#142 Comment la guerre israélo-palestinienne fait irruption en entreprise
Et également la stratégie et les limites planétaires; le label ISR; l'engagement des entreprises; la curiosité; les investisseurs à mission et bien d'autres sujets
Chères lectrices, chers lecteurs,
Bienvenue dans cette 142e missive hebdo. Pour commencer, j’aimerais vous parler de l’ouvrage Devenir une entreprise à impact : Carnet de bord d'une RSE performante de Frédérique Jeske. Dans la continuité de ses précédents ouvrages, elle adopte une approche très pratique et didactique. J’en parle aussi parce qu’elle a eu la gentillesse de me demander un encart sur la société à mission. Vous pouvez vous procurer l’ouvrage papier ici ou en ePub ici.
Au sommaire :
💭 Edito : comment la guerre israélo-palestienne fait irruption en entreprise
✅ Et si on repensait la stratégie à l’âge des limites planétaires
🌍 Le label ISR se durcit
🤔 L’engagement des entreprises : pas si simple que ça
🔎 Comment cultiver la curiosité ?
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec les investisseurs à mission, la promotion de la société à mission, le scale de la culture d’entreprise, les bons conseils d’un entrepreneur visionnaire, et les syndicats dans la transition écologique des entreprises.
🎧 Mon son de la semaine : Antony Szmierek - How Did You Get Here?
Bonne lecture à picorer ou à dévorer !
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Comme l’édito est sur un sujet très pesant, je vous propose un son plutôt upbeat, “How Did You Get Here?” d’Antony Szmierek, un ancien prof d’anglais qui sort ces premiers morceaux mélangeant l’électro, l’indie, le hip hop et le slam. Un nouveau talent ! Très frais !
Vous avez probablement remarqué que je n’ai pas touché le sujet hyper sensible de la guerre israélo-palestienne jusqu’à présent. Tout d’abord, parce que cela ne semble pas être un sujet d’entreprise, si ce n’est par les conséquences du conflit sur le prix de certaines matières premières par exemple. Mais, cela n’est pas le sujet de cette newsletter.
Ensuite, parce que j’ai eu le grand plaisir de travailler avec Marc Hecker de l’Ifri il y a quelques années. Marc a beaucoup étudié l’importation du conflit israélo-palestinien dans la société française. Je sais à quel point le sujet est polémique de longue date, comme il le rappelle dans un article de Télérama.
Néanmoins, cette question fait irruption en entreprise par divers canaux.
Différends entre collègues
Le plus souvent, c’est entre collègues. J’ai déjà eu plusieurs remontées de situations où le ton est monté à la machine à café ou à la cantine pour des désaccords sur le sujet. Lorsque c’est isolé, cela peut se gérer, mais encore faut-il que ces personnes soient prêtes à dialoguer, ce qui peut parfois s’avérer une tâche très complexe, car on peut toucher à des sujets très personnels.
Leur dire que cela n’a rien à faire dans l’entreprise semblerait tombé sous le coin du bon sens, mais en réalité, on ne peut pas interdire à des collaborateurs de parler de certains sujets sensibles. Ce ne sont pas des robots ; ce sont des citoyens dotés d’avis et d’émotions.
Si cette situation se répète, l’entreprise ne peut pas faire la politique de l’autruche. Au-delà des personnes directement concernées par ces différends, cela crée une ambiance négative dans l’entreprise, teintée de ressentiment et de méfiance. Un joli cocktail pour plomber l’ambiance.
L’entreprise peut créer des espaces de discussion, animés par des médiateurs externes. C’est le dernier des sujets que l’on a envie de traiter, mais ne rien faire n’est pas une option viable.
Des prises de position malheureuses
On dit qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Certains devraient parfois le faire. C’est le cas de Paddy Cosgrave, le fondateur du Web Summit à Lisbonne. Il a utilisé Twitter comme relais pour mettre les points sur les “i” concernant ses positions sur la guerre. Mais, face à des propos jugés très polémiques et contre Israël, de nombreuses entreprises ont retiré leur participation au sommet qui se tient prochainement, afin de se dissocier de ces positions.
En conséquence de quoi Paddy Cosgrave a été contraint de démissionner avec effet immédiat.
D’autres circonstances peuvent conduire dans des positions piégeuses. McDonald’s en Israël a décidé de distribuer des repas gratuits aux soldats. Cette démarche a polarisé les franchisés de l’enseigne de fast-food, notamment dans les pays arabes, et des restaurants ont été pris à partie dans plusieurs pays, comme en Turquie.
Rappelons que de très nombreuses entreprises ont été mises sous pression de se retirer de Russie après le déclenchement de la guerre en Ukraine. D’ailleurs, c’est toujours le cas pour certaines. La situation est très différente aujourd’hui, mais en interne, comme par certains clients, des pressions sur des implantations ou des investissements en Israël ont déjà émergé, surtout sur les réseaux sociaux.
Des choix mal-réfléchis
Mais le pire est probablement de ne pas anticiper certains problèmes, comme Adobe. Sur sa plateforme de stock de photos Adobe Stock, le média australien Crikey s’est rendu compte qu’on y retrouve des photos du conflit générées par l’IA. Ce n’est pas interdit ; il faut juste que l’image générée par l’IA contienne une mention explicite dans la légende.
Le problème est que cette plateforme est utilisée par de nombreux médias et certaines photos se sont retrouvées sur des sites d’informations sans que la mention “générée par l’IA” n’apparaisse. Surtout, cela pose la question de l’éthique : peut-on laisser ce type de photos sur ce type de sujet accessible sur une plateforme dont le contenu peut alimenter des sites Internet ? J’ai l’impression que la réponse est dans la question, mais c’est peut-être juste moi.
Bref, ce conflit s’installe dans l’entreprise par divers canaux et un certain degré de vigilance s’impose pour éviter de tomber dans la polémique ou la discorde. Mais, une fois la ligne franchie, il ne faut pas rester sans réaction ou considérer que c’est un non-sujet. Malheureusement, le conflit israélo-palestinien dure depuis des décennies, donc c’est le genre de situation qui peut durablement laisser des traces.
✅ Repenser la stratégie
L’emlyon et Carbon 4 lancent une nouvelle chaire de recherche intitulée “Stratégie en Anthropocène”. L’articulation de cette chaire sera assez classique : recherche doctorale, diffusion de la connaissance, et parcours pédagogique pour les étudiants et les professionnels. L’objectif est de proposer des réflexions et des recherches pour inscrire la stratégie d’entreprise dans les limites planétaires.
Je trouve utile que ce type d’initiative et de partenariat émerge. Je prépare actuellement un cours pour des M2 sur les marques à mission. Je (re)lis pas mal de syllabus d’écoles de commerce et je me dis qu’il y a du chemin à faire pour que les jeunes professionnels ne soient plus nourris aux concepts et visions des années 90-2000 sur le fonctionnement et les objectifs d’une entreprise…
🌍 Vers une version plus ambitieuse du label ISR
Bruno Le Maire a dévoilé les contours de la révision du label ISR. Aujourd’hui, on compte 1174 fonds labellisés. Mais après sa création en 2016, il y a eu peu de révisions et pas mal de critiques sont venues en questionner la portée.
La nouvelle mouture se veut plus ambitieuse, notamment sur le volet climatique. Désormais, pour être éligibles au label, les fonds ne devront plus avoir d’actifs dans les entreprises qui exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels, tels que les gaz de schiste, ainsi que celles qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures (pétrole ou gaz). Doit-on comprendre que tout fonds ayant des actifs chez Total ne sera plus éligible au label ISR ? Vraisemblablement, oui… En complément, un plan de transition aligné avec l’Accord de Paris sera requis.
Sur les aspects sociaux, c’est un peu plus vague. Il faudra attendre le référentiel à la fin du mois pour en savoir plus. L’entrée en vigueur est prévue pour le 1er mars 2024.
Les entreprises et leur engagement
Réalisé auprès de 400 entreprises de toutes tailles, un sondage d’OpinionWay pour Les Entreprises s’engagent livre des enseignements intéressants sur l’engagement des entreprises.
Voici quelques résultats qui ont attiré mon attention.
En lecture positive, on peut saluer le pourcentage écrasant de dirigeants qui sont d’accord sur les différentes propositions. Mais, en lecture plus réaliste, on se rend compte par exemple que seuls 42% des dirigeants estiment que les enjeux sont devenus incontournables pour les entreprises… Les autres, ayant répondu “plutôt d’accord”, ont une posture attentiste.
Et seuls 32% sont tout à fait d’accord avec l’idée d’aller plus loin dans les engagements des entreprises. C’est déjà pas mal, me direz-vous ; il n’est pas impossible que ce chiffre aurait été plus bas il y a 5 ans.
La formulation des modalités de réponse est discutable, mais mon interprétation est que la première est assez symptomatique d’une posture que je vois souvent : les entreprises mènent pas mal d’actions et c’est ce qui leur importe le plus.
En revanche, structurer et suivre le déploiement d’une démarche (la 2e modalité) est moins prioritaire. Il me paraît néanmoins difficile de faire le premier si on ne fait pas le deuxième. On peut s’épuiser à mener plein d’actions dont on ne mesure pas vraiment l’utilité, la pertinence et les conséquences…
Ce résultat est très intéressant. On constate que le choix de s’engager relève soit d’une conviction, soit de contraintes, soit d’une démarche opportuniste. A l’inverse, les raisons plus strictement économiques arrivent en dernier, comme si l’engagement était décorrélé du développement et de la pérennité de l’activité.
Le podium ne me surprend pas, mais il y a encore un imaginaire qui laisse penser que s’engager présente peu d’intérêt business. C’est pour cela que l’engagement est souvent une variable d’ajustement. Mais, on en revient à la donnée précédente : mener plein d’actions, c’est bien, les structurer, les mettre au coeur de sa stratégie et associer les équipes à leur réussite, c’est la clé pour que l’engagement soit un vecteur pérenne de succès de l’entreprise, pas une couche de vertu sociétale “pour faire bien”.
🔎 La force de la curiosité
La curiosité est probablement une des principales qualités pour réussir dans un environnement en constante évolution et dont les contours sont toujours incertains.
En matière de responsabilité d’entreprise, il faut apprendre de nouvelles méthodes, développer de nouvelles expertises, s’intéresser à de nouveaux sujets. Mais, la curiosité n’est pas innée : elle s’entretient, comme un muscle. Deux articles récents de la Harvard Business Review traitent de ce sujet. Je vous partage leurs principaux enseignements, mais je vous invite à les lire tous les deux ; ils sont très complémentaires.
Le premier de Tomas Chamorro-Premuzic prodigue cinq recommandations :
arrêtez d’avoir de mauvaises excuses pour ne pas prendre le temps d’être curieux ;
identifiez le bon angle pour aborder un nouveau sujet en partant de ce qui vous motive et vous plait ;
changez vos routines pour stimuler votre curiosité que ce soit dans l’organisation de votre emploi du temps ou même tout bêtement le repas que vous prenez au resto avec vos collègues ;
expérimentez pour tester de nouvelles idées, aborder un sujet différemment etc. ;
si vous vous ennuyez sur un sujet, passez à autre chose avant de revenir dessus. C’est en évitant de s’évertuer à rester sur une tâche rébarbative ou lorsqu’on sature que l’on peut reposer l’esprit et le laisser reprendre sa part de créativité.
Le second article de Scott Shigeoka s’attarde sur quatre phrases que l’on devrait plus prononcer pour créer une culture de la curiosité dans son organisation :
“Je ne sais pas” : plutôt que de prétendre avoir réponse à tout, il faut pouvoir dire qu’on ne sait pas, et accompagner cette phrase d’une question : “comment peut-on en apprendre plus ?”. Et il s’avère que c’est bon pour la santé.
“Dis m’en plus” : quand quelqu’un vous partage une information, plutôt que de simplement acquiescer, interrogez-le pour comprendre pourquoi cette information est intéressante pour lui, ce qu’il en retire etc.
“Je comprends qu’il y a plus que le travail dans ta vie” : cette phrase relève plus du sujet de sécurité psychologique au travail, à savoir que l’on s’intéresse à la vie de ses collègues pour comprendre les situations dans leur vie personnelle qui peuvent expliquer des conflits d’agenda, des baisses d’attention etc. On est ici sur la curiosité à l’égard d’autrui.
“Qui d’autre ?” : quand on mène une réflexion sur un projet ou pour prendre une décision, certains n’hésiteront pas à prendre la parole. D’autres seront plus hésitants, soit parce qu’ils sont plus timides, soit parce qu’ils ne se sentent pas légitimes. Pourtant, ces personnes ont très probablement d’excellentes perspectives à partager. Il faut aller les chercher.
Beaucoup de ces conseils sont du bon sens, mais tous demandent de s’arrêter un instant plutôt que de foncer tête baissée ou de rester la tête dans le guidon, et de changer un peu ses habitudes. Ce qui nécessite d’adopter une attitude proactive. Ca, c’est beaucoup plus difficile !
🧠 Un peu plus de jus de crâne
Les sociétés de gestion à mission créent-elles une nouvelle catégorie d’investisseurs en faveur d’une “finance plus durable” ? C’est la question que se posent Xavier Hollandts, Carine Girard-Guerraud et Marie Baudoux, qui partagent leurs résultats dans un article pour The Conversation.
Hélène Bernicot et Guillaume Desnoës, co-présidents de la Communauté des entreprises à mission, publient une tribune dans Le Monde pour vanter les mérites de la qualité de société à mission, sur les aspects de transformation, de protection et d’anticipation.
Patrick Vignaud explique avec justesse dans un article sur LinkedIn que si on veut “scaler son entreprise, il faut scaler sa culture d’entreprise” avec les différents paliers de la création jusqu’à 10 000 collaborateurs.
Les syndicats ont-ils un rôle à jouer sur la transition écologique des entreprises ? C’est le sujet d’une note très intéressante de l’IRES, de la CFDT et Syndex.
Vincent, l’hôte du podcast
, a reçu Romain Collignon, fondateur de Squared. L’épisode est passionnant, plein de références utiles, de bonnes pratiques. Romain est un expérimentateur en chef ! Un conseil : ayez de quoi noter à portée de main, vous en aurez besoin.
C’est terminé pour aujourd’hui. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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A jeudi prochain,
Vivien.
Un grand merci Vivien d'avoir la gentillesse de citer mon article. Bravo pour la newsletter (je suis un lecteur assidu)