#148 Quand est-ce que l'on a assez ?
Egalement: l'absurdité dans son cocktail; les lingettes pour bébés; des chaussures de foot éco-conçues; classement des entreprises durables; l'ESG et la finance et bien d'autres sujets
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 148e missive, la première plus “classique” de l’année. Avant de commencer, je vous rappelle l’enquête de lectorat toujours en cours. Merci à celles et ceux qui ont déjà répondu. Pour les autres, il est encore temps. Et vraiment, c’est très précieux pour moi.
Et dernier sujet, si vous serez à la soirée de la Communauté des entreprises à mission la semaine prochaine, je serai ravi d’échanger. Faites-moi signe en répondant à cette missive (je reçois l’email directement dans ma boîte).
Passons au sommaire :
💭 Edito : quel est votre niveau de suffisance ?
🧊 Qui dirait-non à des glaçons du Groenland dans son cocktail ?
👶 Le choix audacieux de se couper d’un cinquième de son CA
⚽ C’est bien de voir que le sport se bouge
↔️ Regards croisés parlants sur les grandes sociétés de gestion européennes et américaines
📶 Le Top 100 des grandes entreprises cotées les plus soutenables
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec les éléments de langage de TotalEnergies, le sport féminin, l’écologie politique dans les classes populaires et un producteur de bières qui s’est perdu.
Mon son de la semaine : Justin Hurwitz - Call Me Manny
Bonne lecture ! A picorer ou à dévorer !
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J’ai récemment vu le film Babylon, qui parle de la transition entre le cinéma muet et les films à dialogues. J’ai eu un gros coup de cœur pour la BO teintée de free jazz menée de mains de maître par Justin Hurwitz. Pas simple de choisir un morceau, mais je retiens celui-ci qui a tout : original, mélodique, diablement entraînant.
Dans une des récentes publications de sa newsletter WTP, Katie Burkhart se demande : “What is enough?”. En ce début 2024, j’aimerais faire écho à sa question.
Je trouve le sujet très pertinent dans un monde aux ressources limitées, où on voit la multiplication d’appels à limiter ou réduire sa consommation et le tollé que cela peut provoquer. La campagne des “dévendeurs” en fin d’année dernière en est le dernier exemple.
Généralement, on articule la réflexion autour de la notion “d’avoir assez pour” faire quelque chose. C’est lié aux besoins et aux envies. Autrement dit, on cherche à accumuler une ressource (souvent de l’argent ou du temps) afin de mener une action : acheter quelque chose, se nourrir, voyager, écrire un livre, s’impliquer dans des associations, aller au restaurant etc.
C’est une notion très personnelle—on le fait pour soi—, qui ne prend pas en compte des facteurs extérieurs : l’utilité de l’action, la disponibilité du produit ou son mode de production, l’impact de son action sur les autres et/ou sur l’environnement etc.
Comme le rappelle Katie Burkhart, la notion de suffisance est rattachée à celle de satisfaction. Mais, la satisfaction est profondément individuelle. Elle est également rattachée à la notion de bonheur, un état de satisfaction durable. Dans les deux cas, ce sont des états qui sont distincts du plaisir, concept à valeur immédiate.
Mais, que ce soit un sentiment de plaisir, de satisfaction ou de bonheur, l’échelle de mesure est personnelle. Autrement dit, ce qui est suffisant pour moi ne le sera pas pour d’autres, et probablement n’aurons-nous pas la même conception de qui nous permet à chacun d’atteindre ce niveau de suffisance. L’universel n’existe pas—même la pyramide de Maslow est en soi relative.
Nous ne sommes pas dans une société de limite. Nous sommes constamment amenés à repenser notre niveau de suffisance, car nous sommes soumis à toujours plus de connaissance : l’accès à l’information, la publicité, les réseaux sociaux, nos interactions sociales etc. On se compare à autrui ; on estime devoir atteindre un certain niveau de suffisance pour se sentir bien ; on estime normal d’atteindre un certain niveau de suffisance dans notre société actuelle. J’emploie le terme de niveau de suffisance quand d’autres pourraient parler de “niveau de vie”.
Certains estiment alors qu’il faut imposer des limites, des restrictions au service du bien commun. C’est un peu la philosophie d’un compte carbone individuel. Le problème est l’acceptabilité d’un tel système. Je vous incite à lire Le Petit polémiste d’Ilan Duran Cohen, un roman futuriste dans une France où le réchauffement climatique a été limité au prix de nombreuses restrictions individuelles et qui a généré une forme d’intolérance dans la société face aux comportements “carbovores” (néologisme de mon cru).
Les neurosciences se sont également lancées dans le débat. Notre envie de consommer serait conditionnée par notre striatum, petit organe logé dans nos neurones, explique Sébastien Bohler dans son dernier essai Striatum. Comment notre cerveau peut sauver la planète. La solution serait en nous, en lui opposant notre cortex préfrontal.
Il n’y a pas de solution prête à l’emploi, et aucune qui n’implique pas des changements comportementaux, qu’ils soient volontaires, imposés ou travaillés.
Néanmoins, ouvrir le débat est indispensable, et simplement se poser la question doit être beaucoup plus systématique qu’aujourd’hui. A titre individuel, collectif, mais également en entreprise.
Alors en ce début d’année, posez-vous la question : quel est mon/notre niveau de suffisance ?
🧊 Vous reprendrez bien des glaçons groenlandais !
Pour poursuivre dans la lancée de l’édito, voici une idée qui me laisse pantois… Une jeune entreprise danoise Arctic Ice extrait des blocs de glace “les plus purs du monde” pour les exporter à Dubai afin d’être utilisés comme glaçons dans des cocktails.
Faisons une pause, un instant, pour bien comprendre le projet.
Mieux encore, selon un de ses co-fondateurs interrogé par The Guardian, l’entreprise veut accélérer la transition écologique du Groenland et être socialement juste. Sans surprise, Arctic Ice vise la neutralité carbone.
Ce n’est pas la première fois qu’un projet de la sorte prend forme, mais jusqu’à présent, aucun n’avait réussi. Evidemment, l’entreprise se prend des salves de critiques, mais selon l’article, ses fondateurs ne comprennent pas pourquoi. Euh, vraiment ?
Un cynique dirait que c’est la simple loi de l’offre et de la demande et que si ça n’avait pas été eux, ça aurait d’autres. Mais, j’avoue avoir du mal à accepter que le niveau de suffisance de certains soit d’avoir des glaçons venant du Groenland dans son Moscow Mule.
👶 Fini les lingettes
“Je n’ai jamais entendu un patron de boîte dire ça !” C’est la réflexion de la journaliste de BFM Business en recevant Sophie Robert-Velut, DG des Laboratoires Expanscience.
Sur le plateau de la chaîne, la dirigeante a expliqué que Mustela, une des marques du groupe, allait arrêter de vendre des lingettes bébé d’ici 2027, ce qui représente 20 % de son chiffre d’affaires en France. Pourquoi ? Parce que c’est un produit à usage unique, et globalement plus nocif que contributeur pour l’environnement. Ce renoncement est la décision la plus emblématique dans une réflexion plus globale sur le portefeuille de l’entreprise.
La dirigeante explique que le groupe renoncera à des lancements de produits qui ne sont pas jugés assez utiles pour la société ou trop négatifs pour l’environnement. On peut également s’attendre à l’arrêt d’autres produits. C’est une revue profonde de toutes les gammes.
La question des renoncements ou du non-lancement est un sujet qui risque de se poser de plus en plus pour les entreprises, estime la dirigeante. On revient à l’enjeu de la suffisance au niveau d’une entreprise : quel est le niveau de suffisance en termes de chiffre d’affaires, de croissance, de nombre de salariés etc. ?
⚽ Le sport s’y mettrait-il ?
On sait que les footballeurs sont beaucoup scrutés. Si beaucoup considèrent qu’ils n’ont pas à être des rôles-modèles, d’autres pensent que si. Mais tous ne sont ni prêts, ni capables de l’être. William Troost-Ekong semble faire partie de ceux qui veulent avoir un rôle positif sur la question environnementale.
Il avait déjà fait parler de lui l’an dernier sur les transferts neutres en carbone. On a de nouveau parlé de ses engagements écologiques ces derniers jours lors de la Coupe d’Afrique des nations, puisque c’est l’international nigérian est le premier joueur à apparaître dans une grande compétition internationale avec des chaussures éco-conçues. Il s’est associé à une start-up britannique, dans laquelle on investit d’autres footballeurs, hommes et femmes. On aimerait voir ça plus souvent…
Autre initiative dans le tennis cette fois-ci. Je suis grand amateur de balle jaune, mais que c’est dur d’imaginer l’empreinte carbone démentielle de ce sport. C’est pour cela que certains projets émergent, comme le “Carbon Tracker” de l’ATP, l’organisation qui gère les tournois de tennis masculin professionnels.
L’idée est de sensibiliser les joueurs aux enjeux climatiques, notamment concernant leurs déplacements, et a minima de les inciter à compenser leurs voyages. Pour les 201 joueurs qui ont accepté de participer, on parle de 1722 tonnes en 2023 (sur 6 mois), avec une immense majorité d’avion (81% des cas). Parmi les joueurs les plus assidus à la compensation, on retrouve Andrei Rublev, Stefanos Tsitsipas ou Ben Shelton (pour citer quelques noms plutôt connus).
Il faut aller plus loin bien sûr, mais aussi pousser toujours plus les sportifs, les clubs, les fédérations, les compétitions à faire mieux.
Et si vous faisiez une petite pause en répondant à l’enquête de lectorat.
↔️ Un shift transatlantique ?
Selon une étude de l’ONG ShareAction, les sociétés de gestion européennes se sont montrées beaucoup plus volontaires sur les sujets sociaux et environnementaux que leurs homologues américaines lors des assemblées générales d’entreprises cotées en 2023.
Sur l’étude de 69 des plus grosses sociétés de gestion au monde, les européennes ont soutenu les résolutions d’actionnaires en faveur de sujets sociaux ou environnementaux dans 88% des cas contre 25% pour les américaines. Le fossé s’est élargi cette année.
J’ai déjà évoqué l’évolution des fonds américains, notamment BlackRock, qui se désinvestissent des sujets sociaux et environnementaux. C’est en partie lié au contexte géopolitique qui met les entreprises sous tension pour maintenir leur rentabilité à court terme, mais également les pressions exercées par les forces conservatrices aux Etats-Unis de plus en plus agressives sur les sujets ESG, l’incarnation du wokisme selon eux, comme le rappelle Arnaud Leparmentier du Monde. Cette évolution est loin d’être anecdotique, surtout vu ce qui trame pour les élections américaines…
📶 L’investissement paie
Le média Corporate Knights a sorti la 20e édition de son top 100 des entreprises cotées les plus soutenables dans le monde ayant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard de dollars.
La France compte 8 entreprises dans le top 100 avec notamment Schneider Electric en 7e position et Alstom qui rentre directement en 18e position. Ce classement s’appuie sur 25 indicateurs que les auteurs vont puiser dans les rapports publics des entreprises.
L’étude montre que dans ce top 100, les entreprises ont en moyenne alloué 55% de leurs investissements à des projets durables, contre 47% l’an dernier, et 17% pour le reste de l’économie. De même, elles retirent 51% de leur chiffre d’affaires d’offres durables, donnée stable par rapport à l’an dernier, contre 14% pour le reste de l’économie. Depuis 2005, le top 100 affiche une meilleure rentabilité que le reste de l’économie.
Encore une preuve que les efforts paient si on s’investit vraiment.
Un peu plus de jus de crâne
Le producteur de bière BrewDog est en plein marasme, comme le relate The Independent dans un article passionnant. Récit d’une entreprise qui voulait tout bousculer et qui s’est perdue humainement.
Le philosophe Jean-Baptiste Grenier livre une vision profonde dans un long article pour LVSL sur les difficultés de l’écologie politique à pénétrer les classes populaires en France.
La newsletter Climax a révélé le mémo que TotalEnergies a envoyé à ses collaborateurs avant les fêtes pour les préparer aux discussions houleuses en famille ou entre amis. Un régal !
Le sport féminin, tout particulièrement le tennis, doit beaucoup à Billie Jean King. Ancienne joueuse, devenue militante pour l’épanouissement du sport féminin, elle continue ses combats à 80 ans. Portrait inspirant dans Fast Company.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A la semaine prochaine,
Vivien.