et dans les autres était le fondement du développement et de la prospérité des sociétés occidentales. Imaginez tout l’inverse et le chaos que cela peut entraîner…
Ce qui me frappe, c’est à la fois que cette défiance s’exhibe sur la place publique, chacun s’insultant copieusement sans vergogne et se respectant de moins en moins, mais aussi que les efforts à créer du lien s’effritent de plus en plus. On cherche de moins en moins à interagir et à comprendre l’autre, qui de fait devient un danger. C’est un cercle vicieux.
Ma crainte est que la porosité qui existe entre la société et le monde de l’entreprise ne vienne empoisonner les relations sociales en entreprise. Jusqu’alors, on pouvait espérer que ces deux mondes soient hermétiques. On enfile un costume quand on arrive au boulot. L’entreprise est un lieu de mixité sociale ou “l’autre” est un collègue avec qui on peut nouer des relations amicales.
Mais c’est de moins en moins vrai en raison de multiples phénomènes par ailleurs bénéfiques : meilleure prise en compte des conditions de travail, recherche d’un meilleur équilibre vie pro-vie perso, reconsidération du rôle du travail dans nos vies, développement des débats sur le sens à donner dans notre travail et dans notre existence, démocratisation du télétravail etc.
Bref, ce qui concourt à favoriser la condition individuelle peut avoir un effet potentiellement délétère : réduire la force et l’attrait du collectif. On pense alors surtout à son statut, sa condition, ses avantages, sa situation sans considérer l’effet sur les autres ou sur le collectif. Cette individualisation n’apporte alors aucune satisfaction pérenne—on en veut toujours plus—et nourrit la défiance empreint de jalousie et d’envie.
Deuxième aspect : la défiance que l’on retrouve en dehors de l’entreprise peut se manifester entre ses murs. Cela se traduit par une défiance vis-à-vis de l’autre qui est différent, par l’entretien de stéréotypes, de discriminations, de “micro-agressions” et par de moindres efforts pour corriger ces biais et ces errements.
Il n’y a rien de certain ou d’irrévocable, mais moins on cherche à comprendre cette défiance et ses racines, plus on laisse courir le risque d’un délitement de ce qui fait société. Et si l’entreprise n’est plus le refuge préservé par ces phénomènes négatifs, on est vraiment mal ! Alors bougeons-nous !
🔎 Safran va évaluer ses fournisseurs sur leur politique RSE
Safran, adhérent de l’association International Aerospace Environmental Group (IAEG), rejoint le programme d’évaluation sociale et environnementale de ses fournisseurs lancé en partenariat avec Ecovadis.
Cela participe de l’objectif de Safran de “créer une chaîne logistique plus éco-responsable et plus robuste”, selon le communiqué. Très clairement, on perçoit dans cette démarche une volonté de mieux piloter les risques liés à la supply chain. Cette tendance s’accroit dans les grands groupes où la notion de risque s’est élargie pour inclure les enjeux environnementaux et les ruptures d’approvisionnement en conséquence.
Le communiqué ne précise toutefois pas les actions que le groupe envisage suite à ces évaluations. La finalité est rarement “juste” d’évaluer… Il faut espérer que cela s’accompagnera d’une valorisation des fournisseurs mieux-disants (même si le coût facial des produits est un peu plus élevé) et un accompagnement de ceux qui sont en retard, plutôt que de les abandonner brutalement pour en trouver d’autres plus avancés. A suivre…
🌪️ Le SBTi toujours dans la tourmente
Vous vous souvenez peut-être que le SBTi connaît quelques turbulences depuis quelques mois. Elles persistent.
Au printemps, l’organisation bien connue des entreprises qui veulent faire valider scientifiquement leur trajectoire de réduction d’émissions CO2 a annoncé qu’elle réfléchissait à accorder une place plus importante à la compensation carbone dans les plans de réduction. Annonce aussi critiquée (vivement) en interne et en externe.
La pression était telle que la dirigeante de l’association a démissionné, prétextant des raisons personnelles. Désormais, un ancien employé a porté plainte auprès de la Charity Commission, car selon cette personne, le SBTi enfreindrait sa mission en donnant plus de poids au compensation carbone. La Commission a accepté la plainte et est en train de l’étudier.
Mon avis : A suivre donc, mais c’est un bon exemple que les premiers à se révolter quand il y a un changement de cap qui peut l’éloigner de sa mission, ce sont les collaborateurs. Dans ce cas, ils l’ont fait savoir publiquement en plus des actions menées en interne. Surtout, cette plainte illustre le rôle d’anciens employés. Difficile pour un salarié en poste de s’en prendre juridiquement à son organisation, mais c’est tout à fait à la portée de ceux qui sont partis… De quoi faire réfléchir certaines entreprises à mission si elles sortent des clous…
Quelqu’un a eu la bonne idée de vous transférer cette missive ? Déjà merci à cette personne !
Inscrivez-vous pour rejoindre les 1919 abonnés à la newsletter ! Vous recevrez tous les décryptages, les podcasts et les missives hebdomadaires, ainsi qu’une invitation à un événement d’onboarding sur la société à mission pour les nouveaux membres.
🪜 Un coup de pouce pour se faire accompagner sur le chemin de la société à mission
La métropole de Lyon clôturera le 31 juillet son appel à projet pour offrir un financement aux entreprises souhaitant devenir société à mission. Cela laisse peu de temps, mais le dossier n’est pas très complexe à monter. Le plus difficile est peut-être de trouver un bon consultant pour l’accompagnement.
Qui est éligible ?
Les TPE, PME et ETI basées dans la métropole lyonnaise OU disposant d’un bureau sur place ;
Les entreprises qui recherchent un accompagnement pour définir leur mission (pas de financement pour payer l’avocat qui s’occupe de faire les modifications statutaires) ou celles qui sont déjà société à mission et qui veulent modifier leur mission.
La métropole offre un soutien financier couvrant 50 % du prix HT de l’accompagnement (montant maximum de 8 000 euros par entreprise). Point important pour le dossier : il faut également joindre une propale du consultant ou cabinet choisi.
En tout cas, cela peut être un bon coup de pouce pour financer une mission d'accompagnement. Et ce n’est vraiment pas sûr que le financement soit reconduit faute de candidatures malheureusement. Donc n’hésitez pas trop longtemps ! Toutes les infos sont disponibles ici.
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Dans une nouvelle étude, Prophil s’interroge sur les complémentarités potentielles entre la CSRD et la raison d’être. Les deux peuvent s’articuler et même se nourrir, expliquent les auteurs.
Le vélo, bien sûr que c’est écolo ! Et pourtant, Repor’terre montre que la filière doit considérablement s’améliorer sur la réparabilité et la recyclabilité.
La Convention des entreprises pour le climat s’est déclinée en nombreux formats dont un sur les nouveaux récits. Vert nous emmène en reportage ! Passionnant !
Tout le monde veut de l’IA générative ou plus d’IA. C’est la solution n’est-ce pas ? Bon, pas vraiment, pas toujours. La Revue du digital a rencontré le Chief Data Officer de Crédit Mutuel Arkea pour comprendre comment le groupe gère cet afflux de demandes et ses engagements en matière de sobriété numérique.
🧐 La CSRD, pas tant un repoussoir que cela
Une étude de PwC vient nuancer la petite musique que l’on entend : “quelle usine à gaz la CSRD, c’est un enfer !”. En effet, selon ce travail d’enquête réalisé auprès d’entreprises soumises à cette nouvelle réglementation, tout n’est pas si noir.
Le premier constat est que les entreprises perçoivent mieux les possibles avantages de la CSRD quand elles sont engagées dans la démarche. Sur tous les aspects testés par PwC en matière d’avantages, tels que meilleure performance environnementale, meilleure gouvernance d’entreprise, accès au capital, ou avantage concurrentiel, les entreprises qui feront leur premier reporting en 2025 sont toujours plus positives que celles qui commenceront en 2026. Peut-être y a-t-il un effet taille, mais pas que, à mon avis.
L’autre aspect intéressant concerne les obstacles que ces entreprises rencontrent et qui peuvent servir d’apprentissage pour celles qui seront soumises à la CSRD plus tard. Le triptyque de tête est composé de l’accessibilité et la qualité des données, la complexité de la chaîne de valeur et les compétences internes. Autant de choses qui peuvent se travailler dès maintenant !
📈 De quoi justifier des investissements sur le développement durable
Un article paru dans MIT Sloan Management Review défend l’idée que beaucoup d’entreprises doivent présenter un business case plus convaincant pour justifier les efforts en matière de développement durable. Vieux sujet que de devoir prouver les vertus d’initiatives extra-financières et que le chiffon rouge de la réglementation n’est pas toujours suffisant.
Les auteurs utilisent trois leviers classiques des études économiques : réduire les coûts, augmenter les prix et cibler de nouveaux clients.
Sur le premier point, l’argumentaire peut surprendre, car on associe rarement l’engagement dans le développement durable et la réduction des coûts. D’où l’idée des auteurs d’insister sur le coût à long terme. Plutôt que de tout voir sous les investissements importants à initier, ils estiment qu’une approche long terme montre que le coût d’utilisation est moins important lorsque la durabilité a été bien pensée. Il faut toutefois que les dirigeants et actionnaires adoptent cette vision globale, qui dépasse la réception de la facture ou la présentation du bilan.
Sur le second point, on connait l’histoire : l’acceptation de l’augmentation du prix n’est pas facile à accepter. Il faut alors sortir du périmètre strict de la réponse du produit à un problème, mais insister sur la valeur sociale, environnementale ou émotionnelle, qui peut justifier un premium.
Pour terminer, le dernier levier est d’aller chercher de nouveaux clients grâce aux efforts consentis. Cela peut se faire sur des clients peu servis jusqu’à présents, mais qui seront sensibles aux nouvelles approches, voire sur des prospects où la priorité sur ces enjeux est forte.
Evidemment, il n’y a rien de simple dans cette démarche interdépendants, mais cela peut alimenter les réflexions. Cela sera-t-il suffisant ? Malheureusement pas toujours.
Et pourquoi ne pas partager ce post ou une des infos sur LinkedIn ou un autre réseau ? Cela permettrait de faire découvrir la newsletter à de nouveaux lecteurs et me donnerait un sacré coup de main ! Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs. Merci beaucoup !
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
On se retrouve fin août pour une rentrée passionnante et passionnée !
Bel été,
Vivien.