#155 L'IVG et la société à mission, analogie un peu audacieuse
L'importance de protéger ce qui compte ; l'agriculture régénérative ; les droits humains et l'UE ; l'univers viticole à mission ; l'entreprenariat féminin ; et bien d'autres sujets
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 155e missive ! Elle est un peu plus dense que prévu, mais je vous laisse un peu plus de temps pour la lire : la semaine prochaine, je suis de repos ! Passons directement au sommaire :
💭 Edito : que retenir de l’inscription de l’IVG dans la Constitution par rapport à la société à mission ?
🌱 Innocent Drinks finance les projets d’agriculture régénérative de ses fournisseurs
🍇 Lancement d’une série spéciale univers viticole sur le podcast de La Machine à sens
🔨 Les droits humains ont connu un recul avec le rejet du droit de vigilance au niveau européen
🙋♀️ La dynamique entrepreneuriale féminine continue de croître !
📚 Les romans peuvent être de puissants activateurs sur la prise en compte des enjeux climatiques
🎧 Mon son de la semaine : Slow Cooked - Mice in Jeans
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
Vous avez l’opportunité d’être dans les 2000 premiers auditeurs de ce nouveau groupe ! Vous ne pouvez pas dire que je ne vous fais pas découvrir de nouveaux horizons musicaux ! Voici le premier single de Slow Cooked, “Mice in Jeans”. Un morceau palpitant !
J’ose un parallèle quelque peu audacieux… mais comme on dit en anglais, “stay with me”. Inscrire sa mission dans ses statuts, c’est un peu comme la décision d’inscrire l’IVG dans la Constitution.
Je me suis fait cette remarque en écoutant le sénateur Claude Malhuret sur le plateau de l’émission Quotidien :
Si vous m’aviez posé la question il y a 3-4 ans, j’aurais probablement envoyé la question balader. [L’IVG] n’est pas menacée en France. Depuis, il y a eu les Etats-Unis, la Hongrie, la Pologne, l’Italie. Je pense qu’en France, ce n’est pas menacé… aujourd’hui. Mais dans quelques années ? (…) L’idée, qui n’était pas la mienne au départ, de la mettre dans la Constitution pour la protéger devient plausible. Je ne sais pas ce qui se produira dans les prochaines années, mais il y a des risques. Donc, la plus grande protection qu’on puisse lui donner, c’est la Constitution.
Je compare souvent les statuts d’une entreprise à sa constitution. C’est le document le plus essentiel d’une société et il est juridiquement opposable.
Il est fréquent qu’un dirigeant souhaite passer société à mission pour ancrer des convictions dans les statuts de son entreprise : cela les officialise et les pérennise.
Beaucoup estiment qu’on n’a pas besoin de changer ses statuts pour affirmer ses positions et mettre en œuvre des actions. Mais, vous ne savez pas de quoi demain sera fait.
Parfois, il faut être agile, pivoter rapidement, s’adapter à des situations imprévues qui fragilise la pérennité de l’entreprise. Une mission dans ses statuts peut alors se révéler être un frein. Dans d’autres cas de figure, elle servira de garde-fou nécessaire face à des décisions qui viendraient dénaturer le projet et progressivement éroder la motivation de chacun, à commencer par celle du dirigeant, jusqu’à un point de non-retour.
Deux autres cas de figure sont intéressants pour de futures sociétés à mission, lors d’une transmission ou d’une ouverture de capital.
Dans le premier cas, les statuts procurent la plus haute protection d’une ambition, d’un engagement pour s’assurer que les successeurs ou les repreneurs conservent cette même ligne.
Dans le cas d’une succession familiale, c’est également un bon moyen de faciliter la transmission en permettant un échange intergénérationnel sur le projet de l’entreprise et un alignement des points de vue.
Dans le second cas, on n’est jamais à l’abri que des investisseurs externes formulent des exigences qui soient contraires aux convictions portées par les fondateurs ou les dirigeants en place. Ancrer la mission dans ses statuts est donc une manière de se protéger.
Cela peut également servir de filtre : vos ambitions pourront être un épouvantail pour certains investisseurs ; à l’inverse, ils constitueront un levier d’attraction pour d’autres qui seront sensibles à votre démarche.
Il ne faut jamais insulter l’avenir. Quand on porte des convictions, des ambitions et des engagements qui sont tellement forts que s’ils venaient à être rabotés, cela entamerait irrémédiablement votre motivation, votre détermination, l’identité de l’entreprise, voire sa pérennité, ne serait-il pas pertinent de se protéger de ce genre de déconvenues ?
🌱 Innocent Drinks aide ses fournisseurs dans leurs projets d’agriculture régénérative
Depuis 2021, la marque de boissons a lancé son Farmer Innovation Fund. Cette année, elle a décidé de l’augmenter à 1 million de livres (environ 1,2 million d’euros). Ce fonds vise à financer des initiatives d’agriculture régénérative dans sa chaîne de valeur. Cette démarche s’inscrit notamment dans les objectifs de réduction de l’empreinte carbone d’Innocent.
Certains fruits et légumes sont ciblés en priorité, notamment les pommes et les oranges sans surprise vu les volumes que cela représente. C’est autant un projet vertueux qu’économique : sécuriser les approvisionnements face aux aléas climatiques qui peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur les exploitations.
Mon avis : cette initiative d’Innocent confirme l’importance des grands clients vis-à-vis de leurs fournisseurs. Ils ont besoin d’eux pour se pérenniser (on ne change pas facilement de fournisseur stratégique…), mais ces entreprises manquent souvent de financement pour mener les transformations nécessaires. On peut donc s’attendre à ce que ce type de programme d’aide se multiplie. Comme dirait un lecteur de la newsletter qui se reconnaîtra, c’est bon pour le business et pour le karma !
🍇 Lancement d’une série thématique sur l’entreprise à mission dans l’univers viticole
J’ai décidé de lancer deux fois par an des séries thématiques sur le podcast de La Machine à sens. J’interrogerai quatre entreprises reflétant différentes facettes d’un univers économique ou d’un secteur d’activité.
Autant par intérêt personnel que par la diversité des angles possibles, j’ai commencé par l’univers viticole. On va parler de tourisme, d’agriculture, de réemploi, de financement participatif, d’installation, de culture, de biodiversité. Bref, de beaucoup de sujets variés. Un épisode sortira toutes les deux semaines. Le premier est sur les ondes depuis hier !
● Avec Pauline Versace, fondatrice de La Vie Bonne, nous avons parlé d'œnotourisme, d'art, de culture et de son projet de fonder une entreprise directement société à mission.
L’épisode est accessible sur toutes les plateformes d’écoute.
● Avec Morgane Le Breton, responsable communication et marketing de Maison Le Breton, notre échange s'est tourné sur les engagements du vignoble portés par son père accompagné aujourd'hui par la nouvelle génération, de labels et de certifications, de transmission.
● Avec Charlotte Coquillaud, responsable de la marque chez Oé, c'est tout un projet d'entreprise qui cherche à concilier l'univers du vin, la RSE sous tous ses angles et l'embarquement de tout un écosystème de la vigne au réemploi.
● Avec Ludovic Aventin, fondateur de Terra Hominis, une des premières sociétés à mission en France, le sujet a porté sur le financement participatif apporté aux néo-vignerons, aux difficultés auxquels ils font face et plus généralement au besoin de soutien et de solidarité dans un milieu ardu.
Bonne écoute ! J’ai hâte d’avoir vos retours. Et abonnez-vous pour ne manquer aucun épisode !
🔨 Les droits humains n’intéressent pas tout le monde en Europe
Vous avez probablement vu passer l’info : la directive CSDDD (le devoir de vigilance à l’échelle européenne) s’est faite retoquer par les Etats membres. C’est un signal fort envoyé par certaines capitales (et leurs milieux économiques) : trop, c’est trop !
L’Allemagne a mené le bloc d’opposition rejointe par l’Italie et plusieurs autres pays. Au total, 14 pays ont voté contre, dont la France. La raison ? Paris voulait que le seuil d’applicabilité soit revu à 5000 salariés et non 500 comme la dernière version négociée le proposait. Evidemment, nombreux sont ceux à s’être indignés de ce revirement, comme Fabrice Bonnifet dans sa chronique sur le site de TF1.
A ce stade, le texte est quasi enterré, d’autant que la fenêtre de vote se referme en vue des élections européennes du printemps.
Mon avis : c’est rarement un bon signe démocratique quand un texte négocié et fruit d’un consensus est bloqué par des intérêts nationaux, mais ne parlons pas ici du fonctionnement des institutions européennes. On sent que la dynamique réglementaire sur les aspects sociaux et environnementaux rencontre des vents de plus en plus contraires.
Je comprends que ce type de réglementation soit potentiellement bouleversant pour des entreprises et qu’elles fassent part de leur résistance à leur gouvernement. Néanmoins, la question se pose. Qu’est-ce qui est plus important : vendre coûte que coûte et potentiellement salement en ignorant les droits humains dans sa chaîne de valeur ou vendre sereinement en s’assurant que ce que l’on propose a été entièrement réalisé sans abus flagrant à la dignité humaine (on parle potentiellement de formes d’esclavage) ? Je pose la question en ces termes crus pour bien rappeler de quoi on parle quand on brandit les équations économiques comme premier argument.
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🧠 Un peu de jus de crâne
On parle beaucoup des importations agricoles et de leurs effets sur les producteurs nationaux. Mais nos exportations vers les pays avec lesquels existent des accords de libre échange peuvent s’avérer tout aussi déstabilisantes, explique Maxime Combes dans une tribune au Monde.
Il est important de ne pas lire que des avis conformes à ses opinions. Donc, je vous recommande cette lecture rafraichissante d’Alain Goetzmann dans Entreprendre. C’est selon moi une vision étriquée de l’entreprise, mais j’ai besoin de comprendre ces arguments pour les réfuter.
Pour poursuivre dans le même élan… Le mois de mars est le “mois B Corp”. Ce qui horrifie Joanna Williams, pour qui B Corp est le symbole du “capitalisme woke”. Si vous voulez mieux comprendre ce type d’opinion (qui gagne en popularité), sa tribune est la lecture (im)parfaite !
Philippe Silberzahn promeut l’utilité de capitaliser sur sa singularité plutôt que de plaquer des modèles extérieurs qui pourraient dénaturer l’entreprise et son développement. Bien d’accord !
🙋♀️ Les femmes et l’entreprenariat, une envie qui s’affirme
Selon une enquête Ifop pour Bpifrance, l’appétit entrepreneuriale des femmes continue de s’affirmer. 28% des femmes se déclarent dans une démarche entrepreneuriale (soit cheffe d’entreprise, ex-cheffe d’entreprise, porteuse de projets ou intentionniste), ce qui marque une progression constante depuis 2018.
Dans le détail, les intentionnistes ont diminué, tandis que les pourcentages de cheffes d’entreprise et ex-cheffes d’entreprise ont augmenté. On pourrait s’étonner que cette dernière catégorie soit une bonne nouvelle, mais pour Bpifrance, elles peuvent également être tentées de repartir à l’aventure.
Le facteur de l’âge joue beaucoup, puisqu’une jeune de moins de 30 ans sur 3 serait dans une dynamique entrepreneuriale. C’est significatif, car elle ne représente que 17% de la population féminine ; et c’est bien plus prononcé que chez leurs confrères.
En voilà de bonnes nouvelles !
🤔 De la nécessité d’une révolution pour réussir la transformation écologique
David Djaïz et Xavier Desjardins viennent de sortir La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis. Ils ont donné un entretien passionnant à Usbek & Rica. Je retiens ce passage que je trouve très pertinent et conséquent :
Nous avons choisi le terme “révolution” par comparaison avec la révolution industrielle, parce que c'est un changement d'ampleur équivalente. La révolution industrielle, c'est l'arrivée du charbon, avant d’autres énergies fossiles comme le pétrole de manière abondante. Aujourd'hui, il faut jouer une transformation énergétique tout aussi importante. Par ailleurs, la révolution industrielle est un fait social total : elle a recomposé nos manières de vivre, d'habiter, d'organiser le territoire, et donc nos relations sociales. La transformation écologique va avoir les mêmes effets.
Toutefois il y a une différence majeure. La révolution industrielle était une éclosion d'initiatives économiques, scientifiques, techniques, sans but pré-établi. Or, aujourd’hui, la révolution écologique est obligée : nous avons une contrainte d'objectif, celle de nous réinsérer dans les limites écologiques. Et nous avons la contrainte du temps, puisque plus nous attendons pour se réencastrer dans les limites planétaires, plus les dégâts seront immenses — à la fois du point de vue environnemental, mais aussi du point de vue de nos modes de vie.
A méditer non ?
📚 Des romans pour inspirer une action climatique positive
Quand on parle de science-fiction, on est souvent plus proche de la dystopie que de l’utopie. Sur les enjeux climatiques, ce sont les catastrophes qui dominent souvent les récits. Pour qui lit des romans, vous connaissez le pouvoir de la littérature. C’est pour moi un ingrédient indispensable à la créativité, à l’innovation et à l’épanouissement, souvent beaucoup plus que des manuels ou des essais. Ce n’était même pas prévu, mais Béatrice Héraud, nouvelle rédac chef de Youmatter vient justement de consacrer un super papier sur le sujet !
Dans un papier pour la version anglaise de The Conversation, Denise Baden recense cinq romans qui sont inspirants sur le climat :
Fairhaven de Steve Willis et Jan Lee
The Ministry for the Future de Kim Stanley Robinson (lecture passionnante même si un peu ardue) (en version française)
Green Rising de Lauren James, plutôt une lecture “young adults”
Finding Bear de Hannah Gold, clairement pour les enfants. Ses romans traitent généralement du sujet climatique au travers d’un lien avec un animal.
No More Fairy Tales, ensemble de 24 nouvelles avec une forte visée pédagogique.
La sélection est forcément très anglo-saxonne. En français, quelles seraient vos recommandations ? Un roman fait beaucoup parler de lui en ce moment : La Révolution bleue. La Petite princesse de Jean-Pierre Goux. Il vient même d’être nommé parrain de la promotion sur les nouveaux imaginaires de la Convention des entreprises pour le climat. Et c’est même ma prochaine lecture !
Je compilerai vos suggestions dans une prochaine missive. Vous pouvez laisser vos recommandations en commentaires directement sur le site ou en m’envoyant un message.
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A dans deux semaines,
Vivien.