#123 A quoi sert la croissance ?
Question sans réponse évidente; recension de Ralentir ou périr; aussi la fausse route de Mitsubishi; la bonne route de Yego; une loi Pacte au UK ? etc.
Chère lectrice, cher lecteur,
Bienvenue dans cette nouvelle missive !
Petite annonce avant d’entamer la lecture. Je serai à l’événement de startuppers Zero-to-One à Lyon organisé par H7 jeudi prochain. Si vous y êtes, envoyez-moi un message (par email ou simplement en répondant à cet envoi) et retrouvons-nous sur place. Cela me ferait très plaisir !
Passons au sommaire :
💭 A quoi ça sert la croissance ?
⛔ Mitsubishi à rebours complet sur la décarbonation de son activité
🛵 Yego surfe sur sa prise en compte du développement durable dans les appels d’offres publics
🗳️ Se dirigerait-on vers une évolution législative proche de la loi Pacte au Royaume-Uni ?
❓ Je vous associe aux prochains épisodes de podcast sur la diversité et la communication responsable
📗 Recension de Ralentir ou Périr. L’économie de la décroissance de Timothée Parrique
🧠 Un peu plus de jus de crâne avec la sociabilité en start-ups, les geeks de la décarbonation par la techno et un retour d’expérience sur la vie en tant que directrice DD d’une licorne
🎧 Mon son de la semaine : Vitamin String Quartet - Kiss
Bonne lecture à dévorer ou à picorer !
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Je viens de finir Ralentir ou périr de Thimothée Parrique (recension plus bas). Que l’on adhère ou pas à son argumentation, il est déroutant. Il pose des questions légitimes et expose des faits peu contestables. Surtout, il remet en perspective certains totems de notre société, en premier lieu celui de la croissance.
Qui oserait publiquement, politiquement ou économiquement remettre en question ce dogme que la croissance est bonne pour la société ? Cela me fait penser au confort que Stefano Boni avait traité dans son ouvrage Homo Confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes (lire la recension). On pourrait également inclure la notion de progrès. Ce sont autant de concepts qui sont acquis comme essentiellement positifs. Les remettre en question vous fait plonger dans les franges marginales contestataires. Vous passez un peu pour un hurluberlu. Cela change un peu, mais vraiment, juste un peu.
J’ai, comme la majorité d’entre vous, grandi avec l’idée que croissance, progrès et confort sont positifs. Que plus était mieux et que si l’on n’avait pas plus, on avait moins et que la stagnation, le manque ou l’absence étaient sources de déséquilibre, d’inconfort, d’insécurité, de non-accomplissement. Finalement, une sorte d’aberration.
Se défaire de ces idées est extrêmement difficile, car la totalité de notre société occidentale est orientée sur ces notions d’accumulation et d’augmentation, au point d’évaluer la qualité de quelque chose à la lumière de cette vision. C’est ce qu’on mesure au niveau d’un Etat—augmentation du PIB—, d’une entreprise—augmentation du chiffre d’affaires—, de l’individu—l’augmentation du salaire.
Toute autre dimension non économique est reléguée au second rang, au point même qu’au niveau individuel, un discours ambiant émerge selon lequel s’intéresser à ces débats n’est réservé qu’à ceux qui gagnent déjà bien leur vie. Thimothée Parrique montre très bien que c’est faux et que c’est le système global qui est mal géré. Mais, forcément, le système étant basé sur l’augmentation et l’accumulation, s’intéresser à ces questions quand on n’a pas déjà un matelas de sécurité peut sembler incongru. Ou, alors faut-il vivre en marge des conventions sociétales, ce que peu sont prêts à faire complètement.
J’ai encore du mal à ne pas voir le projet de post-croissance présenté dans l’ouvrage comme une vision utopiste. C’est probablement parce qu’englué comme nous tous dans le système, j’ai du mal à en imaginer sa transformation complète. Mais, je m’interroge tout de même : à quoi ça sert de croître ? En y réfléchissant, la réponse au bout du bout est souvent la même : ça sert à alimenter le système.
Que fait-on si le système (ou comment il est géré) n’est pas pérenne pour notre propre habilité sur cette planète ?
Je suis curieux : c’est juste moi qui suis sorti un peu bouleversifié de la lecture de cet ouvrage ?
⛔Mitsubishi s’y prend complètement à l’envers
Nous connaissons Mitsubishi surtout comme un constructeur automobile. Mais, le groupe a une multitude d’autres activités, comme c’est souvent le cas au sein des conglomérats japonais. On sait que la décarbonation des entreprises passe d’abord par une réduction de l’empreinte carbone et, pour la partie résiduelle, de la compensation.
Ce n’est pas vraiment la vision du conglomérat.
Il opère aujourd’hui 9 mines de charbon et prévoie d’en ouvrir deux autres. Pas de fermeture prévue, mais il n’envisage pas de nouveaux projets et devrait réduire ses investissements dans le gaz et le pétrole.
Néanmoins, difficile de voir comment le conglomérat va réduire son empreinte carbone. En fait si, rapporte Climate News. A renforts de gros investissements dans les technologies de capture de carbone. Mitsubishi prévoit d’acheter 200000 crédits carbone auprès de South Pole issus de projets de capture, dont le quart a été déjà acquis. L’objectif est de s’en procurer 1 million d’ici 2025. Rien que ça. Cette collaboration appelée NextGen présentera le portefeuille de projets le plus large au monde.
L’idée est d’accélérer le marché du crédit carbone. Plusieurs entreprises dont Mitsui, Boston Consulting Group, UBS ou SwissRE se sont déjà positionnés pour racheter les crédits.
Pas étonnant donc que le Japon ne soit pas le pays le plus allant dans les négociations climatiques…
🛵Comment Yego peut surfer sur son positionnement RSE marqué
Dans le nouvel épisode de podcast de La Machine à sens, j’ai eu le plaisir d’accueillir Clément Lauze, responsable développement durable et affaires publiques chez Yego. Les Bordelais, Parisiens et Toulousains doivent connaître : ce sont les scooters électriques verts d’eau aux allures un peu surfeur que vous pouvez louer en libre service.
Dans la première partie de l’épisode, Clément explique notamment comment se passe l’implantation de Yego dans une nouvelle ville et l’importance croissante des enjeux de développement durable, sur les aspects sociaux et environnementaux, dans les appels à manifestation. C’est une aubaine pour eux, car ils ont ancré ces aspects dans l’ADN de l’entreprise, que ce soit en disposant en interne d’équipes de réparateurs ou de “power rangers” pour recharger les batteries plutôt que de s’appuyer sur des volontaires mal rémunérés ou en travaillant beaucoup sur la qualité et le cycle de vie des scooters (à partir de 19’45’’).
Vous pouvez retrouver l’épisode sur toutes les plateformes de podcast.
🗳️Vers une évolution façon loi Pacte outre-Manche ?
La campagne Better Business Act commence à faire parler d’elle au Royaume-Uni. Cette coalition d’entreprises (2000 membres revendiqués) cherche à modifier la loi pour que les entreprises prennent en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité.
Les modifications seraient une version augmentée de ce qu’on a connu en France sur l’article 1833 du Code civil. Il s’agira que le devoir fiduciaire soit élargi pour toutes les entreprises à la société et à l’environnement, pas juste aux actionnaires. Cela serait complété par un rapport sur les actions menées pour montrer comment les entreprises trouvent l’équilibre entre les différentes parties prenantes. Il n’y a pas de mécanisme prévu de raison d’être, de société à mission ou de vérification à ce stade.
Cette orientation générale est soutenue par 78% des Britanniques, selon un sondage publié il y a quelques jours. Le changement juridique est loin d’être acté, mais les choses bougent…
❓Vous avez des questions pour elles ?
J’ai envie de vous associer un peu à la préparation de mes prochains entretiens de podcast en vous proposant de poser des questions à mes invitées.
Sur la diversité avec Laure Bereni
La première est Laure Bereni, sociologue, directrice de recherche au CNRS. J’ai fait une recension de son ouvrage Management de la vertu. La diversité en entreprise à New York et à Paris il y a quelques semaines. Avec elle, on parlera de diversité, d’anti-discrimination, de l’évolution de ces différentes pratiques en entreprises, des freins qui peuvent exister. Ce sujet vous intéresse ? Vous avez vous-même un sujet dans votre entreprise ? Vous avez une question qui vous taraude depuis un moment ?
Pour me les partager, vous pouvez soit laisser un commentaire en allant sur le site de la newsletter, soit par retour d’email, soit via ce formulaire pour plus d’anonymat.
Sur la communication responsable avec Jeanne Bordeau
La seconde est Jeanne Bordeau, linguiste et fondatrice de Madame Langage. Elle est l’autrice de nombreux ouvrages sur l’écriture et la communication et sortira courant juin son nouvel ouvrage L’écriture responsable. Retrouvez sa tribune dans Stratégies sur “L’écriture responsable et ses lois”. Avec elle, on parlera de l’usage, du sens et du poids des mots, dans un contexte où les entreprises (davantage encore les marques) sont de plus en plus sous pression des consommateurs pour être plus sincères, authentiques et transparentes dans leur communication et dans la cohérence entre les mots et les actes. Ces thèmes vous intéressent ? Vous rencontrez des enjeux d’ajustement du bon ton de communication dans votre entreprise ? Vous avez une question précise à poser ?
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📗Recension de Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance (Seuil, 2022).
Vous êtes déjà nombreux à avoir lu l’ouvrage de Timothée Parrique. Il a dépassé les 25000 ventes. Mais pour les autres, reprenons au départ. L’auteur a fait pas mal parlé de lui ces dernières années en se présentant comme un économiste prônant la décroissance (clairement un hérétique pour les orthodoxes). Gageons que c’est grâce à son doctorat en Suède et pas en France qu’il a pu mener ses travaux à bien.
Ralentir ou périr est une adaptation de son travail de thèse. L’ouvrage est à la croisée entre l’écrit universitaire et l’exposé didactique. Autrement dit, il est accessible même pour celles et ceux qui ne lisent pas d’ouvrage d’éco. Timothée Parrique s’emploie à définir le chemin vers la post-croissance : “une économie stationnaire en relation harmonieuse avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance”.
La décroissance n’est qu’une étape pour y arriver ; ce n’est pas la destination. C’est aussi un des grands intérêts. Au-delà d’expliquer pourquoi il faut décroître, l’auteur explicite le projet d’une société nouvelle.
Et des explications, il y en a beaucoup : comment le marché s’est construit contre la société, pourquoi le découplage entre croissance et décarbonation est un mythe, comment la croissance ne répond plus aux promesses politiques d’amélioration de la société etc. C’est riche, documenté et clair.
En lisant l’ouvrage, on se dit que beaucoup d’éléments sont familiers, mais rarement mis ensemble au service d’une réflexion d’économie politique globale. Et surtout rarement de manière aussi fluide et structurée. J’ai aussi beaucoup aimé le chapitre où Timothée Parrique reprend les différentes controverses sur la décroissance portées par des décideurs politiques et économiques. A chaque fois, il déconstruit leurs arguments méthodiquement. Un bon outil de contre-argumentation…
Les dernières parties sur la transition vers un nouveau modèle et sa structuration sont intéressantes et il faut saluer l’effort nécessaire. C’est peut-être là que l’ouvrage touche un peu ses limites, car c’est un champ d’études qui prend forme aujourd’hui et il faudrait un volume entier pour bien traiter ces sujets. Mais, cela n’enlève rien à cet ouvrage, vraiment aussi passionnant que ce que l’on m’en a dit, et qui, comme vous l’avez vu dans l’édito, bouleverse un peu nos logiciels de pensée habituels.
Vous pouvez vous procurer l’ouvrage ici.
🧠Un peu plus de jus de crâne
Enquête intéressante et dans l’ère du temps du Monde sur les dérives de la sociabilité en start-ups.
Aux Etats-Unis, les geeks des solutions techno pour sauver notre environnement ont créé un mouvement : “les Decarb Bros”. Le New York Times est allé à leur rencontre.
Stéphanie Leblanc, directrice DD chez Swile et fidèle lectrice, revient sur sa première année à ce poste. Un post LinkedIn très informatif !
Le quatuor à cordes Vitamin String Quartet a des projets musicaux aux résultats aussi inattendus que réussis. Le dernier en date est de reprendre des morceaux de Prince. Exemple avec l’incontournable “Kiss”. C’est assez génial !
C’est terminé pour cette semaine. Si cette missive vous a plu, je vous invite à appuyer sur le ❤️. Cela m’encourage !
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Vous voulez que l’on travaille ensemble ?
Si vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement pour devenir société à mission, pour challenger votre raison d’être et vos objectifs, ou pour bien piloter le déploiement opérationnel de votre mission, vous pouvez me contacter par réponse à cet email si vous avez directement reçu cette missive, sinon par email si vous lisez depuis votre navigateur. Plus d’infos sur les différents parcours sur mon site.
A mercredi pour le décryptage,
Vivien.
Timothée est un visionnaire, je doute qu'il arrive à bousculer le Système actuel, mais il contribue au débat en tous cas et ses écrits solidement documentés sont crédibles et ouvrent le débat. En fait, la société qu'il promeut est fortement basée sur les vraies valeurs de l'ESS et d'une société plus juste, solidaire, équitable. Continuons les débats, parlons-en dans nos entreprises Vivien !