#99 Il n’y a pas que le PIB dans la vie
Et aussi: reskilling; selfies; insectes; salariés aidants; absurdité; bye bye UK; permaentreprise etc. (Temps de lecture total: 11 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans la 99e missive de cette newsletter (spéciale dédicace aux nouveaux abonnés en masse de l’équipe d’A&G qui se reconnaitront probablement). Elle est assez longue, donc pas de mot d’introduction, mais comme je le dis souvent : “vous n’êtes pas obligés de tout lire ; tout n’intéressera pas tout le monde”.
Au sommaire :
💭 Edito : quelles alternatives au PIB ?
📶 Jaguar Land Rover lance un programme de reskilling qui pourrait concerner 29 000 collaborateurs
📸 Vivalto Santé demande à ses équipes de décrire la mission de l’entreprise en images
🤕 Le Royaume-Uni inquiète sur les enjeux environnementaux et numériques
🤬 On n’est plus à une absurdité près : des jeux d’hiver en Arabie Saoudite
🔢Les chiffres qui marquent avec les salariés aidants et les solutions face au changement climatique
🪴La permaculture adaptée à l’entreprise
📗Recension de l’ouvrage Pour une écologie positive. Manifeste d’un producteur d’insectes d’Antoine Hubert
🚶Entreprise & Progrès veut confronter ses idées sur le progrès partout en France
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec les entretiens de sortie, l’intelligence spirituelle et la sincérité embarrassante d’Yves Chouinard
🎧 Mon son de la semaine : LCD soundystem - New Body Rhumba
Bonne lecture à picorer ou à déguster !
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Mon son de la semaine
Une fois n’est pas coutume, je mets cette catégorie en premier. Ce morceau devrait vous envoûter à peu près tout le temps de lecture de la missive. James Murphy, à la tête notamment de LCD Soundsystem, est un génie. C’était déchirant d’apprendre la fin du groupe en 2017. Mais ils sont de retour, enfin, en pointillés, de temps en temps. A commencer par ce nouveau single pour le film White Noise. Un long moment de bonheur rock !
L’édito
Le PIB est la mesure standard utilisée pour calculer la santé d’un pays. Toutefois, cet indicateur est critiqué de longue date. Il se concentre sur des données économiques et financières au détriment de dimensions non-monétaires, écologiques ou sociales.
De nombreux indicateurs ont essayé d’émerger, soit pour remplacer le PIB, soit pour le compléter. L’auteur de science fiction Kim Stanley Robinson dans son roman The Ministry for the future en dresse une liste. Je me suis dit que cela valait le coup de la partager avec quelques données en prime :
le Genuine Progress Indicator : créé en 1995, cet indicateur se veut une alternative au PIB. Son calcul se base sur le recensement de 26 critères qui sont pondérés de manière positive ou négative. Il n’existe pas d’organisme mesurant le GPI au niveau mondial ou régional, donc aucun suivi n’existe, mais certaines régions en Belgique et aux Etats-Unis l’ont mis en place.
Le Human Development Index : Créée dans les années 1990 par Amartya Sen et Mahbub ul Haq, il est piloté par le PNUD qui publie un rapport annuel. Il regroupe trois grandes familles d’indicateurs sur la santé, l’éducation et le niveau de vie et se calcule de 0 à 1. C’est aujourd’hui la Suisse (0,962) qui domine le classement devant la Norvège et l’Islande. La France est 28e (13e si on ne regarde que les pays de l’Union européenne) à 0,903.
Le Inclusive Wealth Index : cette mesure existe depuis 2012. Elle est calculée tous les quatre ans par l’UNEP (Programme pour l’environnement de l’ONU). Cet indicateur cherche à mesurer la soutenabilité d’une économie et le bien-être des populations. Le dernier rapport de 2018 (le prochain sortira d’ici la fin de l’année). L’approche est davantage de comprendre les dynamiques sur une période que de faire une photographie à un instant donné.
Dans ce rapport, un élément est saillant. Pour la très grande majorité des pays du monde, une hausse du PIB n’est pas corrélée à une hausse du IWI. Seuls certains pays d’Europe de l’Ouest continentale y arrive, dont la France.
Le Happy Planet Index : lancé en 2016, cette mesure cherche à évaluer trois éléments : le bien-être des populations, l’espérance de vie et l’empreinte écologique par habitant. Elle est pilotée par Wellbeing Economy Alliance, une ONG britannique. Le Costa Rica vire en tête avec 62,1/100 devant le Vanuatu et la Colombie. La France est 31e (et 4e pays de l’UE) avec 51,8.
le Sustainable Food Index : lancée en 2016 par Economist Impact avec le soutien de la Barilla Foundation, cette mesure s’appuie sur trois grandes familles d’indicateurs sur le gâchis alimentaire, l’agriculture soutenable et les défis nutritionnels. Il se limite à l’analyse de 78 pays (faute de données pour les autres, j’imagine). La Suède mène le bal devant le Japon et le Canada. La France qui était 1ere en 2018 est désormais 12e.
la Global Ecological Footprint : piloté par le Global Footprint Network, cette mesure vise à rendre compte le traitement de la nature, notamment sa capacité de régénération, en calculant le niveau de la “biocapacité” des pays. Un pays disposant d’une réserve de biocapacité est un pays dont l’empreinte écologique par habitant est inférieure à sa biocapacité. On retrouve en tête la Guyane française, le Surinam et le Guyana. Le premier pays européen est la Finlande. La France est déficitaire à 86%.
Le Growth National Happiness : cet indice est une création du gouvernement du Bhoutan, qui l’a même inscrit dans sa constitution en 2008. Il y aurait beaucoup à redire sur la manière de calculer et surtout sur la réalité du pays.
Vous remarquerez que les pays du G8 (les pays qui ont les plus hauts PIB) sont rarement en tête de classement peu importe les mesures…
Comme le PIB, tous ces indicateurs ont leurs avantages et leurs inconvénients. Ce qui fait la force du PIB, c’est sa simplicité et son acceptation par le plus grand nombre. Mais, cela ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher à l’améliorer ou à trouver des mesures complémentaires. Si vous connaissez d’autres mesures, je suis preneur.
Du côté des entreprises
📶REFORMATION EN COURS.
On connait tous les discours : “on ne fera plus le même métier demain” ; “on ne connait pas encore les métiers de demain” etc. Petit hic, ce sont souvent des métiers plus experts qui nécessitent de se former, parfois longuement. L’accompagnement à la reformation par les entreprises n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui peut conduire à de la casse sociale.
C’est ce que Jaguar Land Rover veut éviter avec son plan de formation, qui pourrait concerner jusqu’à 29 000 salariés dans les trois prochaines années. En effet, le constructeur a décidé de passer en 100% électrique, ce qui nécessite de nouvelles compétences pour les ingénieurs et les techniciens habitués à travailler sur des véhicules thermiques.
📸RACONTE-MOI TA MISSION.
Quand on devient société à mission, l’appropriation de la mission par les équipes est une des principales difficultés : comment traduire cela dans le quotidien de tout le monde ? Comment communiquer auprès de populations sensibles à des messages et des canaux différents ? etc. A cette fin, Vivalto Santé, groupe de cliniques privées, a lancé un challenge ludique en demandant aux collaborateurs une photo ou une vidéo représentant la mission selon eux.
Pas loin d’une centaine de photos individuelles ou collectives et une dizaine de vidéos sont soumises au vote. Les vainqueurs gagnent des chèques cadeaux. C’est une idée assez originale pour créer de l’adhésion et faire parler de la société à mission en interne.
Vous menez des actions positives et/ou originales sur la RSE au sens large, que ce soit sur des aspects sociaux, environnementaux, managériaux, de gouvernance, commerciaux, de marketing ou de communication en lien avec l’activité de votre entreprise.
Vous avez envie de les faire connaître, de les partager, voire d’encourager d’autres entreprises dans la même voie ? Nous sommes tous acteurs et nous voulons tous que l’économie et les entreprises avancent dans le bon sens. Détaillez-les moi et je les publierai dans une prochaine missive ! Pas besoin d’être société à mission ; je ne suis pas sectaire 😉.
Du côté des politiques
🤕L’INQUIETANTE TRAJECTOIRE OUTRE-MANCHE.
Dans une ancienne vie, j’ai beaucoup travaillé sur le Royaume-Uni et je suis peiné de voir que le pays accélère sur une trajectoire inquiétante de détachement par rapport au continent sur des politiques fondatrices de notre époque. Beaucoup de sujets avaient déjà pris des tournures nauséabondes avec Boris Johnson, mais Liz Truss semble creuser encore davantage le fossé, notamment sur les enjeux environnementaux et numériques.
Sur l’environnement, le gouvernement pense sérieusement à lever le moratorium contre le fracking appuyé par un ministre de l’Energie aux relents climatosceptiques. La Première ministre a demandé au roi Charles III de ne pas se rendre à la COP27 pour faire un discours, précisant qu’elle n’irait pas non plus. Elle a toutefois commandé un rapport sur le maintien d’une trajectoire de neutralité carbone à 2050. Reste à savoir si c’est pour apaiser les pressions ou si c’est mû d’une volonté profonde d’avancer dans la bonne direction.
Sur le digital, un vent de contestation grogne sur le RGPD. Une réforme du régime de protection des données est à l’étude depuis plusieurs années, sans succès. Mais la nouvelle ministre en charge du digital souhaite modifier le RGPD pour le rendre moins lourd pour les entreprises. Le tout en conservant un régime d’adéquation avec les règles européennes pour que les données circulent sans encombre entre l’UE et le Royaume-Uni. Ce ne sera pas du goût de Bruxelles…
🤬L’ABSURDITE.
On ne va pas épiloguer. Vous l’avez tous vu : l’Arabie Saoudite, paradis bien connu des sauteurs à ski, va accueillir les jeux asiatiques d’hiver en 2029. Peut-être les organisateurs ont-ils été adopté le même argument que la FIFA sur le Qatar selon les mots de son ancien secrétaire général dans un récent entretien au Monde : ils ont tellement d’argent, “alors, on s’est dit profitons-en”.
🔢Les chiffres qui marquent
36. C’est l’âge moyen auquel les salariés deviennent aidants, selon le second baromètre des aidants entreprise.
Le baromètre annuel des fractures françaises commandé par Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le CEVIPOF vient de sortir. Il traite de beaucoup de sujets—je reviendrai un peu dessus la semaine prochaine. Je vous partage juste les réponses à une question sur les solutions face au changement climatique.
Du côté des idées
🪴LANCEMENT DU MOUVEMENT DE LA PERMAENTREPRISE.
Sylvain Breuzard, président de norsys et de Greenpeace France, n’a pas ménagé ses efforts ces dernières années pour mettre le concept de “permaentreprise” dans le débat. En s’appuyant sur les principes de la permaculture, ce concept repose sur trois piliers : prendre soin des êtres humains, préserver la planète et se fixer des limites tout en redistribuant équitablement les richesses. Le modèle se décline de manière beaucoup plus fine.
Un collectif permaentreprise vient d’être lancé autour d’un manifeste. Vous pouvez découvrir davantage la permaentreprise dans ce TEDx que Sylvain Breuzard vient de réaliser.
📗RECENSION DE POUR UNE ECOLOGIE POSITIVE. MANIFESTE D’UN PRODUCTEUR D’INSECTES D’ANTOINE HUBERT (AUTREMENT, 2022).
Antoine Hubert est le co-fondateur d’Ÿnsect, success story française industrielle dans la production d’insectes à des fins de consommation (surtout dans la nourriture pour animaux aujourd’hui). Ce petit ouvrage couvre pas mal de sujets : la création et le développement de l’entreprise, les enjeux d’alimentation dans le monde, le positionnement marché quand on produit des insectes à consommer, le poids des acteurs de l’agro dans le réchauffement climatique, les aspects organisationnels de l’entreprise, et quelques convictions de l’auteur, notamment sur la croissance et le renouveau industriel.
En lisant Pour une écologie positive, je me suis demandé : pourquoi cet ouvrage maintenant ? Il semble que l’auteur veuille partager une urgence et un espoir par son témoignage. L’urgence du réchauffement climatique et la nécessité de bouger les lignes, vite. L’espoir qu’il existe des moyens d’y parvenir grâce au développement d’entreprises vertueuses qui participent à la transition, voire l’accélèrent.
En cela, l’ouvrage est un appel à agir, un manifeste comme son sous-titre le suggère. Ce qui est intéressant, c’est qu’Antoine Hubert s’inscrit dans un mouvement qui n’est pas évident à classer. Il le dit : il ne croit pas à la décroissance (“Le développement durable ne peut pas passer par une remise en cause radicale de nos modes de vie. Ce qu’il faut viser, à l’inverse, c’est leur préservation par l’invention de toutes les alternatives qui permettront de réduire leur impact environnemental”). C’est un promoteur d’une très forte croissance, qui doit s’extraire du matérialisme. C’est un très grand défenseur de l’innovation technologique (ils n’ont pas 300 brevets pour rien) et il défend le modèle d’une industrie hyper robotisée. Plutôt que de proposer de changer le système capitaliste, il estime qu’il faut jouer avec et dans les règles.
De quoi alimenter les débats, mais c’est surtout la preuve du pragmatisme qu’Antoine Hubert revendique : “tout n’est qu’une question de nuance, de mesure et d’équilibre. Et de pragmatisme.” Pour une écologie positive est donc un témoignage condensé, qui parfois appellerait à davantage de détails, notamment sur l’expérience d’Ÿnsect et sur les convictions que l’auteur porte. Il cherche beaucoup à réconcilier des éléments qui sont déconnectés, mais parfois la multiplication des réconciliations pourrait amener à des contradictions.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage ici.*
* J’ai rejoint le programme affilié de la librairie Decitre. Si vous vous procurez l’ouvrage via le lien ci-dessus, je reçois une petite commission. Un moyen de soutenir la newsletter et le podcast pour couvrir les frais afférents. Merci !
P.S: j’ai noté une coquille. L’auteur présente Ÿnsect comme une « entreprise à raison d’être » selon la loi Pacte sur le modèle de société à mission. Je ne doute pas qu’elle pourrait être une très bonne candidate, mais l’entreprise n’a rien de tel dans ses statuts.
🚶A LA RENCONTRE DU PROGRES.
Le think tank Entreprise & Progrès vient de lancer son Tour de France du Progrès adossé aux Rendez-vous du Développement Durable. Lors de ces rencontres, le think tank organisera des ateliers avec des étudiants pour débattre de 10 propositions que l’institution a concoctée pour revaloriser la notion de progrès.
Les prochaines rencontres se dérouleront à Bordeaux (demain 7 octobre), puis à Nantes, Montpellier, Lyon et Dijon. Toutes les dates et détails sur leur site.
J’en profite pour vous remettre en avant l’épisode enregistré avec Christien Durroux, vice-présidente du think tank, qui parle d’un de leurs derniers rapports sur l’entreprise à impact.
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRANE.
Denis Sabardine, fidèle lecteur des missives que je salue, lance un podcast vidéo “Les Dirigeants engagés”. Le premier épisode est avec Romain Cristofini, fondateur de la Communauté des leaders éclairés.
Vous ne faites pas d’entretien de sortie quand quelqu’un part ? Il est temps de repenser cet impensé, car c’est un moyen d’améliorer votre processus de recrutement et de fidélisation, expliquent Kelly Knight et Mark O'Donnell dans Chief Executive.
Amandine Lepoutre, présidente de Thinkers & Doers, revient dans Challenges sur la fameuse décision d’Yves Chouinard de “faire de la planète le seul actionnaire” de Patagonia. Oui, il y a peut-être des aspects fiscaux, mais là n’est vraiment pas le sujet et c’est embarrassant pour les entreprises qui peinent à agir.
Merci de votre lecture ! J’espère que le contenu vous aura plu. N’hésitez pas à appuyer sur le 💟 si c’est le cas.
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Vous ressentez le besoin d’être accompagné pour devenir société à mission ou bien piloter votre mission ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission (en vue de votre audit par exemple), vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous me lisez depuis votre boîte, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A la semaine prochaine,
Vivien.
Super Vivien !
Pour abonder à ton édito, je suis en train de lire The Good Ancestor qui se penche aussi parmi de nombreux scénarios sur l'évolution de nos institutions pour parvenir à s'attaquer sérieusement à la crise climatique.
Il cite notamment l'ISI : intergenerational solidarity index
L'indicateur est super bateau mais a le mérite d'être simple en reposant sur 10 critères notés de 1 à 10 :
3 critères sociaux : nombre d'enfants par classe en primaire, évolution de la mortalité infantile, taux de natalité par femme (10 lorsqu'en dessous du seuil de renouvellement des générations de 2.1)
3 critères économiques : coefficient de Gini (inégalités), balance des comptes courants (biens et services), épargne nette ajustée (vs. disparition du patrimoine naturel et physique + coûts des dommages environnementaux)
3 critères environnementaux : évolution du manteau forestier, empreinte carbone par individu, part des énergies non fossiles (renouvelable + nucléaire)
+ 1 pénalité en fonction de la production d'hydrocarbures