#133 Une réhabilitation du "village global"
Pour "la der", également la seconde vie, Enedis, le salaire à impact, les géologues et plein d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Voici la dernière missive avant une pause estivale. J’espère que vous profitez ou profiterez d’une pause également pour vous ressourcer, ralentir le rythme, rattraper les anciennes missives, ou les anciens épisodes de podcast😉.
Passons au sommaire :
💭 Réhabilitons les concepts de “village global” et “théâtre global”
🚯 La seconde vie dans la mode n’est pas très paradisiaque
📣 Enedis passe société à mission
⚔️ Le combat chez les géologues pour s’accorder sur l’Anthropocène
🤌 Parler de l’impact social de son entreprise pourrait inhiber la négociation salariale des candidats
📖 Partagez vos conseils de lecture !
🧠 Un peu plus de jus de crâne bien fourni
🎧 Mon son de la semaine : Explosions in the Sky - Ten Billion People
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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Les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient et surtout de manière simultanée à différents endroits de la planète. Ce n’est pas nouveau, mais il y a une accélération de la récurrence de ces phénomènes. Une chose est presque certaine : ce n’est que le début… mais la fréquence ne dépend que de nous.
Cette simultanéité de phénomènes extrêmes m’a rappelé le concept un peu poussiéreux de “village global” du philosophe Marshall McLuhan. En creusant, j’ai appris qu’il avait abandonné le terme sur la fin de ses travaux pour parler de “théâtre global”. Les deux me semblent assez bien appropriés dans le contexte et méritent qu’on leur offre une chance de réhabilitation.
Je parle de réhabilitation, parce que le terme de “village global” a été noyé dans un débat politique sur les vertus de la mondialisation. Porté au tournant des années 2000, notamment par Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU, le concept a été broyé par ses opposants comme un faux reflet d’une pseudo-vision d’une mondialisation positive pour tous et comme l’avènement d’un modèle uniformiste.
La conception de “village global” n’avait rien de politique. Né dans les années 1960, il fait seulement le constat de l’explosion des médias et progressivement des des autres modes de communication instantanés qui font tomber les frontières nationales et qui accélèrent des interconnexions entre différentes populations dans le monde. Rappelons que McLuhan était avant tout un philosophe des médias et qu’il insistait sur le fait qu’il ne portait pas d’opinion.
Il a également fait évoluer ce concept pour parler de “théâtre global”. Cette mutation s’appuie sur l’observation que la connaissance fragmentée, spécialiste, individuelle laisse place à un monde de la simultanéité et du tout en même temps où tout est connecté au reste. “La conscience moderne est plus intégrale et inclusive”, disait McLuhan dans un entretien fleuve à Playboy en 1964. Dans cet théâtre global, on est tous acteurs.
Surtout, il explique dans ce même échange un point qu’on occulte souvent :
“Les conditions du village global étant forgées par les technologies électriques stimulent plus de discontinuité et de diversité et de divisions que la vieille société mécanique et standardisée ; en fait, le village global rend le désaccord maximal et le dialogue créatif inévitable. L’uniformité et la tranquillité ne sont pas les caractéristiques principales du village global ; plus vraisemblablement c’est le conflit et la discorde, ainsi que l’amour et l’harmonie—le mode de vie habituel de tout peuple tribal.”
Cette globalité crée beaucoup de dissensions et d’avis contradictoires, qui sont plus partagés et amplifiés. Rappelons qu’il parle dans les années 1960…
C’est en cela que je trouve qu’on peut s’intéresser à ces concepts. D’un côté, le champ informationnel est tellement riche que des phénomènes extrêmes—donc susceptibles d’attirer l’attention médiatique—et simultanés sont beaucoup plus fréquemment mentionnés dans nos sphères de communication qu’importe nos habitudes de consommation de l’information (médias traditionnels et réseaux sociaux).
De l’autre côté, le conflit et la discorde étant des modes opératoires habituels dans ce village-théâtre global, l’acceptation d’une manière unique d’appréhender la situation est constamment questionnée, parce que les différences de points de vue sont légion et amplifiées par nos systèmes d’informations. On parle beaucoup des Unes de journaux et magazines ces jours-ci avec des regrets sur des manières d’informer, avec des médias qui ne prendraient pas assez la mesure des enjeux climatiques.
En reprenant la pensée de McLuhan, cette réalité est normale. C’est parce que le champ informationnel est très ouvert que l’uniformisation des points de vue est une illusion en dépit que la situation évoquée—le réchauffement climatique—s’appuie sur une réalité scientifique.
On assiste donc à un paradoxe : une conscience accrue de phénomènes climatiques graves un peu partout dans le monde, qui nous touchent directement et dans lesquels on est parfois impliqués, mais une tendance à une polarisation des points de vue exacerbée par une logique d’exclusion présente chez certains acteurs qui considèrent l’autre comme ignorant, dangereux, irresponsable, liberticide etc. (vous choisissez dans quel camp mettre les adjectifs).
Toutefois, il y a un point sur lequel on avance très peu si l’on suit la logique de Malcolm McLuhan, c’est la nécessité d’un dialogue créatif. Chacun reste trop souvent campé sur ses certitudes, ses visions du monde, ses analyses et ses interprétations. C’est sur cet aspect qu’il va falloir travailler pour retrouver un peu plus d’amour et d’harmonie…
🚯 De nouvelles preuves du manque de recyclage dans la mode…
La fondation Changing Markets vient de sortir une grande enquête sur la seconde vie dans la mode. Derrière les promesses de grandes marques, la réalité est beaucoup plus sombre. Via des trackers mis sur des vêtements tous en bon état, voire neufs, la fondation a pu suivre leurs déplacements.
Seul un a été revendu dans le même magasin. Pour la plupart, ils ont été revendus très loin (parfois en Ukraine), décyclés, détruits, incinérés, envoyés en Afrique, voire sont encore stockés des mois après avoir été donnés aux marques…
Bref, les programmes de seconde vie sont loin d’être la panacée pour beaucoup…
📣 Enedis passe société à mission
Je fais plutôt rarement part des annonces de nouvelles sociétés à mission désormais, mais je fais une exception avec Enedis qui a franchi le pas il y a peu avec ses 39000 collaborateurs. L’entreprise a même sorti une vidéo d’explication plutôt bien faite.
Leur raison d’être : “Agir pour un service public de la distribution d’électricité innovant, performant et solidaire. Raccorder la société au défi collectif d’un monde durable.”
Mobiliser notre expertise industrielle et numérique pour un réseau de distribution performant qui accompagne les modes de production décentralisés et qui accélère les usages sobres et innovants de l’électricité.
Intégrer dans nos activités les enjeux climatiques, la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles.
Engager nos ressources et nos investissements au plus près des collectivités au service de la cohésion et de la résilience des territoires.
Agir avec nos salariés et nos partenaires pour un service public proche de nos clients, inclusif et solidaire.
Ancrer dans nos métiers la diversité des personnes et des parcours, et préserver la santé et la qualité de vie au travail.
Vous noterez également une différence essentielle dans cette vidéo entre la raison d’être et la signature de marque “Bienvenue dans la nouvelle France électrique”.
⚔️ La bataille sur l’Anthropocène chez les géologues
L’anthropocène est presque rentré dans le champ lexical commun, mais au cas où il s’agit de considérer que l’âge dans lequel nous vivons est fondamentalement modifié par l’activité humaine. C’est un terme fréquemment utilisé en sciences sociales et dans les discours écologiques, mais pas du tout chez les géologues, dont les règles déontologiques.
Cet article du New York Times explique les débats intenses qui animent la communauté de chercheurs. Nous vivons aujourd’hui dans la période de l’Holocène, débuté il y a 11 700 ans, et plus précisément dans le Méghalayen, entamé il y a 4250 ans — même si cela fait encore débat.
Chez les géologues, une nouvelle ère est âprement débattu et doit se caractériser par des preuves dans les sols de changements majeurs et durables et par une date. C’est là que les débat sont âpres. Dans l’histoire de la planète, mesurer l’impact de l’être humain est diablement compliqué, car on ne parle de l’échelle de l’an 2100, mais plutôt de l’an 5000 si tant est qu’on utilisera encore ce système.
En plus, c’est la première qu’une nouvelle ère pourrait être définie par des humains la vivant, puisque toutes les précédentes ont été déterminées a posteriori.
Aujourd’hui, les partisans de marquer l’Anthropocène sélectionnent des sites depuis une quinzaine d’années, essaient de convaincre leurs collègues, et passent beaucoup de temps en commission d’examen. Du temps très long… La crainte de certains : que lorsque la validation aura été faite, le choix paraisse complètement évident pour tout le monde.
🤌Pour les cyniques, parler de son impact permet de baisser les salaires
Ce titre est totalement honteux, mais il semble assez véridique selon les recherches de Insiya Hussain, Marko Pitesa, Stefan Thau et Michael Schaerer qu’ils résument dans un article pour la Harvard Business Review.
En effet, plusieurs expériences montrent que les candidats informés de l’impact social qu’une entreprise recherche sont moins susceptibles de négocier la proposition de salaire à l’embauche que ceux qui n’auraient pas été informés.
La principale raison est la combinaison entre une perception de paraître avide ou matérialiste en parlant d’argent et l’impression que négocier son salaire pourrait être considéré comme un signe de motivation inférieure pour un job plein de sens.
📖 Vos conseils de lecture ?
Je vais avoir beaucoup de train pendant mes congés. J’ai déjà pas mal de lectures prévues, mais je suis preneur de vos conseils : romans, essais (société, histoire, économie, gestion, technologie, sociologie, philophie), (auto)biographies, BD. Vraiment, faites-vous plaisir soit en commentaires sur le site pour en faire profiter les autres, soit en répondant directement à cette missive—je reçois les emails directement dans ma boîte.
Merci !
🧠Un peu plus de jus de crâne
Je vous en mets un tout petit plus et surtout sur les podcasts pour les moments de transports divers sur la route des vacances.
Comment Van Moof, “la Tesla des vélos électriques”, a déraillé, via Fast Company
Mais que font les pouvoirs publics en matière d’actions éco-responsables ? C’est ce qu’un nouveau rapport d’information du Sénat examine.
Plongée passionnante par The Athletic dans les débats outre-Manche sur les actions de groupes écologistes pendant des événements sportifs.
Que dit la plage de notre société ? Emission pleine d’humour, d’histoire et de sociologie sur France Inter.
Dans le podcast Chef[fe] de Sophie Plumer, allez à la rencontre Maud Sarda, figure incontournable de l’entreprenariat social en France à la tête du label Emmaüs. Super épisode !
Episode très intéressant sur le podcast Revolve avec Maxime Barluet de Beauchesne sur l’objet entreprise à l’épreuve des imaginaires.
Je suis un très, très grand fan d’Explosions in the Sky, groupe de post-rock hors du commun. Ils n’ont pas sorti d’album depuis 7 ans et l’annonce d’une nouvelle sortie crée un peu d’émoi chez moi. Le premier single s’appelle “Ten Billion People” et il est magistral !
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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Bel été,
Vivien.