#116 Et si le vivant n'était plus une ressource à notre disposition ?
Retour sur une expérience immersive, le renoncement, les attaques anti-ESG aux US, le flou sur les véhicules thermiques, les fondatrices à impact, la semaine de 4 jours (temps de lecture totale: 11')
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans cette 116e missive. La bonne nouvelle de la semaine ? Il pleut !
Avant de rentrer dans le sommaire, j’aimerais vous poser une question. Depuis deux semaines, j’ai un nombre inhabituel de désabonnements. C’est la première fois que cela m’arrive. J’essaie d’analyser la situation, mais à un moment donné, je dois me tourner vers vous.
J’ai besoin de votre regard critique : si vous hésitez à rester abonné, pourquoi ? Si vous comptez vous désabonner, comment puis-je l’éviter ? Que dois-je améliorer ? Votre retour serait très utile. J’ai fait un questionnaire anonyme. Il n’y a qu’une question. Merci beaucoup !
Passons au sommaire :
💭 L’édito : à la découverte d’une fable écologique
⚠️ Les fonds d’investissement américains se rebiffent contre les attaques anti-ESG
👍 Le renoncement commence à poindre pour être aligné avec sa mission
🚗 Vers une révision de la fin des véhicules thermiques neufs à partir de 2035 ?
🔢 Les chiffres qui marquent avec les fermetures d’Internet dans le monde et un parking vélo géant
👩 L’état des lieux de la place des fondatrices dans les start-ups à impact
📖 Quelles sont les conclusions de la grande expérimentation de la semaine de 4 jours outre-Manche ?
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la voiture électrique, le rôle des religions sur les rapports hommes-femmes, les écueils liés à l’agilité et ce que l’histoire de la musique peut nous apprendre sur l’impact de l’IA
🎧 Mon son de la semaine : shame - The Fall of Paul
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
Point d’info : la semaine prochaine, je fais une pause. Vous recevrez juste l’huile essentielle du mois des mois de janvier et février.
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“Et si le vivant n'était plus une ressource à notre disposition ?”
C’est une des questions essentielles qui a motivé Charlotte-Amélie Veaux et Yann Garreau à créer Onyo, start-up spécialisée dans le design d’expérience. Leur canal d’action : des expériences immersives autour de fables écologiques. J’ai eu le plaisir d’en tester une récemment, Les Gardiens de la montagne, et je voulais vraiment vous partager ce moment. Je suis sûr que cela intéressera plusieurs d’entre vous.
Je débarque un après-midi au Cent Quatre à Paris, sorte d’incubateur sur les domaines artistiques et culturels. La salle est grande, sombre. Au milieu, il y a une installation assez minimaliste avec des rochers en papier qui semblent flotter dans les airs, des coussins au sol tout autour et des casques audio. Ce jour-là, nous sommes trois, mais l’expérience peut se faire à beaucoup plus. On nous demande de choisir une pierre que l’on gardera le temps de l’expérience. Je m’assieds sur un coussin. Je mets mon casque. La consigne est de conserver les yeux fermés tout le temps de l’expérience. La casque isole complètement l’auditeur du son environnant.
Des sons étranges, de bruits que l’on entend à la montagne, de pierres commencent à jaillir dans nos oreilles, puis une voix sombre et mystérieuse. C’est l’esprit de la montagne qui nous parle. L’atmosphère est très apaisante et invite à se relaxer et à laisser l’imagination se représenter l’environnement dans lequel nous sommes plongés.
Pendant ces 20 minutes, je navigue dans une ambiance un peu mystique et métaphorique. La montagne est en danger et nous sommes invités à en devenir des gardiens pour la protéger. Si nous l’acceptons, nous devons suivre un rite d’introduction où la pierre que l’on a choisie prend tout son sens. Il faut la toucher, l’appréhender, la soulever, dessiner avec à même le sol. On finit par prêter serment à haute voix.
L’immersion est complète : le son est binaural, l’installation s’illumine au gré du récit et le fait d’avoir les yeux fermés nous transporte, et le toucher augmente le lien avec le vivant.
Je suis ressorti de cette expérience très apaisé, un peu désorienté par le retour à la réalité et plein d’envie de partager ce moment avec les autres participants. Chacun vit cette fable différemment. Surtout, et c’est l’objectif d’Onyo, elle fait réfléchir sur la fragilité de la biodiversité, sur notre rôle et nos actions en tant qu’humains.
“Il s’agit de créer des moments où l’on associe l’écologie, le bien être et des moments de reconnexion”, m’explique Charlotte-Amélie. C’est un moyen “de remettre du sens et des émotions dans des discours technicistes ou alarmistes”.
Ces fables immersives permettent de passer du rôle de spectateur au rôle de participant. Et ça marche !
Les Gardiens de la montagne sont leur nouvelle création qu’ils vont commencer à déployer dans des musées, lors d’expositions, mais également pour des entreprises. Vous pouvez voir le trailer ici. Je trouve que cela peut effectivement être une activité intéressante dans des séminaires d’équipes et pour générer de l’échange sur les problématiques environnementales d’une manière détournée.
Ce n’est pas une Fresque du climat qui va un peu vous plomber le reste de la journée, ni un Atelier 2 tonnes qui va vous donner des pistes d’action. C’est un moment d’ouverture d’esprit, d’écoute, de déconnexion du monde réel et de reconnexion au vivant.
A découvrir pour qui cherche une expérience originale qui génèrera de l’échange sur des sujets qui peuvent parfois cliver. Vous pourrez en avoir un aperçu lors d’un événement co-organisé avec Futurs Proches et Les Passeurs le 22 mars (en présentiel - il ne reste que 2 places - ou en distanciel). Des sessions d’expérience seront de nouveau organisées à partir d’avril. Je vous tiendrai au courant. On peut essayer de se faire une session spéciale lecteurs de La Machine à sens si ça vous dit !
⚠️LES FONDS SE REBIFFENT.
J’ai déjà plusieurs fois évoqué ce qui se passe outre-Atlantique concernant les attaques des Républicains portées contre la dimension ESG dans un nombre croissant de décisions d’investissement. Plusieurs Etats discutent, voire ont voté des lois accusant les fonds d’investissement de mettre trop en avant des critères ESG au détriment de la rentabilité.
Plusieurs sociétés de gestion ont décidé de prendre la parole pour dénoncer ce type de positions, explique le Financial Times. Selon elles, ces attaques, voire ces votes, peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’activité en limitant les profits, ainsi que les levées de fonds à réaliser. En gros, on attaque les assaillants par le même biais du business et de la rentabilité. Malin !
En lisant l’article, aucune mention d’un fonds qui indiquerait la pertinence de prendre en considération ces critères ESG comme du bon sens business, mais ce n’est pas étonnant et peut-être ces sociétés le font-elles par ailleurs.
Cette série d’attaques n’est pas terminée. Au Congrès, les Républicains ont voté contre un projet de loi du gouvernement autorisant les managers de fonds de pension à prendre en considération des standards ESG dans leurs décisions d’investissements. Joe Biden a toutefois annoncé qu’il opposerait son veto contre ces votes pour faire passer le projet de loi—ce qui serait le premier de sa présidence.
👍RENONCER POUR ETRE ALIGNES.
Le renoncement fait partie de la dynamique de la société à mission, mais devrait progressivement devenir moins tabou pour les entreprises qui cherchent à être davantage alignées entre les intentions et les actions.
Deux exemples récents dans des secteurs très différents.
L’agence de communication B Side explique ainsi avoir renoncé à huit collaborations en 2022 qui n’étaient pas alignées avec sa mission, à savoir que les modèles économiques des entreprises étaient jugés non durables, et non remis en question. L’agence a développé une méthode interne pour juger de l’utilité des demandes entrantes.
Le renoncement est en effet un enjeu que toute société à mission est amenée à se poser sur sa clientèle existante ou future. Le sujet de la rentabilité financière est mis au niveau de la mission de l’entreprise. On revient ici aux principes de la triple comptabilité…
Autre exemple dans l’univers des animaux. Après avoir renoncé aux aquariums boules, puis aux colliers coercitifs pour chiens, le groupe Agrobiothers (qui possède notamment les marques Aimé et Tyrol) a décidé de poursuivre sa ligne directrice du bien-être animal en arrêtant la commercialisation des boules de graisse en filet pour les oiseaux. En ligne avec les remontées de pas mal d’ONG, comme la Ligue de Protection des Oiseaux, l’entreprise à mission retire ce produit destiné à nourrir les oiseaux en période hivernal.
Sur le papier, c’est un peu comme les aquariums boules, on peut se demander la raison. Il s’avère que les boules de graisse en filet peuvent être sources de blessures, parfois fatales, pour les oiseaux qui se prennent les pates dedans. Cela devient alors un piège pour eux. Par ailleurs, ces filets sont principalement constitués de nylon et de plastique, donc sources de pollution, car ils sont souvent abandonnés dans la nature. L’entreprise propose ainsi des alternatives à ce produit pourtant fréquemment vendu.
Et vous, comment cette question du renoncement se pose-t-elle ? Je serais ravi d’échanger avec vous sur ce sujet tant il prend des formes différentes d’une entreprise à une autre et qu’il est souvent difficile à bien appréhender.
Vous pouvez m’écrire en répondant directement à cette missive.
🚗LA BOMBE CLIMATIQUE A QUATRE ROUES.
Vous pensiez, comme moi, que les voitures thermiques allaient devenir des objets vintage quand on apprenait il y a plusieurs mois déjà l’interdiction de vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 ? Eh bien, ça s’annonce plus compliqué que cela.
Sans rentrer dans la mécanique juridique européenne, l’Allemagne joue les trouble-fêtes. Elle menace de s’abstenir dans un vote qui ne présentait aucun risque tant tout semblait régler (et parce que tout était réglé !). En effet, elle joue sur un point technique : elle veut des certitudes juridiques sur le fait que les voitures roulant aux “e-carburants” (carburants de synthèse) pourront être vendues après 2035. La réglementation indiquait que des études seraient menées.
Gros pressing de l’industrie pensez-vous ? Pas vraiment ! D’ailleurs, les industriels ne se réjouissent pas de cette tournure des événements, puisqu’ils ont déjà lancé de plans d’investissement sur la transition vers le full electric. C’est avant tout le pressing des libéraux-démocrates du gouvernement allemand qui essaient de se faire entendre dans une coalition où leur voix ne porte pas beaucoup.
Le hic est que l’abstention de l’Allemagne ne permettrait plus l’obtention de la majorité qualifiée, car d’autres pays comme l’Italie et la Pologne ont déjà annoncé qu’ils voteraient contre le texte. Cela pourrait alors conduire à une révision, voire pire un abandon du texte.
35. C’est le nombre de pays ayant connu ou imposé au moins une fermeture du réseau Internet en 2022, selon un nouveau rapport d’AccessNow. C’est un nouveau record. Pour la 5e année consécutive, c’est l’Inde qui a le plus recours à cette pratique, utilisée 84 fois l’an dernier.
11 000. C’est environ le nombre de places disponibles dans le nouveau parking à vélos sous-terrain ouvert à côté de la gare d’Amsterdam. L’objectif est en partie de désengorger l’espace public pour pouvoir l’utiliser d’autres manières, notamment pour installer des espaces verts et des bancs.
👩LES FEMMES ET LES START-UPS A IMPACT.
La Journée de la Femme Digitale, en partenariat avec EY et France Digital, ont réalisé une étude intéressante sur la place des fondatrices dans les start-ups à impact. En s’appuyant sur le mapping réalisé par France Digital et Bpifrance, les auteurs ont donc dressé un état des lieux de la situation.
27% des start-ups à impact du panel ont été co-fondés par des femmes. Les trois secteurs où les fondatrices sont les plus présentes sont le commerce, l’éducation et la culture, et l’économie circulaire.
📖ALORS, HEUREUX ?
Vous avez probablement entendu parler de la grande expérience de la semaine de quatre jours au Royaume-Uni. La période de test est désormais et le consortium académique emmené par le think tank Autonomy à l’origine du projet a rendu ses conclusions.
Sur les 61 entreprises pilotes, 56 vont poursuivre la semaine de quatre jours, dont 18 qui ont déjà acté que ce schéma serait désormais la norme. L’impact sur les collaborateurs est l’aspect le plus positif : moins de stress (39% - à ne pas interpréter comme 61% ont ressenti plus de stress), moins de sentiment de burnout (71%), plus de satisfaction au travail (48%), meilleure santé mentale (43%), davantage d’émotions positives (64%), moins de problèmes de sommeil (40%), moins de conflit entre vie pro-vie perso (54%)…
Au niveau financier, l’étude est un peu moins rigoureuse dans sa méthodologie, mais en tout cas, l’impact semble quasi nul. Le chiffre d’affaires a très légèrement augmenté en moyenne entre le début et la fin de l’essai. En prenant une période de six mois comme base de comparaison, l’augmentation du chiffre d’affaires est de 35% pendant la période d’essai. Le turnover a un peu baissé.
Là où il faut bien lire ces résultats, c’est qu’il n’y a pas eu de comparaison avec une cohorte d’entreprises de tailles et de secteurs similaires qui étaient restées à la semaine de 5 jours, donc ces variations positives peuvent être contextuelles.
Mais globalement, les résultats sont très encourageants et les entreprises sont suffisamment satisfaites pour poursuivre ce schéma de 4 jours, dont les modalités peuvent varier d’une société à une autre.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
La voiture électrique, vraiment la panacée pour l’environnement ? Longue réponse documentée d’Aurélien Bigo sur le site Bon Pote.
Sur la newsletter
, très bon résumé d'un article sur les leçons à tirer de l'évolution de l'univers de la musique pour comprendre ce qui pourrait arriver avec ChatGPT and co.Le Monde republie une analyse intéressante sur le sujet des religions et des relations hommes-femmes.
On parle beaucoup d’agilité pour surmonter l’incertitude, mais il existe trois écueils à éviter selon Bernadine J. Dykes, Kalin D. Kolev, Walter J. Ferrier, and Margaret Hughes-Morgan dans un article de la MIT Sloan Management Review : “on sait quoi faire”, aller trop vite, épuiser les ressources sur lesquelles s’appuyer.
shame est un des groupes rock britanniques les plus percutants de ces derniers années. Ils viennent de sortir leur 3e album. Je le découvre petit à petit, mais “The Fall of Paul” a retenu mon attention avec un des gimmicks les plus addictifs que j’ai entendus récemment. La patte abrasive de shame.
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage ! N’oubliez pas de répondre au questionnaire flash dont je parlais en introduction.
Vous pouvez également partager le contenu sur les réseaux sociaux ou auprès de collègues. Vous êtes mes meilleurs ambassadeurs !
Vous ressentez le besoin d’être accompagnés sur la définition, l’affinage ou le pilotage de votre mission ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.
Merci pour la citation ! Sur les désabonnements, j'ai l'impression que certaines personnes s'inscrivent sans réellement le vouloir à cause des dark patterns de Substack (quand on s'inscrit à une NL il faut maintenant décocher des propositions d'abonnement à d'autres NL qui sont proposées automatiquement pour ne pas les recevoir; il y a aussi un pop up hyper louche qui propose de sélectionner un montant d'abonnement mensuel "dont on estime que la NL vaudrait le coup si elle était payante"....) bref, de quoi dissuader certains de continuer.