#131 Les dispositifs d'engagement d'entreprise sont-ils faits pour toutes les entreprises ?
Egalement une direction Impact au Crédit agricole; une innovation de gouvernance; la mission dans l'ESS; un vote historique et bien d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
C’est un peu osé de vous envoyer cette missive en fin de journée, veille de 14 juillet, mais j’espère qu’elle ne se perdra pas trop dans vos boîtes email.
Au sommaire :
💭 L’édito : les dispositifs volontaires pour les entreprises sont-ils réservés aux entreprises traditionnelles ou aux nouvelles sociétés ?
🍫 Tony’s Chocolonely innove en matière de protection de la mission
🌍 Le Crédit Agricole crée sa version de direction de l’Impact
🎙️ Témoignage d’une entreprise de l’ESS nativement à mission
👏 Le miracle a eu lieu au Parlement européen
💡 Petit rappel que l’entreprise a un rôle politique
🧐 Appel à communication pour un futur colloque sur la société à mission
🎧 Mon son de la semaine : TEKE:TEKE - Yoru Ni
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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Cette semaine, j’aimerais vous partager un questionnement. Dans un épisode de podcast du Sens et de l’Action que j’évoquais la semaine dernière, Erinch Sahan s’interrogeait à savoir si les différents outils (labels RSE, société à mission etc.) servaient plus à transformer les entreprises “traditionnelles” ou à favoriser un entreprenariat différent davantage porté sur l’impact positif.
Selon lui, on ne peut pas vraiment compter sur les entreprises actuelles pour bouger en profondeur : trop d’inertie, trop d’obstacles, trop d’intérêts contradictoires etc. Ainsi estiment-ils que ces outils sont des rampes de lancement pour construire de nouvelles entreprises contributives.
Sa réflexion n’est pas dénuée de fondement. Quand on regarde les entreprises à mission, près de la moitié d’entre elles sont nées après 2020. Je n’ai pas les données pour B Corp, mais je pense que la dynamique est assez proche. Aujourd’hui, devenir B Corp est une sorte de passage obligé pour les “startups à impact”. De même, très peu de ces outils sont adoptés par les grandes entreprises. D’aucuns diront qu’elles ont beaucoup de réglementations à gérer qui les conduisent à limiter leurs impacts négatifs.
C’est tout de même assez paradoxal. Les labels RSE ont été créés pour transformer l’économie et notamment donner des référentiels aux entreprises dans cette voie. La société à mission est née des dérives du capitalisme et de l’irresponsabilité grandissante de l’actionnariat parmi les grandes entreprises en plus d’une financiarisation poussée depuis les années 1980.
Tous ces dispositifs ne visent pas de prime abord les entreprises qui prennent en compte dès le début l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société.
Doit-on comprendre que les entreprises établies—souvent plus grosses—sont plus rétives, plus lentes et/ou plus réglementées au point qu’elles s’intéressent peu à ces nouveaux mécanismes ?
Je laisse la question en suspens… En tout cas, la transformation de l’économie nécessite une implication du plus grand nombre d’acteurs, et autant que possible, de manière proactive et volontaire. On ne peut pas attendre—ni même espérer—que disparaissent toutes les “mauvaises” entreprises pour que les “bonnes” et jeunes entreprises prennent la place…
🍫 Tony’s Chocolonely innove en matière de gouvernance.
En France, Tony’s est peu connue. En matière de responsabilité et d’engagement, la marque néerlandaise de chocolat rivalise pourtant avec Patagonia. Elle se démarque avec des positions assez radicales et des innovations, dans le cas présent, en matière de gouvernance.
Portée par son ambition de faire complètement disparaître toute forme d’esclavage du secteur du chocolat, l’entreprise a notamment inscrit sa mission dans ses statuts, ainsi que ses cinq principes d’approvisionnement, et est B Corp de longue date. Petit point de précision : on parle ici de mission au sens anglo-saxon du terme, à savoir une grande ambition qui se rapproche d’une raison d’être.
La nouveauté est la création du “Tony’s Mission Lock”, une fondation composée de trois gardiens de la mission qui disposent de pouvoirs pour garantir que Tony’s ne s’écarte jamais de sa mission. En pratique, cela prend la forme d’un “golden share” que la fondation peut utiliser lors de certains votes.
Elle dispose d’un droit de veto sur tout changement éventuel concernant la mission et d’un certain nombre d’outils pour enquêter ou alerter sur d’éventuelles ruptures avec la mission dans la gestion de l’entreprise, comme une double page dans le rapport annuel de l’entreprise ou le droit d’en référer à la Chambre de commerce néerlandaise (ce qui nécessite normalement de détenir au moins 10% du capital).
La fondation peut également réceptionner des avis anonymes de toute partie prenante de l’entreprise (salariés, clients, fournisseurs, ONG etc.) qui aurait des inquiétudes sur certaines pratiques de l’entreprise via une adresse email.
Ce mécanisme est uniquement centré sur la défense de la mission. On ne pas ici de transfert de la propriété des actions de l’entreprise à une fondation comme Patagonia ou d’autres ont pu le faire, d’autant plus compliqué qu’il y a pas mal de fonds d’investissement au capital de l’entreprise…
Cette annonce me fait réfléchir sur le cadre de la société à mission. Ne pourrait-on pas envisager un système où tout changement apporté sur la mission doit être approuvé par le comité de mission ? C’est souvent le cas—au moins à titre consultatif—, mais je pense que cela vaudrait le coup de le systématiser pour renforcer le rôle du comité et l’engagement pris par l’entreprise, et éviter d’éventuelles dérives.
🌍Une nouvelle direction portée sur l’engagement sociétal au Crédit Agricole
Le Crédit Agricole prend la vague des directions Impact en créant la direction Engagement sociétal. Elle s’appuie sur de précédentes initiatives comme le Projet Sociétal et l’entité Transitions & Energies.
Les activités de cette nouvelle direction vont porter sur quatre aspects :
Le pilotage du Projet Sociétal du Crédit agricole, tourné sur les pratiques internes
L’adoption et le suivi des politiques sectorielles et des pratiques favorables à l'environnement
La mise en conformité et le suivi de la politique des risques liés à ces aspects sociétaux
La promotion des financements qui pourraient avoir un impact positif sur la société et l’environnement.
On imagine que c’est elle qui sera également chargé du suivi de la raison d’être du groupe.
🎙️Une entreprise de l’ESS nativement à mission : témoignage
La seconde partie de l’épisode avec Quentin Sauvée, CEO et co-fondateur de la mutuelle Jaji, est désormais disponible. Dans cet échange, on explore le choix de la jeune pousse de devenir société à mission dès le lancement, et l’évolution depuis avec une petite réécriture en prime.
On aborde également la relation avec la maison mère Klesia, avec un avantage certain : elle est également société à mission. Et pas mal d’autres sujets, dont un très intéressant sur les critères de réussite.
Vous pouvez retrouver l’épisode sur toutes les plateformes d’écoutes.
👏Et le miracle a eu lieu au Parlement européen
C’était mal parti. Je vous ai parlé à plusieurs reprises ces dernières semaines des risques de disparition de la loi sur la Restauration de la nature au Parlement européen.
Après avoir été rejeté en commission parlementaire, il fallait une majorité en plénière pour maintenir le texte en vie. Ce n’était pas gagné, car tous les blocs de droite s’y opposaient. Mais grâce à quelques votes dissidents, le texte est passé avec quelques modifications. Ainsi, la cible de restaurer au moins 30% de la biodiversité est passée à 20%. Comme l’explique Pascal Canfin dans un entretien à L’Obs, d’autres points ont été édulcorés : d’un engagement de résultats, le texte parle désormais d’engagement de moyens.
Mais, cela reste un résultat très positif. La suite des événements : le texte amendé repart en commission, où il sera théoriquement définitivement approuvé. Il sera ensuite envoyé au Conseil pour que les Etats-membres l’adopte.
Il reste que le texte nécessitera beaucoup de travail dans sa mise en œuvre face aux oppositions marquées des agriculteurs et des pêcheurs, qui estiment qu’il n’y a pas de mécanisme de financement pour les aider dans les démarches qu’ils vont devoir mener…
💡100 patrons rappellent que l’entreprise a un rôle politique
Dans une tribune au Monde, plus d’une centaine de dirigeants d’entreprises d’horizons et de tailles différents, dont ceux de MAIF, Enedis, SNCF, Doctolib, Biocoop, Crédit Mutuel, Faguo, Bouge Ta Boîte, ou encore Mirova plaident pour une économie qui offre un horizon économique désirable pour tous.
“Nous en sommes plus que jamais convaincus, l’action des entreprises est fondamentalement politique”, écrivent-ils. “Nous avons tous et toutes le devoir d’agir à notre échelle.” Ils prônent quatre principes : la coopération face à l’hypercompétition ; le partage équitable de la valeur mais aussi du pouvoir et des ressources ; la régénération du vivant ; et une nouvelle approche du travail, inclusive et adaptée aux différents temps de la vie.
Toutefois, aussi loin les entreprises peuvent-elles aller, l’action publique doit également être plus prononcée pour aller dans cette direction souhaitable.
Je pense que la tribune aurait pu faire l’économie du lien entre les émeutes et les Universités d’Eté de l’Economie de Demain de fin août. Le filon est un peu gros, voire inopportun.
🧐Appel à communications pour un colloque académique sur la société à mission
Pour les universitaires, consultants ou praticiens sensibles aux approches académiques, le 25 janvier 2024 se tiendra à l’emlyon un colloque intitulé “Les premières 1000 Sociétés à mission sous le regard des chercheurs”.
Quatre grands thèmes seront abordés, mais d’autres thématiques sont bienvenues :
Analyse des missions et fonctionnement des sociétés à mission
Gouvernance responsable et grand challenges
Articulation ou comparaison avec l’ESS ou d’autres formes de société
Mission et théories de l’entreprise
Les contributions peuvent émaner de toutes disciplines, de nature empirique, théorique ou conceptuelle. Pour plus de détails, voyez le post de Jérémy Leveque sur LinkedIn.
TEKE:TEKE est un groupe OVNI. Basé à Montreal, ce septuor navigue entre le surf rock, le rock psychédélique, le tout chanté en japonais. C’est un peu barré, mais totalement appréciable, à l’image de ce morceau issu de leur premier album sorti en 2021.
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.
Salut Vivien,
Super newsletter ! Pour réagir au sujet de ton édito, peut-être en as-tu déjà parlé, mais je me demandais comment les acteurs des business à impact percevaient le fait que certaines grosses boîtes ont obtenu ces labels - je pense par exemple à Nespresso, ça m'avait quand même laissée sur le cul qu'ils aient été certifiés B Corp. A mon niveau, je ne peux pas m'empêcher de me demander si c'est pas "juste" un truc de com'. Est-ce que c'est pour ça que les grosses boîtes qui existent depuis longtemps ne s'aventurent pas sur ce terrain-là, parce qu'elles sentent que les consommateurs seront plus méfiants envers eux qu'envers une petite startup à mission ? Je serais curieuse d'avoir ton avis dessus :)
Et sinon, pour l'anecdote, j'avais commencé à vendre du Tony's Chocolonely dans mon ancienne boîte, juste parce que le packaging était mignon... Et c'est seulement bien après que je me suis rendue compte qu'ils étaient plus engagés qu'une marque de confiserie lambda ! Très intéressant en tout cas, cette dernière initiative.