#129 Peut-on faire de l'adaptation sans faire beaucoup d'atténuation?
Et aussi l'intrapreneuriat à mission, la recharge en pharmacie, le développement durable en entreprise et d'autres choses
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette nouvelle missive ! Passons directement au sommaire :
💭L’édito : peut-on s’adapter sans atténuer ?
🧴La collaboration en pharmacie pour des produits en recharge
🤔Un exemple d’intrapreneuriat à mission
❓Korian passe société à mission après un scandale
🌱Les députés européens enterrent presque la nature
📊Nouveau baromètre sur le développement durable en entreprise
📕Recension de l’ouvrage Tools and Weapons: The Promise and The Peril of the Digital Age de Brad Smith
🧠Un peu plus de jus de crâne avec la déconnexion, le mythe du talent, et la décroissance
🎧Mon son de la semaine : Spoon - Silver Girl
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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Atténuer vs adapter, un débat stérile ? La question mérite d’être posée. Mais rappelons déjà quelques fondamentaux.
L’ADEME définit l’atténuation du changement climatique comme une diminution de son degré de réchauffement. On y arrive soit en réduisant ou limitant les émissions de gaz à effet de serre, soit en protégeant et en améliorant les puits et réservoirs des GES (ex : forêts, sols et herbiers marins).
Quant à l’adaptation, elle correspond à l'ensemble des évolutions d'organisation, de localisation et de techniques que les sociétés doivent opérer pour limiter les impacts négatifs du changement climatique ou pour en maximiser les effets bénéfiques.
Pourquoi s’intéresser à ce sujet maintenant ? C’est lié à un récent article dans Le Monde selon lequel plusieurs partis politiques s’approprient davantage les notions liées à l’adaptation que celles correspondant à l’atténuation. A l’origine le discours actuel du gouvernement qu’il faut se préparer à un réchauffement de +4°C d’ici 2100.
L’adaptation est plus acceptable pour beaucoup, car elle ne parle pas de réduction, de changement d’habitudes, mais de solutions, d’innovations qui vont venir. En plus, mettre en place des démarches d’adaptation conduit mécaniquement à des mesures d’atténuation.
Cela peut sembler anecdotique, mais révèle en réalité que tout discours d’efforts nécessite un courage qui n’est pas du registre du possible dans beaucoup de cas de figure. Pour des raisons électoralistes certes, mais probablement aussi pour des raisons philosophiques : la voie actuelle est fondamentalement bonne et en dévier n’est pas une perturbation viable.
Il y a plusieurs problèmes à ce positionnement :
cela légitime l’inaction générale, car des actions sont attendues par l’Etat du côté des entreprises et des citoyens. Si l’Etat ne demande rien et qu’il n’y a pas de contrainte à faire, pourquoi changer nos habitudes ?
c’est une myopie de l’esprit. On ne prend les problèmes actuels environnementaux que sous le prisme du climat. Bien sûr que l’on peut reproduire des goûts et des propriétés de plantes ou d’aliments de manière synthétique, mais le fonctionnement de la biodiversité n’est pas synthétique. Nos actions sur le climat ont des conséquences sur la biodiversité… qui auront des conséquences sur nous…
L’adaptation est une partie de la solution, mais seule elle n’est pas suffisante. Et c’est un leurre dangereux de le penser. D’ailleurs, l’idée que l’on peut s’adapter à un environnement à +4°C perpétue ce mythe que nous êtres humains sommes supérieurs au reste, peu concernés même par les conséquences de nos actions, tellement que nous n’avons, en réalité, pas vraiment besoin de notre environnement pour nous épanouir. J’espère que lorsque l’on se réveillera de ce rêve, il ne sera pas trop tard.
🧴La collaboration a du bon en pharmacie.
On commence à voir apparaître des bornes de recharge dans de plus en plus de magasins, mais un lieu restait très éloigné de cette logique : la pharmacie. Cela commence à changer grâce à une grosse collaboration réunissant Pierre Fabre, Mustela, NAOS, La Rosée et Laboratoire Garancia, ainsi que Mobil Wood pour l’installation et Jean Bouteille pour les flacons rechargeables.
Une quinzaine de produits de dermocosmétique de ces différents laboratoires seront donc proposés à la recharge dans des flacons de 500ml. Ne vous attendez toutefois pas à découvrir cette offre dans votre pharmacie de quartier dès la semaine prochaine… Elle sera testée dans un premier temps dans la Pharmacie Carré Opéra à Paris. Pas plus de détails à ce stade sur un déploiement plus large.
🤔L’intrapreneuriat à mission, ça vous tente ?
Sur le podcast de La Machine à sens, j’ai eu le grand plaisir d’accueillir Quentin Sauvée, CEO de Jaji, une complémentaire santé nouvelle génération. Quentin a co-fondé l’entreprise il y a trois ans, alors qu’il était salarié de Klesia, et a décidé d’en faire une société nativement à mission.
Dans la première partie de l’épisode, il prodigue 10 leçons d’intrapreneuriat qui valent vraiment le détour d’autant qu’elles sont éprouvées. Ce que j’aime beaucoup dans l’expérience que Quentin nous partage, c’est que Jaji est presque un projet de disruption du modèle classique de la mutuelle complémentaire santé par l’interne.
Vous pouvez retrouver l’épisode complet sur toutes les plateformes d’écoute.
❓Passer société à mission après un scandale : bonne idée ?
Même si le scandale Orpéa portait beaucoup sur cette entreprise, le groupe Korian a également été éclaboussé par la sortie de l’ouvrage Les Fossoyeurs sur la situation dans les EHPAD et quelques autres reportages. Grand groupe coté comme Orpéa, ils ont décidé d’engager une transformation profonde qui passe notamment par le fait de devenir société à mission.
Je partage quelques idées, dont vous retrouverez quelques éléments dans un article de Care News pour lequel j’ai été interviewé. La réaction première et fréquente est de s’interroger sur la sincérité de cette démarche et d’avancer la crainte que cela vienne affaiblir le cadre de la société à mission.
C’est possible, mais ce cas de figure est tout à fait compréhensible et je me réjouis que Korian, désormais Clariane, teste la robustesse du modèle. La société à mission, ce n’est pas un label de vertu, c’est un cadre de progrès. On n’attend pas d’être parfait pour changer ses statuts ; sinon, on ne le fait jamais.
Il est légitime de rester vigilant, mais la société à mission a été pensée pour être un cadre transformatif. Voici une bonne occasion de le voir grandeur nature ! Vous pouvez compter sur moi pour faire la vigie à mon petit niveau, car un détournement du modèle serait très dommageable, mais la preuve que cela a vraiment servi une transformation positive aurait une portée incroyable.
A suivre…
🌱Bye bye la nature !
En écho avec l’édito… La commission ENVI du Parlement européen a rejeté la loi sur la Restauration de la Nature. Cette législation vise à réhabiliter des habitats et des espèces qui ont été endommagés par les activités humaines en instaurant des cibles à atteindre par Etat-membre. Les pays s’étaient mis d’accord à leur niveau, mais les conservateurs européens au Parlement ont mené une intense campagne pour rejeter cette loi. J’avais déjà évoqué cela il y a quelques semaines.
Leurs arguments portent sur le fait que ce texte viendrait abimer les chaines de production alimentaires, en diminuer la production et augmenter les prix. Le texte n’est pas complètement abandonné. Il reste une possibilité de le faire voter. Il sera renvoyé en plénière dans la version originale pour un vote le 10 juillet avec la recommandation de le retirer dans sa totalité. C’est fort probable, mais sait-on jamais…
En tout cas, cela montre à quel point les sujets environnementaux—non climatiques, non-orientés sur des opportunités économiques fléchées ou des subventions pour certaines adaptations—ont du mal à se frayer un chemin dans les parcours législatifs…
📊Alors, on y est ou pas ?
Le second baromètre du développement durable des entreprises du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) et de Wavestone vient de sortir. Il convient de prendre les données avec beaucoup de pincettes (134 répondants), mais elles donnent des indications intéressantes.
Parmi les entreprises de plus de 500 salariés, seuls 27% des répondants (qui sont tous des responsables RSE) estiment que les objectifs de l’entreprise sont à la hauteur des enjeux actuels (54% sont “plutôt d’accord”—une autre version du “mouais…”). Et 6% estiment que les moyens déployés sont à la hauteur des objectifs (37% de “plutôt d’accord”). Autant dire que l’on est très loin de l’optimal.
La question ne semble pas avoir été posée en ces termes pour les entreprises de moins de 500 salariés (seulement 22% de l’échantillon). Mais, selon ce baromètre, 68% des répondants ont déjà réalisé un bilan carbone complet. Je pense qu’il y a un énorme biais d’échantillon, donc faites ce que vous voulez de ce chiffre, mais ne paradez pas avec non plus…
Parmi les sujets de RSE qui avancent le plus, sans grande surprise, ce sont ceux liés aux conditions de travail et à l’éthique des affaires (une obligation réglementaire pour les entreprises de plus de 500 collaborateurs). En 3e position, on retrouve l’atténuation du changement climatique. L’adaptation arrive beaucoup plus loin. Et sans grande surprise, les autres sujets environnementaux (biodiversité par exemple) arrivent en queue de peloton.
Parmi les éléments positifs, on voit que les fonctions RSE sont à une courte majorité (51%) rattachées à la présidence, direction générale ou vice-présidence. Au niveau de la gouvernance, l’ouverture sur l’extérieur reste très minoritaire. 21% des répondants des entreprises de plus de 500 salariés ont un comité de parties prenantes ; 30% y réfléchissent. Je connais une solution pour avoir un comité des parties prenantes ; vous me voyez venir…
Dernière donnée intéressante pour terminer. Près de la moitié des répondants de grandes entreprises estiment que la majorité, voire la totalité des collaborateurs manifestent un intérêt pour les enjeux RSE, mais seuls 8% estiment dans les mêmes proportions que les collaborateurs sont engagés dans les démarches RSE. On parle de consomacteurs, on parle trop peu de collaboracteurs…
📕 Recension de Tools and Weapons. The Promise and the peril of the digital age de Brad Smith et Carol Anne Browne (2021)
Brad Smith est le président de Microsoft. Figure moins connue que Bill Gates ou Satya Nadella, il joue pourtant un rôle important dans la révolution de l’entreprise. Contrairement à beaucoup de ses camarades de jeu, il est juriste de formation et a été à la tête de la direction juridique de l’entreprise pendant plus d’une décennie.
Cet ouvrage est un mélange entre un essai autobiographique et des réflexions sur divers sujets, nombreux, concernant le numérique. Tout le monde connaît Microsoft pour ses outils Office, mais c’est également un des gros plus fournisseurs de cloud au monde, le propriétaire de LinkedIn et de Github et aurait aussi pu récupérer TikTok. Autant dire qu’il y a peu d’aspects du numérique où Microsoft n’est pas présent.
Tools and Weapons se présente comme un ouvrage voulant faire le point sur les défis qu’une entreprise technologique doit relever aujourd’hui. On y parle d’IA, d’éthique, de cybersécurité, de démocratie, de compétences etc. C’est riche d’anecdotes parfois croustillantes, parfois très pertinentes, parfois moins. C’est agrémenté d’analogies et de compléments historiques souvent bien pensés.
Pour qui n’a pas l’habitude de lire des ouvrages sur le numérique et n’en maîtrise pas le jargon technique, cet ouvrage est une lecture utile. D’autant que Brad Smith est globalement lucide sur la place de la technologie dans la société, du moins sa versatilité en termes d’usage. C’est intéressant de se plonger dans la tête d’un dirigeant de la tech, certes totalement technophile, mais conscient de l’usage néfaste possible des technologies lorsqu’elles sont mal maîtrisées, mal régulées ou détournées.
On peut toutefois reprocher deux absences majeures, les deux liées à l’environnement. Tout d’abord, il n’y a aucune référence aux aspects hardware de Microsoft. Certes, ce ne sont pas les grands succès de l’entreprise, ni ce qui génère sa croissance, mais elle produit des téléphones, des tablettes et des ordinateurs portables. Brad Smith ne parle donc pas des conditions de fabrication, des ressources nécessaires utilisées etc., alors qu’on sait que c’est un enjeu écologique majeur. N’espérez pas découvrir les réflexions du président de Microsoft sur l’économie circulaire ou les DEEE. Dans la continuité, n’espérez pas savoir comment on dit “numérique responsable” en anglais. Il n’en fait pas état sur les volets sociaux ou environnementaux. Pourtant, il y aurait beaucoup à écrire.
Si l’on fait fi du volet environnemental essentiel, cet ouvrage est tout de même de bonne facture pour comprendre comment les entreprises tech sont à l’embranchement de nombreux aspects de notre société et de son évolution, parfois beaucoup plus qu’on ne l’imagine.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage en e-book ici ou en papier ici.
🧠Un peu plus de jus de crâne
Julien Devaureix sur le podcast Sismique reçoit Samah Karaki pour une discussion passionnante au sujet du talent, de la méritocratie, des prédispositions, des facteurs de réussite. Beaucoup de mythes tombent !
Une île finlandaise veut limiter l’usage des téléphones portables pour des vacances déconnectées.
Le producteur de chaussures Vivobarefoot montre un exemple de modèle régénératif dans le retail. Explications très intéressantes de son fondateur dans un entretien pour Forbes.
J’aime bien quand des éditorialistes disent que les discours sur la décroissance sont encore peu argumentés en utilisant eux-mêmes des raisonnements peu argumentés… à lire celui de Guillaume Bazot dans Les Echos.
ESS France a sorti son rapport d’activité 2022. Dans toutes les histoires autour du Mouvement Impact France, on en oublie parfois qu’il y a d’autres organisations qui se bougent beaucoup en faveur de l’ESS.
J’adore Spoon depuis très longtemps. La voix de Britt Daniel est tellement singulière. Mélodiquement, on reconnait ce groupe parmi 100. Ce groupe d’Austin au Texas traverse les décennies sans faire trop de bruit, mais avec une musique qui évolue très bien et qui garde toute son ingéniosité. Preuve encore avec ce single “Silver Girl”.
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A la semaine prochaine,
Vivien.