#94 Sobriété(s), sujet de long terme ?
Retour sur les Universités d'Eté de l'Economie de demain, partenariat gagnant, l'épargne utile, et plein d'autres sujets... (lecture totale: 11 minutes)
Chère lectrice, cher lecteur,
La rentrée bat son plein. Il y a des vents contradictoires entre détermination, anxiété, pessimisme et confiance. Pas évident de naviguer dans cet environnement. J’espère que vous avez votre boussole qui vous permet de vous repérer !
Suite au sondage de la semaine dernière, je tente une expérience : désormais, les décryptages de mission seront publiés sur des missives spécifiques. Celles et ceux qui ne sont pas intéressés par ces décryptages pourront même choisir de se désabonner de ces envois. Les missives seront envoyées le mercredi. On reprend les bonnes habitudes. A vous de choisir la société à mission que je décrypterai la semaine prochaine.
Egalement, je teste une nouvelle catégorie avec “les chiffres qui marquent”. Vous me direz ce que vous en pensez !
Au sommaire :
💭Edito : retour sur les Universités d’été de l’économie de demain
🤝Quand un objectif de mission guide les choix de prise de participation
👍Quand un partenariat fait sens économiquement et éthiquement
🧮Nouvelle rubrique : les chiffres qui marquent
📖Recension de l’ouvrage Au coeur de la finance utile d’Eric Lombard
🎥Analyse comparée de quatre séries TV
🧠Un peu plus de jus de crâne avec l’analyse d’une donnée qu’on connait tous, les actionnaires dans l’ère des autres parties prenantes, les suites de la déclaration de la Business Roundtable en 2019, la clim du futur et les 10 absurdités dans une France en surchauffe
🎧Mon son de la semaine : Dekker - Maybe October
Bonne lecture à déguster ou à picorer !
Edito
La sobriété est le terme en vogue de ces derniers mois, et plus encore de la rentrée. Regardez ce graphique réalisé via Google Trends. C’est frappant !
Les Université d’Eté de l’Economie de Demain organisées par le Mouvement Impact France ont donc eu les nez creux en choisissant d’en faire le thème central cette année. Néanmoins, on ressort de cette conférence avec une certitude : le terme est tellement vague qu’il recouvre des réalités extrêmement diverses et qu’une forme de convergence sera nécessaire pour qu’il porte vraiment dans la société. Thibault Lamarque, président de Castalie (les fontaines à eau), rappelait caustiquement que la sobriété, il y a quelques années, était surtout évoquée quand on ne consommait pas d’alcool…
Comme il est impossible de tout couvrir et parce que j’ai choisi des sessions peut-être moins médiatiques que d’autres, ce compte-rendu est partiel et personnel.
Je me suis pas mal intéressé à la sobriété alimentaire, dont on parle un peu moins que la sobriété énergétique. Globalement, tout le monde s’entend à peu près sur les objectifs, mais pas sur les moyens. La variable : la proximité avec le consommateur. Plus les intervenants étaient en proximité avec les clients finaux, plus le discours tournait autour de rendre la sobriété cool et sexy. Rappelons que le Coca et le Redbull sont dans le top 5 des produits les plus achetés en supermarché. Sans cet effort de marketing, point de salut.
A l’inverse, beaucoup d’autres acteurs de la filière insistaient sur les aspects réglementaires : par exemple réduire la TVA à 5,5% sur les produits bio ou éthiques et augmenter à 20% celle des autres. D’autres encore prônaient la nécessité de diversification (dans l’alimentation comme dans la production) et de lutter contre le gaspillage dans toute la chaîne de valeur.
Tout le monde s’accorde sur un changement de paradigme. Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a ainsi plaidé pour le passage d’un système alimentaire marqué par la quantité et les prix bas à un système de juste rémunération pour son alimentation. Tout cela en prenant en compte la nécessité de nourrir tout le monde et que l’accès à une alimentation de qualité n’est pas possible pour toutes les bourses.
Quand on parle de sobriété, on l’associe souvent à la proximité : consommer local, maison en bois etc. Matthias Navarro de Redman a rappelé cette donnée du Shift Project que chaque année 27 tonnes de marchandises étaient transportées sur 200km pour chaque Français.
Mais, en réalité, c’est plus compliqué que cela. Olivia Grégoire a donné un exemple assez parlant. Si on veut aller dans un restaurant en bas de chez soi plutôt que de prendre sa voiture, mais que le restaurateur a des meubles qui viennent de Chine, de la nourriture sous vide et des appareils allumés 24h/24h, la bonne initiative de départ tombe à l’eau…
Il peut également y avoir un manque d’infrastructures. Midi Pile est une start-up dans la livraison. Sa co-fondatrice expliquait que pour être bon écologiquement, elle souhaiterait utiliser des véhicules électriques, mais que dans certains territoires, il n’y a pas suffisamment de bornes de recharge.
J’ai terminé la journée en participant à une session sur la sobriété et les nouveaux imaginaires. Tout le monde n’adhèrera probablement pas à la vision de Jean-Marc Jancovici qui expliquait la différence entre sobriété et pauvreté : il n’y en a pas, mais la première est choisie et organisée, l’autre est subie… Dans cet atelier proposé par Imagine 2050, point de prospective, mais plutôt un outil que je vous propose également qui permet de découvrir son profil de radicalité pour changer le monde : par l’action, par les mots etc. Le profilage est accessible via ce lien. J’ai également appris qu’il existait un wiki des fresques, ressource indispensable pour toute personne cherchant à animer des équipes sur des sujets liés aux enjeux environnementaux.
On voit donc que sobriétés devraient être vues au pluriel et sur le long terme. On parle encore trop de la seule sobriété énergétique pour cet hiver. Ce serait réducteur et, au bout du compte, dangereux de limiter le débat à cette seule dimension !
En tout cas, une belle énergie ressortait de ce rendez-vous qui prend année après année une nouvelle dimension et l’inscrit progressivement comme réel contre-événement de rentrée aux Universités d’été du Medef...
J’ai croisé plusieurs d’entre vous et probablement que d’autres y étaient, mais que je n’ai pas vu. Partagez-moi votre meilleur moment ! Je ferai un florilège la semaine prochaine. Comme on dit, “sharing is caring!”. Tout le monde ne pouvait pas y être.
Du côté des entreprises
🤝COHERENCE.
Arkéa Capital, filiale de capital-investissement du Crédit Mutuel Arkéa, entre au capital du groupe Nomotech, opérateur de services télécoms français spécialiste des technologies sans fil. La démarche est intéressante, car une des justifications de cette prise de participation est que Nomotech, en tant qu’acteur luttant contre la fracture numérique, participe des ambitions de Crédit Mutuel Arkéa en tant qu’entreprise à mission. Un des engagements est effectivement de s’engager en faveur de la vitalité locale.
Comme quoi la mission peut vraiment infuser dans toutes les activités d’une entreprise !
👍LE PARTENARIAT DE SENS.
Parmi les marques engagées, Ben & Jerry's et Tony's Chocolonely font figure d'exemples. Logique donc de voir se développer un partenariat entre eux ! Ses différentes dimensions le rendent très intéressant.
Partenariat commercial : Ben & Jerry's va lancer une glace qui reprend les codes d'une des barres phares de Tony's Chocolonely. De son côté, l'entreprise néerlandaise va commercialiser deux barres chocolatées inspirées de deux incontournables de Ben & Jerry's.
Partenariat éthique : Les deux entreprises sont très investies dans des causes de justice sociale. Tony's Chocolonely s'est construit sur la promesse de vendre du chocolat dont le sourcing de cacao n'impliquait aucune forme d'esclavage (phénomène tristement fréquent dans cette filière). Ils ont développé un code déontologique et un programme d'accompagnement des producteurs de cacao qu'ils ont ouvert à d'autres partenaires. Au travers de ce partenariat, Ben & Jerry's adhère ainsi à ces principes.
Bel exemple d’un partenariat à dimensions commerciale et sociétale qui peut en inspirer d'autres !
Le partenariat entre l’énergéticien suédois Vattenfall et le constructeur de moto électrique CAKE est pas mal non plus !
Les chiffres qui marquent
Nouvelle catégorie pour traiter de quelques infos en plus ramassé et ouvrir d’autres horizons.
369,000,000,000. C’est le montant en dollars que l’Inflation Reducation Act dédiera aux investissements liés à la sécurité énergétique et au changement climatique. Cette grande thématique prend donc 84% des investissements prévus dans cette loi, qui sans le dire, est une loi climatique.
23. C’est le nombre d’heures par semaine que nous passons à mener des activités contributives, selon une étude du collectif L’initiative {contributive}. Une activité contributive est non-rémunérée. Elle recouvre différentes réalités : le care, l’engagement bénévole formel et informel, l’éducation et le “digital labor” (si vous vous interrogez à savoir ce que c’est, regardez ce post hilarant mais tellement juste).
15. C’est le pourcentage de Français qui, selon un baromètre de la DREES, estiment que les inégalités femmes hommes sont les inégalités les plus inacceptables parmi huit autres, dont les inégalités de revenus, de logement, d’accès aux soins, liées à l’origine ethnique. Cela en fait donc la troisième inégalité la moins acceptée, plus haut niveau depuis 2014 (début du baromètre).
VOUS SEREZ A PRODURABLE ? Je sais que beaucoup d’entre vous serez à Produrable les 13 et 14 septembre. Faites moi signe ! Sur deux jours, on trouvera bien le moment de se rencontrer, de se prendre un café, d’échanger sur votre stand, de partager quelques échanges pendant une conférence.
Du côté des idées
📖RECENSION DE AU COEUR DE LA FINANCE UTILE. A QUOI SERT VOTRE EPARGNE ? D’ERIC LOMBARD (EDITIONS DE L’OBSERVATOIRE, 2022).
On l’appelle parfois “l’Etat dans l’Etat” : la Caisse des Dépôts et de Consignations (“la Caisse des dépôts” dans le langage commun, “la Caisse” pour les initiés) est une institution publique puissante, ancienne et méconnue. Son directeur général Eric Lombard a décidé de nous offrir une plongée au cœur de cette organisation. La Caisse est partout dans nos vies sous différentes formes : dans les livrets A (c’est elle qui gère l’épargne), la formation professionnelle (Mon compte formation), les logements sociaux, les retraites ; mais également comme actionnaire dans de nombreuses structures dont Bpifrance, La Poste et Transdev, ou actionnaire institutionnel public dans des entreprises cotées ; ou encore comme outil de financement des collectivités territoriales au travers de la Banque des territoires.
Le groupe de la Caisse est colossal : 120 000 collaborateurs (sans compter les effectifs de La Poste) et un bilan agrégé de 1 286 milliards d’euros. Rajoutons à cela que la Caisse est parfaitement autonome. Elle ne dépend d’aucune administration, bien qu’elle rende des comptes au Parlement. Pourtant, elle souffre d’un déficit de visibilité et (forcément) de lisibilité. La nomination d’Eric Lombard devait bousculer “la belle endormie”.
Dans un ouvrage qui mélange habilement histoire, sociologie des organisations, et autobiographie, l’auteur brosse un tableau très complet de la Caisse. Ce récit est d’autant plus intéressant qu’il n’est pas trop policé. Par exemple, Eric Lombard ne cache pas sa frustration face aux administrations centrales hiérarchiques marquées par l’inertie et la peur du risque, qui ont ralenti, voire fait capoter des projets.
On revient ainsi sur différents épisodes clés de ces dernières épisodes comme la crise du Covid, le rapprochement avec La Poste (passionnant !) et la création de La Banque des territoires (tout autant !). Donner un nouveau souffle à une telle institution aussi lourde n’est pas tâche aisée et cela prend du temps, mais les premières pierres sont posées.
Au cœur de la finance utile est donc un très bon ouvrage pour mieux comprendre cette institution finalement assez indispensable pour faire face à de nombreux défis que traverse la France : urgence écologique, fragmentations territoriales, réformes en tous genres, crise du logement etc.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage ici. (1)
(1) J’ai rejoint le programme affilié de la librairie Decitre. Donc, si vous vous procurez l’ouvrage via le lien ci-dessus, je reçois une petite commission. Un moyen de soutenir la newsletter et le podcast et les frais afférents. Merci !
🎥ANALYSE CROISEE.
Les start-ups deviennent des sujets de séries. En l’espace de quelques mois, trois séries sont sorties sur Uber (Super Pumped), WeWork (We Crashed), Theranos (The Drop Out) et Wirecard (principale source d’inspiration de King of Stonks sans être cité). Le hasard du calendrier de production probablement, mais cela permet de faire une recension/analyse des quatre. En dépit des secteurs différents (mobilité et services pour Uber, emploi et construction pour WeWork, santé pour Theranos et services financiers pour Wirecard), les similarités sont nombreuses. J’en retiens quelques-unes et plutôt les plus négatives :
La folie des grandeurs : dans les quatre cas, les fondateurs veulent changer le monde, chacun à sa manière. C’est guidé par une conviction profonde chez les uns, d’un hubris démesuré chez les autres. Toujours plus grand, toujours plus vite, toujours plus fort.
La tyrannie : tous ses fondateurs ont des égos sans limites, vraiment sans limites. Travailler pour eux doit être un privilège qui exige loyauté et dévotion. Tout écart est sanctionné comme une trahison.
Des cultures d’entreprise toxiques : des environnements hyper masculins où les femmes ont peu leur place (surtout chez Uber et WeWork), une fragmentation paranoïaque de l’information, une liberté d’action très limitée, des DRH inexistantes etc.
Tout est permis : face à des missions délirantes, ce bas monde, fait de règles, de bonne entente et de coopération, est un circuit de freins jonché de petites gens qui ne comprennent rien. Donc, tout est bon pour
casser les codesenfreindre les règles ; la mission vaut bien ça.
Ce sont des séries assez fascinantes. Les actrices et les acteurs sont grandioses. Evidemment que les traits sont parfois un peu tirés pour la dramatisation de la série, mais les scénarios sont exaltants. On sait la fin de l’histoire dans tous les cas, mais on est en permanence effaré par les excès de toute nature qui viennent cribler les parcours de ces entreprises.
Pourquoi vous parler de ces séries ? Simplement, parce qu’elles représentent tout ce que n’est pas une entreprise rôle modèle. En cela, elles méritent bien une mention. Egalement, espérons qu’une série s’intéressera un jour à une entreprise à mission. C’est tout aussi exaltant !
🧠UN PEU PLUS DE JUS DE CRÂNE.
100 entreprises sont responsables de 71% des émissions. Vraiment se demande Bon Pote ?
En 2019, la Business Roundtable (sorte de Medef américain) consacrait le capitalisme des parties prenantes. Trois ans après, quelles conséquences ? Spoiler alert : vous n’en reviendrez pas !
Vous avez rêvé d’avoir une clim cet été et pour les prochaines décennies. Mais, bon, ce n’est pas très compatible avec l’urgence climatique. Bientôt (mais pas l’année prochaine quand même), ce sera possible sans créer d’îlot de chaleur.
Dans la même veine, Loup Espargilière, fondateur du média Vert, a dressé sa liste des 10 choses qui devraient disparaître dans une France en surchauffe.
Dans l’ère du capitalisme des parties prenantes, comment gérer les actionnaires ? Quelques bons tuyaux (surtout pour les entreprises cotées) dans cet article de Mark DesJardine et Wei Shi pour la HBR.
Mon son de la semaine
Je ne sais pas exactement quel sens Dekker donne à la sobriété dans son single “Maybe October”. Une pop folk mélodique bien léchée et enivrante avec une temporalité assez proche des préoccupations du moment, mais le chanteur le dit : “we will be stronger”.
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A la semaine prochaine,
Vivien.