#141 Fake it until you make it?
Et également un partenariat original, les déboires d'une coopérative, l'assurance et la société à mission, la culture d'entreprise et bien d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 141e missive de votre newsletter sur l’entreprise rôle modèle. Elle vous arrive un peu plus tardivement que d’habitude, car je suis dans le train avec une connexion de très mauvaise qualité, ce qui a considérablement ralenti la finalisation.
Au sommaire :
💭 L’édito : le fake it till you make it a-t-il sa place quand son entreprise vise à répondre à des problèmes sociaux ou environnementaux ?
💆 C’est parfois en cherchant bien en dehors de son approche traditionnelle qu’on trouve des partenaires étonnants pour des projets stimulants
🚆 Les déboires d’une coopérative dans le secteur du rail
📗 Un livre blanc sur la compatibilité entre les acteurs de l’assurance et la société à mission
🎙️ Nouvel épisode de podcast où on parle de culture d’entreprise
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec le solaire, l’électrification du monde, Emmanuel Faber sous le feu des critiques, et les remouds civilisationnels face au climat.
🎧 Mon son de la semaine : IDLES ft. LCD Soundystem - Dancer
Bonne lecture, à picorer ou à dévorer !
Pour info, je fais une petite pause la semaine prochaine.
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Je viens de lire Humus, le dernier roman de Gaspard Koenig. Je vous le recommande très chaudement. C’est une lecture passionnante et très contemporaine. On y suit le parcours de deux jeunes diplômés d’AgroParisTech, tous deux passionnés par les vers de terre. L’urbain va devenir néo-rural en développant un projet de revitalisation des sols par les lombrics et l’agroécologie tandis que le rural va se lancer dans le monde fabuleux des startups, en l’occurrence du traitement des déchets.
Sans vouloir divulgâcher, on y parle indirectement d’un concept bien connu dans le monde des startups : “fake it till you make it”. Combien de projets ont commencé par une idée folle nécessitant énormément de développement, de R&D, de fonds et ont traversé de longs mois, voire années, d’incertitude avant que l’idée de départ se matérialise et surtout fonctionne ? Et qu’elle connaisse enfin le succès.
On est à la limite de l’éthique, voire de la légalité—quand elle n’est pas franchie. Mais c’est le principe de l’innovation disruptive, non ?
La question est de savoir jusqu’à quel point ce principe peut être acceptable pour la résolution d’enjeux sociaux et environnementaux. En d’autres termes, peut-on accepter qu’une entreprise fasse n’importe quoi, et même du tort, pendant une petite période de temps avant qu’elle ne puisse complètement porter son manteau de vertu ?
Il faut faire la distinction entre la pure fraude ou la fausse solution et le projet innovant et aux ramifications potentiellement énormes, mais dont les prémices sont troubles. On se souvient par exemple du retentissant épisode de Theranos (capté dans la série The Dropout) ou de la chute récente de plusieurs startups américaines dans la couverture santé qui ont mis dans la panade des centaines de milliers de clients.
Parfois, un projet a besoin de beaucoup de financements pour que la solution soit efficace, pour la déployer à plus grande échelle ou pour être rentable. Donc, elle maquille la réalité pendant un temps, de manière consciente, mais mue par le mantra : “fake it till you make it”.
Je n’ai pas de réponse absolue, mais lorsque la barrière de l’éthique et de la légalité est sciemment franchie, on rentre dans un territoire dangereux. C’est encore plus vrai quand l’entreprise se présente comme une réponse à un enjeu social ou environnemental. Je m’interroge d’autant plus que si la limite a été franchie une fois, on peut raisonnablement penser qu’elle le sera de nouveau dès qu’une difficulté se présente.
J’ai un faible très prononcé pour IDLES, groupe d’indie punk abrasif et engagé. C’est, selon moi, un des meilleurs groupes de ces dernières années. Alors quand ils nous proposent une collaboration avec LCD Soundsystem, mon cœur palpite. Ce nouveau single “Dancer” est une réussite incandescente ! Vous ne danserez pas collé-serré dessus—c’est le sujet de la chanson—mais, vous l’écouterez jusqu’à l’épuisement.
💆 Une belle rencontre des mondes
On le sait : les secteurs sont des silos tenaces. On a souvent du mal à envisager ce que son entreprise peut apporter ailleurs qu’auprès de ses clients ou de façon différente. C’est le pouvoir des partenariats, surtout quand ils portent une dimension d’ouverture forte. C’est le cas du partenariat entre Emmaüs Solidarité et L’Oréal.
Les deux organisations viennent de monter un troisième salon socio-esthétique en Seine-Saint-Denis. Ce salon est comme n’importe quel salon, à la seule différence qu’il est destiné aux personnes en grande précarité. Ici, on prodigue des soins, mais on cherche aussi à redonner confiance.
“L’objectif de ces salons est d’élargir la vision que l’on peut avoir de l’accompagnement des publics précarisés, en pensant au-delà du simple volet social et en y intégrant un travail sur l’estime de soi. Or, l’estime de soi, ce n’est pas du superflu : c’est un outil de remobilisation qui peut avoir un fort impact sur le parcours d’une personne. Ici, la beauté devient un outil d’insertion », souligne le directeur d’Emmaüs Solidarité, Lotfi Ouanezar, dans un article du Monde qui présente ce nouveau salon.
Monter ce type de partenariat n’est pas simple, car il faut identifier des partenaires avec lesquels travailler, se renifler pour apprécier la compatibilité, tester la pertinence des liens au travers de petits projets avant de pouvoir envisager des partenariats de plus long terme.
Mais, je trouve que dans notre monde où les frontières sont toujours plus poreuses et où les entreprises ont toute leur place dans la vie de la cité, ce type de démarche n’est plus une jolie façade, mais une vraie attente. Je trouve également inspirant l’idée que ce partenariat entreprise-association ne porte pas sur un don ou du financement de projet, mais sur un engagement commun autour des activités de l’une et l’autre organisation.
🚆 Un beau projet presque au point mort
Tout le monde vante les mérites du train—et j’écris d’ailleurs ces lignes dans un train. On sait toutefois que certaines lignes ont été abandonnées principalement par manque de rentabilité. L’ouverture à la concurrence du réseau ferré pouvait laisser espérer un changement. Mais, c’est diablement compliqué et les coûts d’entrée sont colossaux. On parle beaucoup des concurrents italiens et espagnols, mais quelques nouveaux entrants essaient de se faire une place.
Railcoop en fait partie, mais le projet semble face à un mur. La coopérative a le projet un peu fou de relancer la ligne Bordeaux-Lyon et la desserte d’une dizaine de villes entre les deux villes. Pour y arriver, elle avait besoin de beaucoup de fonds : 50 millions d’euros.
Malheureusement, elle n’a jamais réussi à les trouver. Elle a tout de même pu compter sur de nombreux soutiens : 8,5 millions d'euros apportés par 14 500 sociétaires individuels et 36 collectivités locales. Mais tout a été dépensé, dont une partie pour une ligne de fret entre Capdenac-Gare (Aveyron) et Toulouse, fermée en avril faute de clients.
Le souci de taille est que les financeurs sont frileux pour participer à des projets coopératifs. Les banques demandent de gros partages des risques et les fonds d’investissement ne peuvent pas valoriser leur participation, en particulier avec le système un homme-une voix. “L'économie sociale et solidaire n'a pas les outils pour les gros projets”, déplore Dominique Guerrée, ancien président de Railcoop dans un article des Echos. Pas simple de vouloir voir grand avec des outils différents !
📗 L’assurance et la société à mission : bon ménage ?
Assurance for Good, Roam et Planète CSCA viennent de sortir un livre blanc intitulé Les Sociétés à mission du secteur Assurance : continuité ou rupture ? A ma connaissance, c’est une première de publier un rapport sectoriel sur la société à mission.
Les auteurs dédient une première partie sur les chiffres et quelques enseignements avant de tirer le profit de la vingtaine de société à mission du secteur. Et oui, parce que pour le moment, c’est assez limité. Mais, le portrait de des sociétés à mission dans l’assurance est proche du profil d’ensemble : une grosse minorité de jeunes entreprises plutôt de petite taille. Quelques grands noms ressortent, comme Maif et Harmonie Mutuelle.
Quelques enseignements sont retenus : pour beaucoup des entreprises déjà existantes, l’engagement vers la société à mission était naturel parce qu’un existant était déjà présent.
Les témoignages (que je n’ai pas tous lu) font tout de même état d’une certaine diversité dans les impacts : chez certains, on a l’impression que rien n’a changé ou presque (ce qui m’interroge toujours sur la profondeur de l’exercice), chez d’autres, cela a participé à une transformation de l’entreprise et chez d’autres encore, la mission est une vraie boussole stratégique.
Et parmi les témoignages, vous retrouverez Quentin Sauvée de Jaji et Denis Thaeder de Wakam. Si vous souhaitez creuser, je vous renvoie aux épisodes de podcast que j’ai fait avec eux.
🎙️ La culture, c’est comme une toile d’araignée
Dans le dernier épisode du podcast, je reçois Vincent Aboyans-Billiet, harmoniste d’entreprise et hôte du podcast
. Avec Vincent, on a parlé culture d’entreprise. Vaste sujet complexe et souvent trop peu travaillé en entreprise. Et pourtant, toutes les entreprises ont une culture plus ou moins définie. La question est de savoir si vous souhaitez la laisser vivoter ou en tirer tous les bénéfices. Oui, théoriquement, la question est assez rhétorique ; pourtant, beaucoup n’y vont pas.Dans cet épisode, on revient sur ce que recouvre la culture d’entreprise, comment elle se traduit concrètement dans le fonctionnement de la société et comment l’entretenir. Vincent donne également quelques clés pour travailler sa culture.
C’est un épisode pratique, plein de bon sens et de bonnes pratiques ! Et comme l’explique Vincent, il n’y a pas de mauvais moments pour façonner sa culture. Je rajouterais que c’est toujours mieux de le faire avant que tout ne tourne au vinaigre…
Et pour comprendre le titre de cette brève, il faudra écouter l’épisode !
Cliquez sur ce lien pour retrouver l’épisode sur toutes les plateformes d’écoute.
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Passionnant article de Kate Yoder dans Grist qui explore les raisons pour lesquelles certaines civilisations ont chuté à cause de phénomènes climatiques et pas d’autres. Un indice : la capacité d’adaptation, mais pas que…
Et si le poste d’Emmanuel Faber à l’ISSB n’allait pas devenir son moment Blair où on oubliera tout ce qu’il a fait dans sa carrière pour se focaliser sur un point : être devenu le porte-étendard du mouvement d’opposition à la double matérialité ? En tout cas, les tribunes s’opposant à la sienne que j’évoquais récemment pleuvent. Deux exemples avec une tribune collective dans L’Agefi et une de Frédéric Ducoulombier dans L’Express.
Une équipe de chercheurs conclut dans un nouvel article universitaire pour Nature Communications que le solaire a atteint un point de développement tel qu’il sera amené à devenir la principale énergie renouvelable sur les marchés de l’électricité au niveau global.
Vouloir tout électrifier c’est bien, mais il risque d’y avoir un souci explique cet article des Echos qui relate un constat de l’Agence Internationale de l’Energie : il n’y a pas assez d’infrastructures dans le monde pour transporter l’électricité auprès des utilisateurs.
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A dans deux semaines,
Vivien.
Beaucoup aimé votre article sur Humus ... Une startup ce n est pas un chemin facile .... Comme toute société on doit se conformer à la réglementation (de plus en plus lourde) alors qu on a pas les ressources humaines et financières pour tout voir/traiter . Il faut savoir ne pas franchir la ligne rouge ... Tout en sachant gérer les zones grises ...